« Enfin ça y est » ; comme l’affirmait jadis un crieur de journaux. Helsinki vient d’établir un record. « Zéro » accident mortel intra-muros en 2024. La capitale de la Finlande c’est un peu moins de 700 000 habitants. Marseille c’est 877 000. Et devinez quoi, la même année les statistiques révèlent que 37,4% des accidents mortels du département des Bouches-du-Rhône ont eu lieu dans la cité phocéenne. Soit 43 tués et 1308 blessés. Précisons que 19 tués concernaient des deux-roues et 12 des piétons. Tout est dit ou enfin presque tout.
La vitesse autorisée dans une grosse partie de la grande cité finlandaise est de 30 km/h. Mieux les contraventions pour leur dépassement peuvent aller de 120 à 200 euros. Il faut y ajouter les sanctions journalières pour des infractions plus graves au code de la route. Elles peuvent atteindre selon les cas plusieurs milliers d’Euros. La messe est dite ou pas.
La question qui demeure reste une prière : qui osera se saisir à Marseille de cette récurrente problématique de la circulation urbaine et l’inscrire au débat des élections municipales de mars prochain. D’autant que la ville n’a pas que ce chat à fouetter pour prétendre s’ancrer dans une modernité que ses citoyens attendent. En fait si l’on interpelle celles et ceux qui prétendent diriger ici et maintenant une seule injonction suffit : qui osera l’avenir ?
Examinons à l’aune de l’actualité deux urgences : la circulation d’abord et la place de l’automobile, des deux roues et bien évidemment des piétons dans nos rues. La réhabilitation du centre ensuite en grande souffrance malgré quelques progrès méritoires mais très insuffisants.
La réduction de la pollution sonore devra donc attendre des jours meilleurs pour… se faire entendre.
Tous les chiffres attestent que des changements doivent s’imposer rapidement, le risque d’une aggravation étant imminent. Des Goudes à l’Estaque, en passant par le Prado, La Valentine, Saint Antoine, Les Cinq Avenues, les Marseillais sont désormais majoritaires pour plaider pour une restriction drastique de la vitesse et un contrôle sévère de la pollution sonore. Aux Goudes, les autorités promettent l’arrivée de radars sonores d’ici la fin de l’année, mais le Préfet tempère aussitôt les ardeurs répressives. Il a précisé qu’ils ne sont pas aujourd’hui homologués et qu’une loi devra être nécessaire pour ce faire. La réduction de la pollution sonore devra donc attendre des jours meilleurs pour, osons-le, se faire entendre.
Autant que la pollution atmosphérique par la saturation des hydro-carburants qui touche et handicape, c’est avéré par les dernières analyses, plus d’un tiers de la population marseillaise et fait de Marseille une des grandes villes les plus en difficulté sur ce thème.
Là encore la marche est haute mais elle peut être franchie si l’audace politique est au rendez-vous. Pour l’heure on assiste surtout à un attentisme frileux malgré les signes forts d’un assentiment majoritaire pour se saisir de cette urgence.
En témoigne le succès durable de la « Voie est libre », la fête mensuelle qui voit une marée humaine submerger la corniche Kennedy pour faire le plein d’iode et de convivialité.
La tyrannie des non-piétons a cependant de beaux jours devant elle, même si peu à peu l’évidence s’impose. Les bus de tourisme sont désormais interdits sur le Vieux-Port mais, a contrario, certaines mauvaises habitudes ont la vie dure. Comme en témoigne le récent contrat renouvelé pour deux ans entre la municipalité et les exploitants de trottinettes malgré les nuisances, les incivilités, les dangers.
On ajoutera à ce tableau morose l’incapacité chronique de gérer sérieusement dans cette ville indocile la problématique des pistes cyclables. Il suffit de se souvenir de l’expérience clownesque qui a vu sur le premier Prado la Métropole renoncer au bout de six jours à un aménagement réservé aux cyclistes. Martine Vassal avait alors avancé que l’initiative « n’avait pas trouvé son public » contrairement à l’installation de la Canebière. L’éphémère piste cyclable avait été nommé Corona car on sortait du Covid. La mise en bière n’a pas traîné. Le ridicule ne tue pas toujours pourtant.
Deuxième urgence. Que faire pour le centre-ville en difficulté ? Une question réactualisée avec la fin programmée en novembre des Galeries Lafayette au Centre Bourse et près du Vélodrome. La fièvre acheteuse a saisi du coup les Marseillais cette semaine avec la liquidation des stocks des deux grands magasins. Benoît Payan, le maire, avance selon BFM TV une idée : si l’Etat se désengage il propose de racheter l’espace qui sera vacant au Centre Bourse. Ambitieux. Les réseaux sociaux ont instantanément libéré leur fiel. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer de quelle sphère politique sont venus les coups. Qui, de soupçonner le maire de vouloir y installer une mosquée, qui, une salle de shoot, qui encore, un espace par trop cosmopolite. Et de craindre aussi des dépenses pharaoniques, des projets fantaisistes, une hausse des impôt… à lire ses tweets, il est urgent de ne rien faire.
Le salut passe souvent par l’audace
Pourtant en revisitant l’Histoire de la ville, on se rend compte que même s’il est souvent périlleux d’avoir raison trop tôt, le salut passe souvent par l’audace. On pense bien sûr à la Cité Radieuse qui fête ses 73 ans. Lorsque Le Corbusier au sortir de la Seconde Guerre mondiale et devant l’urgence sociale a inventé ce révolutionnaire « vivre ensemble » nombre de Marseillais l’ont fustigé baptisant son chef d’œuvre « La Maison du Fada ». Aujourd’hui dans le monde entier cette architecture conviviale a inspiré des centaines de réalisations.
Rudy Ricciotti, revendique lui l’Insoumission (Albin Michel) en matière architecturale. Il surprend en affirmant que pour réhabiliter la ville il ne s’agit pas de « tout changer, mais de rénover l’espace public ». Il a réussi cette gageure au Mucem où se tutoie dans une belle symbiose sa dentelle de béton et les murs séculaires du fort St Jean. Un bémol apporté à la LR Laure-Agnès Caradec lorsqu’elle s’interroge : « qui accepterait aujourd’hui les tours Labourdette au centre-ville ». Pour Riccioti la question serait plutôt, quoi en faire et comment.
C’est sans aucun doute le chemin à emprunter pour redonner vie au Centre Bourse. Martine Vassal et ses équipes de campagne avancent l’idée d’un référendum pour trancher entre cinq projets qu’ils ont opportunément imaginés pour ce point nodal de la vie commerciale du centre. Efforts méritoires pour favoriser une concertation avec les citoyens. Mais là encore il ne faut pas avoir la mémoire courte et ne pas céder à la dictature de l’opinion publique. Souvenons-nous que lorsque le projet d’Ombrière ou Miroir du Vieux-Port conçu par l’architecte Norman Foster et le paysagiste urbaniste Michel Devisgne a été porté à l’attention du public, en 2010, l’accueil fut parfois très réservé. Qui conteste aujourd’hui sa présence et son succès ?
Encore un exemple. Nos confrères de La Provence ont organisé cette semaine dans les colonnes de leur titre un « match entre Aix et Marseille ». Eh bien, si la cité du Roi René avait soumis la piétonisation de son centre à référendum, elle n’aurait pas pris les longueurs d’avance qu’elle compte en la matière sur sa grande voisine. Conclusion : puisque Marseille dans cette confrontation est de loin la meilleure pour la création cinématographique le seul maître mot à prononcer après les municipales c’est : « action ! »