« Ce film est un miracle ! » lance joyeusement Arantxa Etchevaria à la salle archicomble du cinéma Le César, à Marseille. Invitée du festival Cinehorizontes, la réalisatrice basque, venue présenter, jeudi 15 novembre, son premier long métrage Carmen y Lola, n’en revient pas d’avoir réussi à mener à terme un projet qui lui aura valu bien des batailles.
À commencer par le sujet, l’histoire d’un amour «interdit» entre deux jeunes gitanes dans la banlieue de Madrid que les producteurs n’ont pas vue d’un très bon œil au départ, sans parler des difficultés que la cinéaste a rencontrées pour s’ imposer auprès de la communauté gitane. Un véritable parcours de combattante qui a porté ses fruits en mai dernier, à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes où Carmen y Lola a été ovationné. Une belle victoire de la cinéaste féministe, confortée par l’attribution du Prix Belle Jeunesse que lui ont décerné les étudiants de Science-Po Aix au festival Cinehorizontes, vendredi. Autant de présages qui laissent augurer un bel avenir à ce premier film lumineux au sujet fort.
C’est votre premier long-métrage mais vous avez une longue expérience dans le cinéma. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?Arantxa Etchevaria : J’ai commencé à travailler dans le cinéma à l’âge de dix-huit ans en tant que technicienne, à la direction puis à la réalisation, mais j’avais honte de raconter mes propres histoires. Je ne sais pas pourquoi. Un jour, je me suis aperçue que j’étais en train d’aider un réalisateur à faire son film, de changer le texte, de placer la caméra etc. Là, il m’arrête et me dit : «Il faut que tu fasses ton propre film. » J’ai commencé à réaliser des courts-métrages qui, par chance, ont eu du succès, puis des documentaires qui est ma passion. Je me suis dit alors qu’il fallait avoir le courage de m’exposer et de raconter tout ce que je voulais raconter. Il faut dire que c’est très difficile d’être une réalisatrice de cinéma en tant que femme. La preuve : j’ai 50 ans et c’est mon premier film !
Comment est née l’idée de réaliser un film sur l’homosexualité au sein de la communauté gitane ?
A. E. : Je voulais parler de ce thème en particulier parce que je suis très féministe. Le monde de la femme dans la communauté gitane m’a toujours touché. Pour les Espagnols, les gitans sont presque invisibles et pourtant ça fait 600 ans qu’ils cohabitent avec nous. Je n’avais pas une relation étroite avec eux mais elle était suffisante pour comprendre leurs problèmes. En 2009, j’ai lu un article sur le premier mariage entre deux femmes gitanes. On voyait des photos d’elles mais de dos avec de faux prénoms. Personne n’était allé à leur mariage, pas même leur famille, le pire qui puisse arriver à un gitan ! J’ai imaginé alors cette première histoire d’amour avec Carmen et Lola.
Comment avez-vous réussi à investir la communauté gitane?
A. E. Une véritable aventure ! J’ai dû m’immerger dans un monde où j’étais une étrangère. En tant que femme, c’est très compliqué. Les gitans voulaient parler uniquement à des hommes mais pas avec moi. Cela m’a pris quatre ans pour réussir à me faire respecter et pour arriver à une sorte de communion avec la communauté.
La plupart des acteurs ne sont pas des professionnels. Comment avez-vous choisi Rosy Rodriguez (Carmen) et Zaïra Morales (Lola) qui sont de véritables révélations ?
A. E. Faire ce film avec des vrais comédiens aurait été très difficile déjà. Mais le faire avec des non-professionnels a été épuisant et merveilleux en même temps. J’ai vu 1 234 gitans pendant six mois. Quand je voyais quelqu’un qui correspondait au personnage que j’avais écrit, je travaillais beaucoup avec l’improvisation. J’ai eu la chance de trouver Lola, Zaïra Morales, le premier jour de casting. Elle n’a pas fait d’essai avec un texte, elle était juste assise avec eux. Pour le rôle de Carmen c’était différent, il me fallait une figure plus traditionnelle, plus conservatrice. lorsque je trouvais quelqu’un pour jouer le rôle, il fallait demander la permission des parents et ils n’auraient pas accepté. Pour ne pas leur faire peur tout de suite, je leur ai posé ce genre de question : «Est-ce que cela te gênerait si je te demande de fumer ? ». La fille répondait « Je ne peux pas fumer. Si je fume devant un homme, c’est un manque de respect ». Imaginez embrasser avec une femme… Carmen a été la numéro 850, j’étais au bord du suicide. Elle était mariée depuis l’âge de 15 ans et son mari l’a autorisée à faire le film.
Vous abordez le sujet de l’homosexualité entre ces deux adolescentes de façon délicate, en même temps, il y a des scènes plus évocatrices sans être voyeuse ?
A. E. La partie délicate, c’est pour vous toucher le cœur et quand j’ai votre cœur… Je voulais que le public, en général sans être homosexuel ou bisexuel, tombe amoureux de ces deux filles.
Quelles ont été les réactions du public en Espagne notamment dans la communauté gitane ?
A. E. Le film est sorti il y a dix semaines, il est toujours dans les salles. Un jour il y a eu une réaction très virulente. Des gitans sont rentrés et ont commencé à hurler des insultes devant l’écran. D’un autre côté, j’ai reçu des messages de femmes mariées ou de jeunes gitans pour me remercier de montrer la réalité. Récemment une jeune femme gitane m’a écrit pour me dire qu’elle allait mener sa maman voir le film, cela m’a beaucoup touchée.
Quels sont vos projets aujourd’hui ?
A. E. Je vais réaliser une série pour la télévision espagnole, je suis en cours d’écriture, sur la deuxième génération d’immigrés chinois en Espagne. On a beaucoup d’immigrés chinois et c’est incroyable de voir ces jeunes filles de seize ans qui parlent parfaitement l’espagnol, qui se sentent espagnoles alors que les parents ne parlent pas un mot d’espagnol. C’est un choc culturel hallucinant.
Informations utiles
Sortie nationale du film mercredi 14 novembre 2018
Cinémas Le César (Marseille), Le Renoir (Aix-en-Provence), 3 Casino (Gardanne)