Dans la présentation de son plan « Marseille en Grand » en septembre, le Président de la République est clair. Il aidera financièrement le territoire à condition que « l’effort de la nation ne se disperse pas en redistributions inutiles, en compensations diverses et en paiement de fonctionnement indus ». Une critique à peine cachée du système d’attributions de compensation (AC) de la Métropole Aix-Marseille Provence. Depuis longtemps, l’Etat tente de mettre fin à cette spécificité locale mais se heurte systématiquement à l’opposition des maires de la Métropole. Pour le premier, les sommes perçues par les communes sont trop importantes mais pour les seconds, elles sont indispensables à leur fonctionnement : « Cet argent provient essentiellement de la taxe professionnelle. C’est de l’argent qui nous appartient et dont nous avons besoin pour assurer nos missions », explique la maire écologiste de Cabriès, Amapola Ventron.
Une compensation entre la taxe professionnelle et les transfert de compétences
Historiquement, le système des attributions de compensation a été mis en place par l’Etat pour compenser le transfert de la fiscalité professionnelle perçue autrefois par les communes et transférée ensuite à la Métropole. Mais pour calculer ces allocations, il convient de retrancher à la taxe professionnelle le coût des compétences désormais prises en charge par la Métropole. Dans son rapport sur la Métropole d’octobre 2020, la chambre régionale des comptes explique : « L’AC est destinée à neutraliser les conséquences financières des transferts de compétences des communes vers les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité professionnelle unique (FPU). Elle constitue une dépense obligatoire pour le redevable dont le montant est en principe égal au montant des impositions transférées par la commune, diminué des charges transférées à l’EPCI. L’impact financier des transferts est donc théoriquement nul pour les deux niveaux d’administration ». Seulement, dans le cas de la Métropole Aix-Marseille Provence, l’impact est loin d’être nul.
Aix-Marseille Provence, championne de France des reversements aux communes
Début 2019, l’ancien préfet de région Pierre Dartout rend son rapport au Premier ministre sur le devenir de la Métropole. Dans ce dernier, il écrit : « les reversements aux communes représentent aujourd’hui 63 % de ses dépenses réelles de fonctionnement (environ 1 milliard d’euros sur un total de 1,75 milliard d’euros). La moyenne nationale de reversement aux communes pour les métropoles semble être à 28 % des dépenses réelles du fonctionnement ». Ces aides aux communes sont en réalité composées des attributions de compensation et des dotations aux six conseils de territoire qui leur permettent d’exercer les compétences que la Métropole leur a déléguées. Les seules attributions de compensation pèsent 37,58% des dépenses réelles. Le rapport Dartout compare ainsi le poids des aides aux communes dans les autres grandes métropoles de France et révèle qu’Aix-Marseille Provence est bien au-dessus de ses voisines. A Lille, elles représentent 23,7% des dépenses de fonctionnement, à Nantes 18,5%, à Lyon 9,5% et à Bordeaux, ce sont les communes qui reversent plus de 45 millions d’euros à la Métropole.
Un gonflement artificiel des AC avant la création de la Métropole
Pour la chambre régionale des comptes, l’importance des attributions de compensation s’explique notamment par une augmentation opérée par les anciens EPCI juste avant leur fusion dans la Métropole : « Les AC des six EPCI ont ainsi augmenté de 220 millions d’euros entre 2012 et 2016, alors que près de 80 % de cette augmentation ne correspond à aucun transfert de charge. Cette démarche obère désormais très fortement les marges de manœuvre du nouvel EPCI », écrivent les magistrats dans leur rapport. Seul la communauté urbaine Marseille Provence Métropole a vu ses attributions de compensation baisser avant la création de la Métropole. Toutes les autres intercommunalités les ont révisées à la hausse, la palme revenant au Pays d’Istres où elles ont presque triplé (cf. tableau ci-dessous).
Le rapport Dartout considère que sur les nouveaux montants additionnés par les intercommunalités « 147 millions d’euros ne s’expliquent ni par des transferts de charges entre les EPCI et leurs communes membres, ni par une augmentation des recettes fiscales professionnelles. Pour 93 millions d’euros, il s’agit de la simple intégration de la dotation de solidarité ». Le maire de Saint-Chamas et vice-président en charge du budget à la Métropole, Didier Khelfa, ne nie pas ce gonflement de dernière minute des AC : « Il faut comprendre les maires à l’époque. On nous a fait tellement peur avec cette monstropole qui allait nous faire les poches qu’ils ont voulu se protéger », raconte-t-il. Et pour lui, l’Etat est fautif par omission : « Le problème, c’est que cette augmentation est tout à fait légale. Il aurait fallu geler les AC avant de fusionner les EPCI pour créer la Métropole », avance-t-il.
Une partie intégrante du budget des communes difficile à réduire
Au sein de la Métropole, les avis divergent sur une réduction des fameuses attributions de compensation. Les mairies qui en touchent très peu voir qui ont un solde négatif comme La Bouilladisse ou Carry-le-Rouet sont plutôt ouvert à une révision. Mais pour la grande majorité, les AC représentent désormais une part très importante de leur budget. « A Vitrolles, on reçoit 28 millions d’euros, soit le quart de notre budget. Si on me les enlève, je ne peux plus faire vivre la commune », prévient Loïc Gachon, le maire de Vitrolles. Opposante de la première heure de la Métropole créée en 2016, la nouvelle maire d’Aix-en-Provence Sophie Joissains est farouchement opposée à une révision des attributions de compensation : « Si on touche une fois aux AC, on ne s’arrêtera plus. Il ne faut pas ouvrir cette porte », insiste-t-elle. De son côté, Didier Khelfa souligne un paradoxe dans la réforme métropolitaine portée actuellement par le gouvernement : « D’un côté, on nous demande de réduire les AC. Mais lorsque l’on va rendre les compétences aux communes, cela va mécaniquement les augmenter car la Métropole devra reverser les moyens correspondant à l’exercice des compétences ».
Une solidarité entre les communes inexistante
Le problème des attributions de compensation tient surtout à leur inégalité sur le territoire. Certaines communes comme Martigues ou Istres, historiquement riches en industrie, ont longtemps profité d’une importante taxe professionnelle. Résultat, aujourd’hui, elle reçoivent 1 900 euros/habitant pour la première et 1 400 euros/habitants pour la deuxième quand Marseille ne touche que 143 euros d’AC par habitants. La ministre Jacqueline Gourault fait remarquer à ce sujet que la Métropole Aix-Marseille Provence n’a pas de dotation de solidarité communautaire (DSC) pour niveler les inégalités entre les territoires. Martine Vassal, la présidente de la Métropole le reconnaît dans l’entretien qu’elle a accordé à Gomet’ : « Il faut mettre en place des solutions de péréquation. C’est ce qui nous manque. C’est l’une des solutions pour avoir un meilleur équilibre financier entre les territoires.»
« C’est effectivement une obligation légale et nous avons voté une première DSC symbolique de 100 000 euros au budget 2021 », indique Didier Khelfa. Une somme loin d’être suffisante pour équilibrer les moyens des communes.
Aussi, pour financer cette DSC à l’avenir, il propose par exemple de « faire un effort sur les dépenses réelles de fonctionnement des communes et de consacrer par exemple 1% à l’approvisionnement de cette DSC ». Il estime également que la Métropole n’est pas assez subventionnée : « Nos équipements sont subventionnés à hauteur de 17% quand ils devraient l’être à 25% environ. Il faut aller chercher davantage d’aides de l’Etat et de l’Europe ». Les économies ainsi réalisées pourraient servir à financer des grands projets métropolitains ou la dotation de solidarité communautaire pour aider les municipalités les plus pauvres. « Mais je pense que cette solidarité entre les territoires mettra encore plusieurs années à s’imposer parmi les maires », tempère-t-il. En attendant, les sujets des attributions de compensation et des finances de la Métropole en général seront abordés l’an prochain, après les Présidentielles, à l’occasion d’une grande conférence fiscale.
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