Le Chantier Naval de Marseille tient de nouveau la forme

Attendue depuis plus de deux ans, la forme 10 a enfin repris du service. Son premier client, le MSC Orchestra (2 550 passagers), est arrivé lundi 23 octobre dans le bassin géant pour un arrêt technique de trois semaines. La compagnie maritime a choisi Marseille et sa grande cale sèche pour la pose des fameux scrubbers, ces nouveaux systèmes dʼépuration des gaz dʼéchappement qui doivent réduire la pollution des bateaux. Une première qui encourage les entreprises du port à sʼappuyer sur la nouvelle forme de radoub pour relancer la filière de la réparation navale. « Il y a sept ans, le secteur était presque mort à Marseille. Lʼarrivée de la forme 10 lui offre la possibilité de reconquérir ce marché et même de devenir très rapidement le leader en Méditerranée », affirme Ferdinando Garré, patron de San Giorgio del Porto. Le principal actionnaire du Chantier naval de Marseille (CNM), lʼentreprise exploitante de la forme 10, compte tout dʼabord convaincre les grandes compagnies de croisières de choisir Marseille pour faire les travaux sur leurs paquebots.

La cité phocéenne fait aujourdʼhui partie du top 20 des destinations mondiales et les professionnels du refit maritime comptent se servir de cette dynamique pour accroître leur activité. Le pari semble dʼores et déjà gagnant pour le Chantier naval de Marseille. Après le MSC Orchestra, la forme 10 accueillira deux belles embarcations du groupe Costa Croisières (actionnaire à 34 % de la société Chantier naval de Marseille) : le Costa Magica (3 500 passagers) du 15 au 25 novembre et le Costa Pacifica (3 800 passagers) du 27 novembre au 6 décembre. Le groupe MSC prévoit également dʼy envoyer à lʼautomne 2018 un deuxième bateau, le MSC Splendida, notamment pour lʼéquiper dʼun scrubber comme son compatriote en cale sèche actuellement. Enfin, sur les deux autres formes 8 et 9, le CNM va accueillir quatre autres navires dʼici la fin de lʼannée : le Costa Neoclassica (1 700 passagers), le MSC Magnifica (2 500 passagers), lʼAidaBlu (2 200 passagers) et le Ponant. « Avec les formes 8 et 9 et maintenant la forme 10, nous pouvons accueillir toutes les tailles de bateaux. On vise donc naturellement la croisière mais ce ne sera pas suffisant si nous voulons travailler toute lʼannée. Pour lʼinstant, nous sommes à six mois dʼactivité et on doit passer à onze », prévient Jacques Hardelay, le président du CNM.

Après les bateaux de croisières, les méthaniers et les off shore

Lʼactivité du refit pour la croisière présente lʼavantage de prévoir les arrêts techniques au moins un an à lʼavance, offrant de la visibilité aux entreprises. Par contre, la saisonnalité de cette activité fait que les mises en cale sèche se font en période creuse majoritairement dʼoctobre à février. Pour le reste de lʼannée, il faut donc trouver de nouveaux débouchés. « Nous avons déjà commencé à démarcher de nouveaux clients et cela devrait se conclure par de nouveaux chantiers pour le mois de janvier et février, notamment pour des ferries », annonce Jacques Hardelay. Mais la taille exceptionnelle de la forme 10 doit surtout permettre à lʼentreprise de toucher les méthaniers aux dimensions hors-normes.

Contrairement aux paquebots, ces navires peuvent effectuer leurs réparations au printemps et en été. « Ça dépend de leur parcours. Les armateurs décident dans un délai assez court dʼeffectuer un arrêt technique et choisissent leur chantier en fonction de la proximité et de la capacité dʼaccueil. Il faut donc que ces derniers passent par le port de Marseille-Fos », explique Jacques Hardelay. La dernière cible du CNM est les compagnies de recherche de pétrole off-shore. « Pour lʼheure, ce secteur est quasiment à lʼarrêt mais il va bientôt repartir. Il faudra alors il faudra mettre en avant nos atouts comme la forme 10 et notre savoir-faire dʼexception pour conquérir ce marché », avance Ferdinando Garré. Avec la forme 10, le Chantier naval de Marseille sʼest doté de la plus grande cale sèche de Méditerranée et prend un avantage certain sur des ports comme Gênes ou Barcelone qui ne sont pas dimensionnés pour accueillir des navires de grandes tailles.

Ces principaux concurrents proches les chantiers Fincantieri à Palerme et Navantia à Cadix qui disposent également de trois formes de grande taille mais sans rien de comparable avec la forme 10. Le port de Marseille doit également faire face à une forte concurrence à lʼEst de la Méditerranée : « Les roumains, les turcs et les slovènes pratiquent des tarifs de 20 % à 50 % moins chers. Pour se démarquer, nous misons sur la complexité de nos compétences. Pour lʼinstallation dʼun scrubber, par exemple, un armateur ne prendra pas le risque dʼenvoyer son navire sur lʼun de ces chantiers à bas coût », affirme Jacques Hardelay. Qui dit compétence, dit main d’œuvre et pour le moment, la filière marseillaise de réparation navale se heurte à un manque de personnel formé sur le territoire. « Pour lʼinstant, nous sommes incapables de trouver cinquante soudeurs pour un chantier de quinze jours », avoue le patron. Résultat, il doivent régulièrement faire appel à de la main-d’œuvre italienne ou dʼEurope de lʼEst.

Renforcer lʼoffre de formation pour attirer de nouvelles compétences

En 2010, le CNM comptait une cinquantaine de salariés contre 127 aujourdʼhui et réalise un chiffre dʼaffaires de 32 millions dʼeuros. Son activité a fortement augmenté et avec lʼarrivée de la forme 10, la société sʼattend à une augmentation de la demande (CA prévisionnel 2018 : 40 millions dʼeuros) qui va nécessiter de nouvelles embauches. « Nous recrutons autant dʼapprentis que possible mais les jeunes ont encore une mauvaise image des métiers liés à la réparation navale », regrette Jacques Hardelay. Soudeurs, chaudronniers, mécaniciens… les profils recherchés sont très diversifiés et la filière peinent à attirer la nouvelle génération. La directrice du port, Chritine Cabau-Woehrel, milite pour un développement de lʼoffre de formation au niveau régional : « On travaille avec lʼacadémie pour lʼouverture de nouvelles filières et la promotion de ces métiers qui débouchent sur de vrais besoins des entreprises », assure-t-elle. Lʼidée de la création dʼune école des métiers de la mer avancée par Jean-Luc Mélenchon prendrait donc ici tout son sens mais pour la patronne du port, ce nʼest pas indispensable : « Les formations existent un peu partout dans les lycées au niveau CAP et Bac pro. Il faut juste les rendre plus attractives et communiquer sur les opportunités quʼoffre le port », insiste-t-elle. Ancien cadre des chantiers de Saint-Nazaire, Jacques Hardelay souhaiterait sʼinspirer de la filière de la façade atlantique pour adapter lʼoffre de formation locale aux métiers de la réparation navale. Plus près, il envisage de nouer des partenariats avec dʼautres entreprises des chantiers de Toulon, par exemple, pour trouver de la main d’œuvre qualifiée. « Notre développement passe inévitablement par la restructuration dʼune filière complète de sous-traitance aujourdʼhui insuffisante », estime Jacques Hardelay. Actuellement, le CNM travaille avec une dizaine dʼentreprises sous-traitantes comme Sud Marine ou Palumbo sur les bassins est de Marseille qui emploient une cinquantaine de personnes. Le port de Marseille emploie lui-même 80 personnes sur ce secteur. Le CNM milite pour un regroupement des entreprises de la réparation navale qui nʼa aujourdʼhui aucune existence juridique. « Association, GIE, cluster… peu importe la forme que cela prendra, lʼimportant est de jouer collectif pour être plus visible et partager nos ressources », réclame-t-il.

REPERES
Chiffre clés de la forme 10 :

– Dimensions : 465 m de long, 85 m de large et 11,50 m de tirant dʼeau
– Plus grande forme de radoub de Méditerranée et 3ème mondiale derrière Lisbonne et Dubaï
– La forme 10 a été construite en 75 et elle a été mise à lʼarrêt en 2001
– Lʼinvestissement total pour la remise en service est de 31,1 millions dʼeuros : État : 10,3 M€, Conseil Régional : 2,1 M€, Conseil – Départemental : 1,6 M€, Grand Port Maritime de Marseille-Fos : 8 M€ en fonds propres et 6 M€ via un prêt auprès de la Caisse des Dépôts, Chantier Naval de Marseille : 3 M€
– 13,3 millions d’euros ont été investis sur le seul bateau-porte

La forme 10, une nouvelle étape dans le développement du Port

La remise en service de la forme 10 est une nouvelle case cochée par le grand port maritime sur sa liste dʼétapes à franchir afin de devenir leader en Méditerranée. Son destin est étroitement lié à celui du territoire et il doit travailler de concert avec les autres acteurs pour se développer. Par exemple, « la création de nouvelles lignes directes au départ de lʼaéroport de Marignane est un enjeu crucial pour le port », annonce Christine Cabau-Woehrel, la directrice du port. Le secteur maritime est également train dʼeffectuer sa mutation vers des carburants plus propres et le port a planifié la mise à disposition dʼun navire avitailleur en gaz naturel liquéfié. Lʼaménagement du Cap Janet, dont le chantier a déjà démarré est également lʼun des points clés de la mutation du port. Sur les bassins Est, son emprise foncière fait pleinement corps avec le tissu urbain et les projets communs avec Euroméditerranée et la Métropole se multiplient. « Nous avons déjà ouvert nos terrains à la Ville avec le Silo et les Terrasses du Port. On sait le faire et on a dʼautres projets en ce sens », assure Mme Cabau.