Par Hervé Nedelec
Terrifiante semaine où, en cette ville tellurique sont une fois encore remontées à la surface des jours, comme un magma profond, des violences multiformes.
Violence ainsi d’une bande de cinq huluberlus saluée comme exemplaire par un élu de la République, l’incorrigible Stéphane Ravier. Ces tristes chenapans s’en étaient pris, il y a quelques mois, par la force de tristes mots, à l’association SOS Méditerranée. Des jeunes aux idées vieilles et usées, membres de « Défends Marseille » avaient commis « l’acte héroïque », selon Ravier, de déployer une banderole hostile aux migrants : « qu’ils retournent en Afrique ».
Devant le tribunal qui les entendait, nos mousquetaires de la ségrégation ont choisi, sans doute sur les conseils avisés de leurs défenseurs, de faire profil bas. Me Alain Lhote en partie civile a fait voler en éclat leur profession de foi : « Loin de défendre Marseille vous salissez son histoire ». En réquisition il a été suggéré que cette sympathique engeance passe un temps – trois mois – au camp des Milles pour un « stage de citoyenneté ». Ils pourront peut-être apprendre qu’un célèbre peintre et sculpteur, menacé par les nazis et le régime de Pétain, a séjourné là, en 1939 et 1940, à deux pas d’Aix « la belle endormie ». Max Ernst, ce grand esprit germano-américano-français, a gravé pour notre mémoire collective quelques belles vérités. Celle-ci notamment : « C’est en se débarrassant de son opacité que l’univers se fond dans l’homme.»
Violente encore la défense, toujours devant la justice, de ceux qui refusent, avec une obstination abyssale, toute forme de responsabilité dans ce que l’on appelle désormais « le procès de la rue d’Aubagne ». Jean-Claude Gaudin n’étant plus, c’est vers son ancien adjoint chargé de l’habitat, Julien Ruas, que se braquent les projecteurs crus de l’accusation. Droit dans ses mocassins l’élu esquive, se dérobe, tente de s’effacer. L’effet produit laisse perplexe. Alors un renfort de poids vient à sa rescousse. Claude Bertrand, l’homme de l’ombre du gaudinisme, la tête pensante du monarque républicain disparu, tonne de cette voix dont il était, au moins en public, si économe. Une fois encore et sans émotion, comme il a habitué tous ceux qui ont eu à l’approcher, il claque d’un ton péremptoire une vérité. « Si un élu est compétent dans le domaine où il est adjoint, assène-t-il, il va devenir le chef de service et ce n’est pas une bonne chose. Et la plupart du temps, les élus n’ont pas de compétence quand ils arrivent sur une délégation ». Jean-Pierre Chanal, ex-adjoint au directeur général des services (DGS) enchérira à l’identique. « Dans une ville, le maire a une autorité territoriale, le DGS a une autorité hiérarchique donc aucun adjoint ne peut intervenir. Le rôle de l’adjoint est d’impulser les choix politiques, mais il n’a aucune autorité, aucun pouvoir d’imposer ». Incompétent, donc et sans aucune autorité. L’élu réduit à la fonction congrue. Ainsi fut enfoncé le clou de l’irresponsabilité de l’édile mis en cause, et crucifié un peu plus l’espoir de vérité des familles des victimes.
Violence toujours mais dans le domaine de la politique politicienne. Si Benoît Payan peut s’enorgueillir d’être le quatrième maire le plus sollicité des médias, il le doit sans doute en partie à Jean-Luc Mélenchon et à sa garde prétorienne marseillaise, Manuel Bompart et Sébastien Delogu. Le grand timonier des Insoumis vient de déclarer qu’il ne ferait pas de la mandoline sous le balcon d’Anne Hidalgo, pour former une liste unitaire aux prochaines municipales à Paris. C’est à quelques nuances lexicales près, ce que disent ses élus phocéens à l’adresse de Payan, élu sans leur soutien. Ce dernier devra cependant batailler s’il veut contenir les injonctions violentes de son extrême gauche, d’autant que ses alliés écologistes louchent avec envie sur l’implantation de LFI dans les secteurs qu’ils ont conquis (1). Mais que construire avec de tels partenaires ? Sur France Inter dans l’excellente émission « En quête de politique » Thomas Legrand, Lilian Alemagna (Libération) et François Bazin (ex du Nouvel-Obs) se sont livrés à une analyse implacable. Si le mendésisme menait à une forme de social-démocratie, si le rocardisme a tenté de dessiner une nouvelle gauche résolument pragmatique, le mélenchonisme ne débouche que… sur Mélenchon. Certains au Printemps marseillais concèdent en off que la plaie publique c’est lui. D’autant que pour Mélenchon le temps biologique talonne le temps politique. Il n’ignore pas que la vieillesse peut être un naufrage et si on ne se rallie pas à son panache rouge, il préfèrera le sabordage de la flotte de gauche. Au plan national comme à Marseille.
Violence persistante pour ces populations oubliées de tous où prospère, malgré la pugnacité de la justice et des forces de l’ordre, les fléaux 2.0 de ce siècle affolant, l’intégrisme et le narcotrafic. « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ! » implorait en son temps le grand Victor Hugo. A Marseille la prison a largement dépassé le taux admissible d’occupation. Les magistrats ne nient pas qu’elle demeure l’école du crime. Et les écoles, malgré la résistance louable d’héroïques enseignants, sont devenues des territoires interdits pour évoquer des fondements de l’enseignement public, l’histoire et la laïcité notamment.
Le ministre délégué à la Réussite scolaire (Ndlr : Interdit de rire !) Alexandre Portier, a cru bon d’ajouter aux écueils que doivent contourner les pédagogues, son grain de sel saumâtre. L’éducation à la sexualité qu’il remet en cause est inscrite dans le code de l’éducation (articles L.121-1 et L.312-16) depuis 2001 et est obligatoire au trois niveaux de scolarité : école, collège et lycée, à raison d’au moins trois séances annuelles, par groupe d’âge homogène. Les grands syndicats enseignants sont du coup vent debout contre ce qu’ils dénoncent comme des contre-vérités du ministre, qui a notamment pointé du doigt la théorie des genres comme un des thèmes abordés. Il a été contredit sèchement par la ministre de l’Education. « Avec la violence, vous pouvez tuer le menteur, mais pas le mensonge » disait Martin Luther King.
Dans les quartiers oubliés de Marseille, sans les prémices d’une éducation sexuelle, le patriarcat a de beaux jours devant lui et les jeunes prostituées, esclaves sexuelles des narco-trafiquants, auront du mal à briser leurs chaînes. L’école a été brutalement remise en cause par un sous-ministre, au moment où elle a tant besoin d’être entendue, écoutée et aidée. Violent.
1./ Frédéric Dabi directeur général de l’Ifop est venu cette semaine dire aux socialistes que se passer des Insoumis ne serait pas forcément un handicap aux municipales de 2026. La formation de Mélenchon selon ses chiffres est très peu représentée dans les villes où ses scores sont très inférieurs à ceux des scrutins nationaux.