Depuis une quinzaine d’années, Gaëlle Delore et Didier Mattalia, les cofondateurs de Trust Place travaillent à l’authentification et à la traçabilité des articles de luxe grâce aux outils de la RFID (1). Avec la création de Trust Place, il y a quatre ans, ils ont voulu accélérer et anticiper les évolutions de comportement, de communication et d’habitude d’achats des consommateurs, notamment l’écoresponsabilité, pour innover avec un outil de référence de la traçabilité de la donnée post-achat.
Les technologies notamment de la blockchain permettent de sécuriser, transmettre, traiter des données qui sont stratégiques pour les marques. Le passeport digital unique de Trust Place, associe les produits avec leurs propriétaires. La technologie garantit la conformité environnementale, apporte une connaissance accrue de toutes les données post-achat et ouvre la porte vers une relation client enrichie. Trust-Place se définit comme le « partenaire des marques qui souhaitent authentifier leurs produits, décoder les comportements, les tendances, et la satisfaction des clients tout au long de la vie de l’article ».
Pour les clients, le passeport digital Trust Place offre une traçabilité totale et peut être transmis de manière dématérialisée et infalsifiable sur le marché de l’occasion. Sur le marché à risque des produits de seconde main, le passeport digital conforte et sécurise l’acheteur, tout en permettant à la marque de transmettre à tous ses clients – y compris ceux qu’elle ne connaissait pas – des informations, des communications ciblées et des services personnalisés. Un algorithme unique à trois clés (comprenant l’identifiant du produit et de son propriétaire) permet à chaque acquéreur de prouver l’authenticité et la propriété de l’article à tout moment.
Le credo des fondateurs est que « l’achat n’est pas une fin en soi, mais le début d’une aventure, d’une relation durable. » « Connaissez-vous vos clients achetant sur d’autres canaux de vente que votre site internet ou votre boutique ? Comment interagir avec eux alors que leurs habitudes de consommation évoluent ? » interroge le site web de la société marseillaise.
Un tour de table hybride
Pour améliorer sa plateforme, passer au stade de la diffusion à grande échelle, pour s’attaquer au marché US, Trust Place vient de boucler (le 10 septembre 2024) une levée de fonds de 4 millions d’euros. Le tour de table, fut mené par RSI (Région Sud Investissement) en collaboration avec Smalt Capital, Caap Création, filiale de Capital Innovation du Crédit Agricole Alpes Provence, WinEquity, Netangels, et le fonds New-Yorkais Reflexive Capital. L’opération a été complétée par des business angels (Insead BA, Femmes Business Angels, Sophia BA, Rise BA).
« Dans ce marché en forte croissance, l’entreprise possède une équipe expérimentée autour de deux fondateurs solides et complémentaires, une technologie robuste qui séduit déjà de nombreux clients prestigieux, ainsi qu’une solide barrière à l’entrée qui rassure sur le potentiel de forte croissance de l’entreprise » plaide Pierre Joubert, directeur général de Région Sud Investissement.
Entretien avec Gaëlle Delore, CEO de Trust-Place, une femme de mode et de stratégie.
Concrètement comment fonctionne le service, le nouveau CRM de Trust Place ?
Gaëlle Delore : L’expérience client est basique : vous achetez un produit, vous aurez un QR code, une puce NFC, embarquée dans votre produit, vous le scannez avec votre téléphone et vous demandez l’activation de votre certificat, avec selon les marques, l’envoi d’une photo. Nous vérifions que le produit est au bon endroit et que votre achat est dans les clous. Nous pouvons à partir de cet instant délivrer des services exclusifs qui vont permettre de garder une relation avec la marque. La marque va collecter de la data sur l’usage de votre produit. Aujourd’hui personne ne sait ce qui se passe en fait après la vente.
Et côté marque, côté vendeur ?
G.D. : L’appropriation de cette solution prend du temps pour des raisons physiques, il faut que chaque produit soit identifié de manière unique. La plateforme SaaS de création et de gestion de passeports digitaux sécurisés est en location principalement en marque blanche. Nous nous positionnons derrière notre client, pour lui permettre de créer et suivre ses certificats digitaux. Nous transmettons notre connaissance client, en particulier dans le domaine crucial du post-achat qui nous permet de comprendre et d’influencer le parcours client bien au-delà de la simple transaction.
Pourtant les marques, dans le luxe, dans la mode, consacrent des budgets importants pour acquérir des connaissances marketing de leurs cibles…
G.D. : Les marques ne connaissent pas aujourd’hui 50 % des propriétaires de leurs produits qui auront plusieurs usagers dans leur vie. Aujourd’hui, on a dépassé les deux propriétaires par produit pour les marchandises de valeur. Les marques investissent effectivement des milliards pour comprendre l’acte d’achat, pour comprendre l’avant la vente. Et une fois que le produit est vendu, on ne s’y intéresse plus. Or aujourd’hui, le produit a plusieurs vies, il est aimé, il est porté, il est usé, il est réparé, il repart dans le cycle de la seconde main, etc. C’est pour nous une mine d’or !
Contrairement au pré-achat, qui se concentre sur l’attraction et la conversion, le post-achat est le terrain fertile, où se construisent la fidélité et la valeur à long terme. C’est dans ces moments que le client évalue réellement son expérience, forme ses opinions durables et décide de son engagement futur avec la marque. Nous possédons l’expertise de capturer et d’analyser chaque nuance de cette phase critique. Nous décodons les comportements d’utilisation, les niveaux de satisfaction et même les émotions non exprimées des clients après leur achat. Cette compréhension approfondie nous permet d’accompagner nos clients dans l’anticipation des besoins, la prévention des désenchantements pour transformer chaque interaction en une opportunité de renforcer la relation.
Une marque qui ne s’engage pas dans cette démarche circulaire aura des difficultés à fidéliser, notamment les jeunes générations. Pour rendre cette économie circulaire rentable donc finançable, il fallait lui adjoindre un intérêt marketing de maintien du lien avec le client, avec les clients successifs du produit.
Comment la société Trust Place peut-elle se positionner sur ce marché préempté par les géants mondiaux du conseil et du marketing ?
G.D. : Trust Place a été créé en 2020, mais je rêve de Trust Place depuis 10 ans. Il nous fallait la traçabilité amont, qui trace les matériaux, le process de fabrication, l’origine etc. Mais tout s’arrêtait à la vente. Or, la seconde main n’est pas un phénomène de mode. Les clients vont acheter plus responsable et la marque a une responsabilité jusqu’à la fin de vie de son produit, avec par exemple sa recyclabilité.
Le premier atout est de mettre en échec la contrefaçon. Un identifiant unique, un QR Code sur le produit ne suffisent pas à lutter contre la contrefaçon. Demain un contrefacteur va copier le QR code. Notre application établit un lien entre le produit son fabricant et l’acte d’achat. Voire dans le luxe, la reconnaissance visuelle avec une image du produit. Ces trois éléments seront vérifiés à chaque fois qu’il y a un mouvement ou un nouvel événement sur la vie du produit.
Comment avez-vous conçu et mis en œuvre votre plateforme ?
G.D. : Nous avons investi plus de deux millions d’euros sur l’architecture de la plateforme pour qu’elle puisse tout de suite être internationale. Avec une attention particulière à la cybersécurité, car nous détenons des données stratégiques, du produit et des clients.
En 2023, nous voulions aller vite sur le marché pour avoir des démonstrateurs, signer nos premiers clients et ensuite, nous nous sommes occupés de la structuration et de l’internalisation de l’équipe. Trois ingénieurs, avec une tête très bien faite peuvent faire des miracles et nous avons eu cette chance. Aujourd’hui, ils sont six. Nous sommes en train d’élargir et de renforcer nos capacités technologiques, afin de nous permettre de mieux répondre aux attentes des marchés que nous ciblons, renforçant ainsi notre engagement envers la sécurité, l’innovation et la satisfaction de nos clients.
La réglementation européenne va imposer, elle aussi, un passeport digital (2). Concurrence ou opportunité ?
G.D. : En effet, en 2022, l’Europe a lancé une nouvelle réglementation, le DPP Digital product passport, qui sera appliquée de 2026 à 2030. L’information devra être accessible au client final avec un QR Code. C’est une contrainte, mais en apportant au fabricant de la data post-achat, nous faisons de cette contrainte légale, une opportunité business. Cette histoire de réglementation européenne nous a placés dans le sens de l’histoire. C’est un accélérateur de marché… et de concurrence !
La plateforme est destinée au monde du design de la mode du luxe… quid des créateurs, des start-up créatives ?
G.D. : Nous lançons l’offre d’une solution accessible à tous, des marques de taille modeste, même des jeunes créateurs qui ont moins de 5 000 produits et qui font du Made in France. Il faut démocratiser, rendre notre technologie accessible à tous. Nous avons donc une offre de solution de certification digitale à tiroirs, où les premiers loyers seront à 250 € par mois. Un de nos premiers objectifs, était de rendre la techno accessible à tous. La redevance est proportionnelle au nombre des produits suivis de la marque, c’est basé sur le volume de l’activité. J’ai la chance d’avoir des investisseurs qui me suivent.
Vous venez de faire une levée de fonds de quatre millions, importante par rapport à votre “jeunesse”. Vous restez majoritaires ?
G.D. : J’ai cherché des investisseurs institutionnels de long terme. Ou des fonds d’investissement, et notamment américains, parce que nous nous lançons aux États-Unis en janvier et nous avons besoin d’avoir un pied sur place. Nous sommes majoritaires, la levée, c’est du capital, plus du “non-dilutif”, plus de la dette. Nous nous reposerons la question d’autres financements d’ici 18 mois ou 24 mois. Nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Allons-y, étape par étape. Avec RSI et Caap Création nous partons sur une relation de long terme.
Lien utile :
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(1) La RFID ou encore la Radio frequency identification est une méthode permettant de mémoriser et récupérer des données à distance. Le système est activé par un transfert d’énergie électromagnétique entre une étiquette radio et un émetteur RFID.
(2)N.D.L.R. : Le Digital Product Passport est un outil qui facilitera la transition vers une économie circulaire et qui permettra de collecter, enregistrer, traiter et partager les informations en rapport avec le produit : origine, composition, options de réparation et de recyclage… Le DPP rend ces informations accessibles par des moyens électroniques aux producteurs, distributeurs, consommateurs, réparateurs, reconditionneurs, recycleurs… Ces données seront de deux types , des données statiques qui n’évoluent pas durant le cycle de vie du produit : libellées, composition, score de réparabilité, caractéristiques techniques, empreinte environnementale… et des données dynamiques qui évoluent dans le temps comme la capacité d’une batterie ou ses performances ou les opérations de réparation.