C’est un contournement à rallonge qui n’en est certainement pas à sa dernière déviation. Attendu, voire espéré par les nombreux défenseurs du projet, maires et populations riveraines en tête, depuis plus de 50 ans, le projet de contournement routier de Martigues – Port-de-Bouc se heurte encore à des incertitudes financières. Mais pas que.
Alors que le nouveau préfet de région et des Bouches-du-Rhône, Georges-François Leclerc, a reporté, en mars, à « dans les quatre mois qui viennent » sa décision « de principe » sur ce dossier, dans l’attente d’« une réponse de Paris », principalement sur les engagements financiers de l’État, c’est l’Autorité environnementale, lors de sa session du 10 avril, qui vient à son tour de s’immiscer dans ce dossier sensible.
Contournement : pour une remise à plat complète de l’étude d’impact
Et autant le dire, elle ne se montre pas tendre, recommandant rien de moins qu’une « remise à plat complète de l’étude d’impact avant consultation du public ».
Pour rappel, l’État, sous maîtrise d’ouvrage de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, porte ce projet de contournement routier de Martigues – Port-de-Bouc, déclaré d’utilité publique en 2017. L’actuelle route traverse des zones densément urbanisées, supporte un trafic très important et crée un effet de coupure urbaine et des nuisances fortes pour la population. Le contournement prévu par le Nord, de 8,3 km, comportera une section en tracé neuf à 2×2 voies de 6,9 km, limité à 90 km/h, une zone de raccordement à l’autoroute A55 d’une longueur de 0,3 km et le réaménagement d’une section déjà existante de l’A55, d’une longueur de 1,1 km englobant l’échangeur de Martigues-Nord. La RN 568 actuelle dans les traversées de Martigues et de Port-de-Bouc a, elle, vocation à être transformée en boulevard urbain.
Contournement Martigues – Port de Bouc : un projet estimé à 180 M€
Le projet, dans un contexte de milieux naturels de grand intérêt, vise à permettre une desserte plus aisée de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos, à améliorer la sécurité routière, en particulier pour le transport de matières dangereuses, ainsi que la qualité de vie pour les habitants notamment dans les centres-villes de Martigues et Port-de-Bouc en séparant les flux de transit et de desserte locale, alors que les projections estiment à plus de 60 000 véhicules le trafic quotidien sur la RN 568 à horizon 2030, dont près de 10 000 camions transportant des hydrocarbures.
À la suite de l’enquête parcellaire de 2018, l’arrêté de cessibilité a été signé à l’été 2020, permettant à l’État d’engager le processus d’acquisitions foncières. Le projet s’élèvait en 2022 à 180 millions d’euros, avec une contribution significative de l’État et des collectivités locales.
« Objectifs pas étayés », « évaluation imparfaite », voire « pas robuste »…
Logiquement sollicitée en vertu du Code de l’Environnement, comme c’est le cas pour chaque projet soumis à évaluation environnementale, l’Autorité environnementale se montre très critique sur ce projet qui s’éternise, bien malgré lui. Ainsi note-t-elle que « le dossier est constitué de pièces de différentes époques et leur superposition le rend difficilement lisible malgré des contenus souvent intéressants. »
Et d’énumérer : « Les objectifs du projet ne sont pas étayés par des données objectivées et mises à jour (sécurité routière, inadaptation d’une solution de transport de marchandise multimodale, etc.). L’évaluation des effets cumulés est imparfaite et l’évaluation socioéconomique n’est pas robuste. La prise en compte des effets du changement climatique, et notamment du risque de submersion marine, fait défaut. L’étude acoustique, annoncée, ne figure pas au dossier, alors que le bruit est un des points majeurs pour la vérification de la pertinence du projet. »
Pour que le projet soit « source de bénéfices », l’AE liste un certain nombre de conditions à remplir « dès sa mise en service » : transformation de l’actuelle RN 568 en boulevard urbain, traitement performant des nuisances sonores, renforcement des services de transport en commun, amélioration de l’intermodalité pour le transport de marchandises. « Par ailleurs le projet, en tracé neuf, génère une artificialisation et des impacts importants sur les milieux naturels, malgré l’évitement de certaines zones sensibles, ce qui nécessite de renforcer les mesures de réduction et de mettre en place des compensations importantes, en veillant à leur pérennité. »
La (longue) liste des recommandations de l’AE
Sur la base de ces constats, l’AE plaide pour une « une remise à plat complète de l’étude d’impact avant consultation du public » et donne sa liste de recommandations :
. décrire l’ensemble des travaux induits et des effets cumulés avec les projets alentour (on pense à la liaison Fos-Salon),
. actualiser calendrier et coût des travaux, ainsi que les données de pollution de l’air, de bruit et de sécurité routière,
. intégrer pleinement dans le projet l’aménagement de la RN 568 en boulevard urbain,
. documenter l’acceptabilité du projet au regard des scénarios d’accidents des installations industrielles alentour et les modalités d’intervention sur le centre d’enfouissement technique de Valentoulin et de prévention des risques et incidences afférents,
. amender le projet pour tirer toutes les conséquences de l’avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature,
. prévoir des protections contre le bruit induit allant nettement au-delà de la réglementation,
. présenter un bilan énergie et carbone intégrant la phase des travaux, inscrit dans la séquence éviter, réduire et, à défaut, compenser.
Un avis très sévère, qui va désormais être mis à disposition de l’Etat, du préfet, de la Dreal et du public. De quoi doucher (encore) l’impatience des plus pressés.
Document source : l’avis délibéré de l’AE sur le contournement routier Martigues/Port-de-Bouc
Liens utiles :
> Contournement Martigues – Port de Bouc : « une décision dans les 4 mois » (Leclerc)
> CPER mobilités de la Région Sud : des projets routiers ciblés par l’Autorité environnementale
> Contournement autoroutier d’Arles : enfin le bout du péage ?
> Les réserves de l’Autorité environnementale sur le Document stratégique de la façade Méditerranée
> L’avis critique de l’Autorité environnementale sur la 2e zone de services du port à Fos