Une petite salle de réunion de la Maison de la mer à Fos devient le quartier général de la décarbonation de la zone industrielle et portuaire. Pupitre, vue aérienne du port et terrasse avec vue à 180° sur le golfe, ses baigneurs et ses tankers. C’est ici que se retrouve la presse spécialisée autour des grands projets qui doivent structurer ce territoire dévolu à l’industrie depuis un demi-siècle, mais qui depuis 30 ans n’a pas connu d’investissement majeur.
En ce 11 juillet, René Raimondi, maire de Fos-sur-Mer, l’hôte des lieux est à la manœuvre pour accueillir l’équipe de Néocarb qui vient de franchir deux étapes importantes dans le marathon qui doit la conduire à la production de molécules bas carbone. Optimiste, fin connaisseur des dossiers, il affirme d’emblée : « on pense le meilleur pour demain, pour notre territoire et pour la France. Ce qui se fait ici est de dimension mondiale » réaffirme-t-il. Impliqué avec la préfecture dans tous les projets, le maire de Fos déploie son relationnel, ouvre les portes, mobilise ses services, mouille la chemise dans les débats, il accompagne avec bienveillance les porteurs de projets. Mais il est réaliste. En off il confie que « tous ces projets n’aboutiront pas forcément. ». Ayant essuyé lui-même les affres de la concertation publique, il avertit l’équipe de Neocarb : « Vous allez avoir affaire aux professionnels de la concertation publique » .
L’équipe d’Elyse elle y croit. « Nous sommes pour une écologie de combat ! » affirme sans barguigner Pascal Pénicaud, le jeune président d’Elyse Energy.
L’entreprise de 70 salariés a été créée 2020 et se fixe pour mission de concevoir, développer, financer, construire et gérer des usines de production de molécules bas carbone en France et en péninsule ibérique. Grâce à la production d’hydrogène vert et au captage de CO2, Elyse Energy veut produire localement du e-méthanol et des carburants d’aviation durables à destination de ses clients : industriels, opérateurs maritimes, compagnies aériennes. Qu’importe si le marché est encore incertain, si les prix sont loin d’avoir trouvé une stabilité, si les règles françaises, européennes ou mondiales sont fluctuantes. Les besoins sont avérés et la décarbonation des transports maritimes et aériens s’imposera à tous générant un appel de combustible inédit. La question pour Pascal Pénicaud est de savoir si la France sera dans la course ou si elle devra déplorer son retard à l’allumage, et finalement importer. Le credo d’Elyse Energy est de « relocaliser la production de matières premières et carburants en Europe. »
Néocarb est en phase projet depuis deux ans, sur le terrain, avec leur société de conseil Tandem, Jérôme Giraud et Hervé Moine, sont à la manœuvre et déminent les problèmes un à un. Jérôme Giraud est bien connu de la place portuaire, puisqu’il a été pendant 15 ans directeur du développement au grand port maritime et il fut directeur du port de Toulon. Il est désormais directeur territorial délégué d’Elyse Energy. Pour ce professionnel du maritime, l’objectif n’est pas la création d’une usine de plus, mais la construction d’une « plateforme industrialo-portuaire », évolutive qui se situe au cœur des équipements de Piicto et qui doit générer à terme de l’activité industrielle sur site, mais aussi du trafic maritime.
Le projet Neocarb s’articulera autour de deux briques complémentaires et intégrées, développées successivement :
- La production de e-méthanol à partir d’hydrogène et de carbone recyclé dans les procédés industriels du territoire, à destination du transport maritime ;
- La production de e-kérosène à partir de ce e-méthanol par voie dite « alcohol-to-jet », pour fournir un carburant d’aviation durable synthétique pour le transport aérien.
Les deux unités de production de carburants durables reposent sur l’utilisation d’hydrogène bas carbone, produit sur site par électrolyse, complété par les industriels du territoire et la future connexion au réseau de transport d’hydrogène par la canalisation Barmar – H2Med.
Les objectifs initiaux de production sont de 100 000 tonnes par an pour le e-méthanol et 50 000 tonnes par an pour le e-kérosène. Leurs usages dans les mobilités maritimes et aériennes du territoire contribueront à décarboner et réduire les émissions de ces modes de transport. Avec un usage potentiel immédiat pour les liaisons entre la France continentale et la Corse.
Deux étapes ont donc été franchies en ce premier semestre.
Tout d’abord la question de l’énergie, puisque les dispositifs de Neocarb son « électro-intensifs ». En avril a été signée une proposition technique et financière avec RTE, le Réseau de transport d’électricité, pour son raccordement électrique.
Le 2e volet finalisé concerne le foncier. Les besoins sont extrêmement importants, puisque l’entreprise se déploiera sur une parcelle de 51,3 hectares au cœur des installations du Grand port maritime. Il s’agit de terrains en lisière de la darse, sur la zone nord du site Asco Fields, au cœur de la plateforme Piicto. Jérôme Giraud précise que les terrains sont réservés, mais que les études sont avancées puisque les inventaires de biodiversité ont été réalisés, avec une identification des terrains de compensation et une implantation qui préserve les zones sensibles.
Étude toujours pour sécuriser le site et vérifier qu’il n’y a pas d’effet domino avec les voisins industriels comme Ascometal ou Air Liquide et qu’il n’y aura pas de blocage in fine pour commencer l’exploitation. L’équipe Neocarb doit maintenant passer par la case concertation : la Commission nationale du débat public a été saisie et les réunions citoyennes auront lieu au cours de l’automne 2024, tout cela pour décrocher, espère Jérôme Giraud, un permis de construire fin 2025, avec en perspective une mise en service en 2030 pour accueillir les 150 salariés.
Le Port doit devenir un hub de carburant et d’énergie propre
Christophe Castaner
Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du Grand port maritime Marseille-Fos est enthousiaste pour ce projet qui contribue à faire de la zone de Fos « un hub de carburant et d’énergie propre ». Il réaffirme son soutien à l’industrie, déplore que l’on ait perdu 15 points de PIB en industrie « par choix » souligne-t-il. Et il redit son soutien à l’utilisation des eaux du Rhône pour l’industrie et au besoin impératif de la ligne RTE d’Arles à Fos. Il confirme les propos de René Raimondi sur les enjeux planétaires de la production d’énergie propre : « le port dit-il a vocation à être un hub énergétique de taille mondiale à être un acteur de la révolution énergétique il faut oser » avec des objectifs ambitieux sur un territoire qui se transforme. Mais avertit-il « tout cela est très fragile » et il invite chacun a prendre ses responsabilités.
Un plan de financement en construction
Pour le financement de ce projet qui pour l’instant est annoncé à un milliard d’euros en phase initiale d’exploitation, nous sommes dans le schéma devenu classique pour les projets énergétiques. Les études et l’ingénierie préalables à hauteur de 10 millions d’euros sont portées par Elyse Energy. Une fois la faisabilité démontrée, en 2027, la petite entreprise devra chercher du lourd avec un tiers en fonds propres qu’elle espère obtenir de ses partenaires actuels, Mirova, filiale de Natixis investment managers et d’autre part Hy24, société d’investissement française lancée en 2021, consacrée au déploiement de l’économie de l’hydrogène décarboné, fruit d’une co-entreprise entre Ardian, un des leaders de l’investissement privé et l’expert industriel FiveT Hydrogen. Le reste soit 700 millions d’euros viendront en crédit bancaire.
Liens utiles :
[Dossier] Marseille-Fos : le laboratoire de l’industrie décarbonée se rêve en capitale française de l’hydrogène vert
L’actualité des projets industriels à Fos dans notre dossier d’actualités