Voici un quart de siècle, Marcel Maréchal quittait Marseille, après avoir, durant deux décennies, réjoui les publics du Sud. Il vient de mourir à l’âge de 83 ans .
Une légende familiale raconte que, nouveau-né, il aurait joué le rôle de l’enfant Jésus, dans une crèche lyonnaise… Précoce destinée !
Au milieu des années 70, le maire de Marseille veut transformer la vieille halle de négoce du poisson, quai de rive neuve, en scène théâtrale. Le nom et la façade demeureront : la Criée. Defferre sollicite l’acteur pour inventer ce nouveau lieu d’art vivant à vocation nationale. Maréchal a déjà bâti sa renommée dans la patrie de Guignol. Tour à tour saltimbanque, auteur, directeur de salle, metteur en scène, animateur de troupe, cet autodidacte va devenir, sur le Vieux-Port, un patron généreux et charismatique; sur scène un ours aérien, un cabotin sublime.
Avec Scapin et ses fourberies, il inaugure en mai 1981 ce théâtre manquant aux Marseillais depuis un gros siècle. Au même moment, Gaston Defferre devient ministre de la décentralisation. Séduction réciproque entre les deux personnalités. Le navigateur protestant -peu sentimental en général – dira un jour, face à une caméra : «si Maréchal était une femme, j’en serais amoureux !»
De Rabelais à Beckett, d’Audiberti à Novarina, ce danseur baroque aura diverti plus de deux millions de spectateurs… près de la moitié des gens de Provence !
Vagabond céleste
A deux pas du ferry-boat si prisé de Pagnol, Maréchal accueille aussi des compagnies locales. Blaguebolles ou Cartoon sardine laissent ici de mémorables souvenirs. Sont invités de fameux collègues, Savary ou Pierre Arditi, comme Marina Vlady.
Le maître des lieux se prête aux compositions les plus extravagantes. Capitaine Fracasse ou Hamlet, (le prince désabusé ), Galilée vu par Brecht, ou Cripure, le vagabond céleste créé par Louis Guilloux. Et même le mélancolique oncle Vania dans la cerisaie de Tchekhov.
Maréchal aime la résonance : jeter des ponts signifiants entre les grands textes et l’actualité. Quand Washington bombarde Bagdad (en 1991), La Criée affiche La Paix, signée Aristophane, quatre siècles avant notre ère ! En novembre 1989, la troupe phocéenne joue Molière à Berlin. Sganarelle-Maréchal escorte Arditi-Don Juan…et à l’entracte, tout le monde tombe perruque et costume, pour rejoindre le peuple allemand en train d’abattre le mur !
En 1995, Maréchal part vers les Champs Elysées, diriger le théâtre du Rond-point. Suivront les Tréteaux de France … Une tournée de dix ans avec Hugo ou Musset, jusqu’Outre Mer et à l’étranger. Puis le comédien se retirera du côté de Cucuron, au pied du Luberon.
Passant devant la Criée, comment ne pas revoir cette silhouette du boxeur au grand coeur, ce visage mangé d’un appendice qu’aurait envié Cyrano clamant : « Que dis-je c’est un cap ? C’est une péninsule… «Aucun vent ne peut, nez magistral, «T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »