Depuis l’annonce faite, mercredi 20 décembre, par l’association Latinissimo de l’annulation de la prochaine édition de Babel Med Music, prévue initialement du 15 au 17 mars 2018, pour cause de diminution massive de la subvention de la Région Provence Alpes Côte d’Azur (lire notre article précédent), la question du financement de la culture et de sa rentabilité revient sous les feux de la rampe.
En portant sa subvention pour le Babel Med Music à 104 800 €, au lieu des 363 800 € l’année précédente, La Région donnerait-elle là un premier exemple de sa volonté de se recentrer sur ses compétences obligatoires, se conformer à la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et arrêter certaines actions, comme l’a annoncé son président, Renaud Muselier, lors du vote de budget, vendredi 15 décembre (lire notre article précédent) ? « C’est une décision politique que nous assumons. Nous ne voulions plus être le partenaire unique de l’événement et nous avons prévenu verbalement l’association à plusieurs reprises qu’elle devrait trouver d’autres financements. Aujourd’hui, le couperet tombe, je peux comprendre que cela fasse mal » a déclaré Jean-Philippe Ansaldi, le directeur de cabinet de Renaud Muselier, à notre confrère du journal Le Monde, Gilles Rof (www.lemonde.fr du 21.12.17), suite à la diffusion, mercredi 20 décembre, du communiqué de la Région dans lequel l’institution explique « le Babel Med Music est un évènement culturel qui ne présente pas un modèle économique satisfaisant pour la Région. (…) la Région a informé la structure porteuse de sa volonté de faire évoluer ce modèle vers un marché professionnel (en enlevant la partie concert qui ne présente pas des chiffres de fréquentation satisfaisants face aux coûts engendrés ; la billetterie des concerts rapporte seulement 29 000 € de recette pour la structure). »
Du côté de l’association, c’est la stupéfaction car « l’annonce brutale autant qu’inattendue de la baisse de la subvention de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ne permet pas – dans ces délais – de réinventer une nouvelle version de l’événement », ont indiqué ses responsables qui ont choisi d’annuler l’ensemble de la manifestation – le marché professionnel et les concerts grand public. Selon certaines déclarations, l’association s’apprêtait effectivement à revoir le financement de l’événement, pour 2019 et non pour cette année.
Entre compétences partagées, rationalisation des interventions publiques ou gouvernance privée : que choisir ?
Que ce soit dans la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles de 2014 (MAPAM) ou dans la loi de la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), rien n’est défini précisément concernant la culture. Et donc à chaque collectivité de préciser sa feuille de route, même si le Code général des collectivités territoriales (article L. 1111-4 du CGCT) note que « les compétences en matière de culture, de sport, de tourisme, de promotion des langues régionales et d’éducation populaire sont partagées entre les communes, les départements, les régions et les collectivités à statut particulier ». Quant à la redéfinition des compétences des Régions dans la loi NOTRe, il est indiqué qu’elles contribuent, notamment, à promouvoir la diversité culturelle, à soutenir la création.
Sur le plan financier, si la crise économique a entraîné des coupes dans certains budgets, l’organisation de grands événements internationaux, à commencer par MP2013, a permis de sensibiliser une majorité d’élus, pas toujours acquis de prime abord, sur ce que pouvait rapporter la culture en termes de retombées économiques et médiatiques. Une aubaine qui justifiait à leurs yeux enfin les sommes investies.
L’engagement d’Estrosi
Aucun domaine rentable n’est oublié par le privé et, lors de la conférence de presse de présentation de Babel Med Music 2017, Bernard Aubert, l’un des fondateurs de la Fiesta des suds, évoquait déjà le phénomène des « grands groupes (qui) investissent dans les salles de spectacle… Ça veut dire 85 euros la place de concert, un risque d’écouter tous la même chose et une certaine façon de travailler qui est en train de disparaître. L’enjeu est là ! ». Malgré les chiffres présentés par l’association Latinissimo (204 emplois pour un équivalent de 8 080 heures de travail, 2 000 professionnels accueillis, soit 4 000 nuitées, 15 000 spectateurs aux 30 concerts programmés), « un rayonnement international et une vitrine unique pour la création en région », la Région a fait son choix : oui au salon professionnel, non aux concerts publics qui ne rapportent que 29 000 euros à la structure. À la structure de trouver dorénavant le reste du financement. Mission impossible dans un délai si court.
Quelle sera la feuille de route culturelle de la Région désormais ? Sur le site de l’institution, la culture est présentée sous l’onglet « Vivre ensemble », « au cœur de Provence-Alpes-Côte d’Azur » en ces termes : « La culture et le patrimoine contribuent au rayonnement de Provence-Alpes-Côte d’Azur, riche d’une tradition d’accueil de toutes les populations. La Région a la volonté de garantir l’égalité de tous devant la culture, de valoriser l’expression d’identités partagées ainsi que la mémoire collective. Elle assure ainsi la diffusion de la culture sur l’ensemble de son territoire. » Sur une autre page, s’affichent les slogans « Liberté de créer, pouvoir de diffuser », « Parole donnée, parole tenue ». Christian Estrosi, élu en décembre 2015 à la présidence de la Région Paca, avait annoncé, dès le début de la nouvelle mandature, la sanctuarisation, voire même le développement du budget consacré à la culture. Que compte faire Renaud Muselier, président de Région depuis juin 2017, de cet engagement ?
Lien utile :
> Une pétition mise en ligne par Zone Franche adressée à Renaud MuselierDu poids économique de la culture
Au plan national, en 2015, le poids économique direct de la culture représentait 43 milliards d’euros (à titre de comparaison, la branche de l’industrie automobile réalisait une valeur ajoutée de 9,8 milliards d’euros et 55 milliards d’euros pour la branche hébergement et restauration) (*).
Quant aux les dépenses culturelles des collectivités, elles s’élevaient, en 2014, à 9,3 milliards d’euros, soit 143 euros par habitant (**). Au plan régional, voir tableaux de répartition ci-dessous (Source Atlas régional de la culture 2017).
Sources : (*) Le poids économique direct de la culture en 2014 – Tristan Picard – Ministère de la Culture, Département des études, de la prospective et des statistiques (2016)
(**) Dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2014 – Jean-Cédric Delvainquière et François Tugores – Ministère de la Culture, Département des études, de la prospective et des statistiques (2017)