Qu’on se le dise dans les chaumières phocéennes, si certains courent toujours après Engels, Trotsky ou Lénine, et s’entêtent à se casser la voix avec l’Internationale, le maire divers gauche de Marseille, Benoît Payan, a opté lui pour un répertoire plus contemporain. Il l’a prouvé, micro à la main, dans un récent karaoké organisé opportunément par une de ses maires de secteur, Olivia Fortin, communicante de formation qui sait combien l’image et le buzz qui va avec sur les réseaux, comptent aujourd’hui autant que les idées.
C’était la première édition du Printemps des seniors, manifestation au titre opportunément ambivalent, puisqu’elle était inaugurée par le leader du… Printemps marseillais. Un karaoké géant pour entamer une série d’événementiels culturels destinés principalement aux troisième et quatrième âges, désormais majoritaires dans le pays. Payan s’est donc saisi d’un micro pour entonner un titre usé jusqu’à la corde (vocale) « Du côté de chez Swann », interprété au sommet de sa gloire par Dave. La chanson débute par un constat qui ne souffre d’être contredit « On oublie, hier est loin, si loin d’aujourd’hui… » Ce pourrait être un slogan de campagne pour le maire sortant, à quelques trimestres d’un rendez-vous qui promet une fois de plus en notre bonne ville quelques joutes sanglantes, des airs de déjà entendus, d’inlassables rengaines, l’évocation de lendemains qui chantent, ou les lamentos de bardes qui déchantent.
Pour être anecdotique, la performance de Benoît Payan, s’inscrit dans la construction pugnace d’un profil qui, malgré les procès en insincérité de ses adversaires, se veut rassembleur, à l’écoute des gens, populaire en un mot. Les sondages qui lui sont très favorables encouragent l’objectif : dépassionner, rassurer, positiver. La ville malgré ses plaies et ses bosses continue du reste à séduire comme en témoigne un mini guide du New-York Times, qui propose une balade de 36 heures dans nos rues et sur nos rives. Et puisque la prestigieuse parution ose un « It’s Marseille Baby » comme titre, Benoît Payan embraye dans la langue de Shakespeare pour répondre au média US avec un cri du cœur : « Marseille, ville de la lumière, de la mer, de beautés et de patrimoines culturels uniques ! » La messe est dite ou presque.
Bien évidemment la réalité n’est pas toujours au rendez-vous des belles paroles, mais il faut saluer les prouesses remarquables que le maire de Marseille a réalisées depuis qu’il a créé la surprise en arrachant la ville, après un quart de siècle de règne sans partage de Jean-Claude Gaudin.
Payan a d’emblée compris que s’il pouvait légitimement contester grande partie de la gestion de son prédécesseur, il convenait de ne pas porter outre mesure la plume dans les plaies béantes que Le Printemps Marseillais eût en 2020 l’impérieux devoir de cautériser. Il a donc d’abord insisté sur la nécessité de « recoudre la ville ». Mais il n’a pas pour autant attisé les polémiques sur les conséquences d’une politique de droite qui avait privilégié les secteurs qui lui étaient favorables, laissé s’aggraver la fracture sociale, oublié les écoles publiques mais favorisé le secteur privé, ignoré le logement indigne, manqué d’ambition en matière de transports en commun… la liste loin d’être ici exhaustive aurait pu faire l’objet d’un livre noir accablant.
Benoît Payan, en fin stratège, a choisi de ne pas s’attarder sur ce passé passif et de prendre de la hauteur pour favoriser un nouvel élan. Il est allé à Canossa en s’inscrivant dans le sillon « Marseille en grand » qu’Emmanuel Macron a voulu creuser pour la deuxième ville de France. Et puisque Marseille selon son expression « a perdu une partie de son histoire » avec le décès de Gaudin, Benoît Payan a pris soin de ne jamais s’en prendre à celui qui l’avait précédé dans le fauteuil de maire. Il a même souhaité ajouter au nom du Parc du XXVIe centenaire, celui de « l’enfant de Mazargues ». Ainsi échappe-t-on à l’accusation de sectarisme ou au péché « d’apparatchik du Parti Socialiste nourri au lait du guérinisme », que ses plus féroces opposants ont tenté d’installer en vain dans l’opinion.
Benoît Payan, même s’il continue discrètement à jouer au PS le rôle que sa position d’élu d’une grande ville lui confère, s’est mis en retrait d’une formation qui n’a pas terminé sa mue. Et se débat encore dans une guerre picrocholine qui n’atteste pas d’un renouveau à éclore. Bien lui en a pris, le récent épisode de pieds nickelés – un militant socialiste pris la main dans la caisse de la fédération des Bouches-du-Rhône – ne l’a pas atteint.
Il faudra cependant qu’il démontre en 2026 que la politique locale n’est pas qu’affaire de communication, même s’il a pleinement profité jusqu’ici de quelques points d’orgue. L’engagement public très médiatisé du président de la République pour la ville, la venue du pape François dont Payan n’a pas lâché les pas, l’arrivée de la flamme olympique sous les yeux de millions de téléspectateurs.
Le maire sortant va sans doute devoir se mobiliser désormais pour démontrer que Le Printemps Marseillais dépasse largement les enclaves idéologiques pour favoriser un projet qui reste encore à l’état embryonnaire. Il y va d’un développement durable de la ville, de perspectives économiques à confirmer, de la volonté de réduire ce que d’aucuns appellent « l’apartheid » social et culturel, d’une sécurité prise en compte après le renforcement à l’horizon 2026 de la police municipale, où il annonce 800 fonctionnaires en poste…
Il sait que les écologistes, avec lesquels il est encore associé malgré quelques sautes d’humeur, vont hausser le ton d’autant que leurs revendications sont contestées, au nom des urgences budgétaires, agricoles et sociales, au plan national. En témoigne le récent vote écartant les Zones à faibles émissions qui efface d’un trait la lutte contre la pollution urbaine où Marseille caracole en tête des villes les plus touchées. Payan ne peut ignorer que partie de son électorat est sensible à cette problématique environnementale et il faudra sans doute plus que quelques gestes forts pour convaincre que Marseille peut enfin passer au vert.
Il devra aussi mesurer le poids réel des Insoumis solidement ancrés dans des quartiers en grande souffrance. Dans l’investigation parue chez Flammarion (La Meute, de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou) un chapitre consternant rappelle comment le député Sébastien Delogu se projette « futur maire de Marseille ». Son collègue Emmanuel Bompard, l’oreille et la voix du chef, devrait lui rappeler que derrière les municipales se profile pour LFI « la mère des batailles », la présidentielle. Et Delogu sera prié de se consacrer à l’avenir de celui qu’il appelle « le big boss », Jean-Luc Mélenchon. Et donc de relayer un programme national à partir de problématiques locales. Payan a choisi l’esquive, voire l’ignorance, pour traiter cet extrême. Il réservera ses coups au RN et ses satellites, en espérant que la droite républicaine s’entête à relayer les thèmes qui font la matrice de l’extrême droite.
Lors de sa prestation au Karaoké du parc Borély on aura remarqué que Benoît Payan avait un certain talent pour pousser la chansonnette. Mais pour le concert des municipales il faudra avoir du coffre pour attirer les voix. Le street-artist, Bansky vient de graver nuitamment sur un mur des Catalans un phare (photo ci-dessous), dont le succès a été immédiat. Payan se contenterait volontiers d’une balise pour tracer la route six ans de plus.