Jean-Claude Gaudin est né tôt en politique. On pourrait même écrire qu’il n’était né que pour ça. Jeune professeur d’histoire et de géographie à Saint-Joseph chez les Maristes, il n’a pas eu à attendre longtemps avant de pouvoir en 1965, sous l’étiquette du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), rejoindre la majorité de Gaston Defferre réélu alors maire de Marseille. Depuis 1962 le CNIP d’Antoine Pinay et la SFIO de Guy Mollet ont rompu avec le général De Gaulle remettant en cause notamment sa gestion de la crise algérienne qui a débouché sur les accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie. Une signature dénoncée dans « Le coup d’Etat permanent » par un certain François Mitterrand dans la genèse de son accession à la présidence de la Ve République. Gaudin a alors 25 ans. Sa longue marche vers le Petit Palais amarré au Lacydon ne fait que commencer.
Le catholique et le protestant
Jean-Claude Gaudin n’était pas un proche de Defferre mais il sera un allié fidèle et respectueux. Leur antigaullisme les rapproche et le jeune Gaudin est bluffé par cet homme à poigne auréolé de ses faits de résistance qui tient avec fermeté une ville martyrisée par la guerre, appauvrie par la fin des colonies et gangrénée par la pègre où les parrains jouent les juges de paix et composent peu ou prou avec le pouvoir local. Une évidence, Gaudin est un « catholique social » revendiqué, quand Defferre est un protestant affirmé. Ce qui n’oppose pas, bien au contraire, le Provençal et le Cévenol. C’est la signature du programme commun qui scellera leur divorce, Gaudin ralliant Giscard d’Estaing pour qui il n’avait qu’une estime distante, alors que Defferre, contraint, se ralliait à Mitterrand pour lequel sa considération était modérée. Jean Chélini, professeur de droit canonique arguera dans les années 80 de son influence auprès de Gaudin. Elle a permis surtout à celui qui se disait volontiers « baigné d’eau bénite » de se rapprocher du Vatican où il avait ses entrées et se rendait souvent avec son ami et futur premier adjoint Roland Blum. Ses adversaires lui ont prêté longtemps une appartenance à l’Opus Dei, sans que l’information ne soit jamais avérée.
Les années 80, son pain noir
Rien ne sera épargné à Jean-Claude Gaudin pendant les années 80. Defferre et sa pratique rouée des médias le mettra souvent en difficulté d’autant qu’il possède à Marseille l’arme fatale, Le Provençal, où quelques plumes acérées en tête desquelles Jean-René Laplaine, s’en donne à cœur joie. D’autant que Le Méridional qui pourrait le défendre est aux mains des tenants d’une droite dure voire extrême comme Gabriel Domenech, futur député frontiste de Marseille. Gaudin met pourtant en difficulté Defferre en 1983, en arrivant en tête en nombre de voix aux élections municipales. Mais il perd finalement à cause de la Loi PLM (Paris Lyon Marseille) que le sortant, ministre de l’Intérieur, a bâti en sa faveur. Gaudin estime alors qu’on a volé son élection et il ne cessera de le répéter à longueur de cette décennie. La mort prématurée de Defferre lui redonne cependant espoir, d’autant que la droite est avec Jacques Chirac au gouvernement et que les socialistes marseillais se divisent accusant leur leader Michel Pezet de « parricide ».
Mais Chirac le Corrézien et Gaudin le Marseillais ont peu de choses en commun, si ce n’est une aptitude féroce à se tenir bien en table. Un tour de passe-passe orchestré par l’Elysée aura raison des ambitions de Gaudin et c’est le professeur Robert P. Vigouroux qui après avoir assumé l’intérim réussira l’exploit d’un grand chelem en 1989 (Huit secteurs sur huit). Gaudin vivra une de ses pires périodes. Il ne le cache pas à ceux qui le suivent comme l’auteur de ces lignes alors envoyé spécial permanent de l’Agence Centrale de Presse. Il sera attaqué sur sa vie privée comme ce soir où, au micro de la très gaulliste Danièle Brem, Pascal Arrighi député du FN déclare : « Jamais Marseille ne sera gouvernée par trois homosexuels ». Le lendemain, alors qu’il apporte son soutien lors d’une législative partielle, il est assailli de micros et de caméras. Ruth El Krief de RTL le presse d’apporter réponse à la saillie d’Arrighi. Il repousse la meute. Quelques minutes plus tard il me confie : « Vous savez chaque matin à Mazargues, je me précipite chez mon marchand de journaux pour vérifier qu’une saloperie ne tombe pas sous les yeux de mes parents ! ». « En politique on tue, on ne blesse pas » : c’est alors vérifié. Pour faire bonne mesure M. Vigouroux dans un entretien à Globe, un magazine créé par le très mitterrandolâtre Pierre Berger, déclare lors des élections municipales : « J’ai une famille, mes adversaires ne peuvent pas en dire autant ». Mais pour Gaudin le chemin de croix ne fait que commencer.
La poussière sous le tapis
Paradoxalement si la carrière marseillaise de Gaudin est quelque peu entravée, son ascension à Paris s’affirme. Alors que le RPR commence à se fissurer autour de Chirac, avec les velléités des Pasqua et autres Balladur, l’UDF, où Gaudin a trouvé ses marques depuis les municipales ratées d’un cheveu de 1983, prospère. Mais c’est au prix de quelques contorsions plus ou moins avouables que l’enfant de Mazargues gravit les marches qui tôt ou tard espère-t-il le conduiront à la mairie. S’il s’en défend mollement, comme il le fit auprès de nous, il ravit le Région Provence Alpes Côte d’Azur au socialiste en faisant alliance avec le Front National de Jean-Marie Le Pen. Bernard Tapie son adversaire le plus bruyant tentera en vain, avec les méthodes qu’on lui connait, de faire barrage. Le PC ne se rangera pas derrière le protégé de l’Elysée et Gaudin rappellera alors à longueur d’intervention que c’est à Mitterrand et sa part de proportionnelle que l’on doit l’émergence du FN, dans le jeu politique national. Le dessinateur Plantu à la Une du Monde caricature Gaudin entouré de mouches ce que l’élu marseillais ne digère pas. Il encaisse. Mais depuis l’hôtel de la Région il sait qu’il n’est plus désormais qu’à quelques mètres de la mairie qu’il convoite depuis toujours et il guette le moindre grain de sable qui peut enrayer sa machine.
C’est une affaire de cornecul qui faillit alors le faire tomber. Deux frères, Fernand et Christian Saincené, 52 et 48 ans, sont retrouvés dans leur maison varoise morts asphyxiés dans leur voiture. Le directeur de cabinet à la Région de Gaudin est convoqué menottes aux poignets par la juge Murciano à Grasse. On parle déjà d’assassinat politique, d’autant que dans le Var quelques mois auparavant la députée frontiste Yan Piat est tombée sous les balles de deux tueurs à moto. On évoque plusieurs pistes dont une mène au juge Van Ruymbeke. Il enquête alors sur les financements du Parti Républicain. Puis tout se dégonfle. Le profil des deux frères est décrit comme celui de deux pieds-nickelés jouant les policiers, établissant, jusqu’à Jean-Pierre Papin, des fiches farfelues, se disant organisateurs du service d’ordre de Gaudin. L’ami le plus proche du président de Région, Claude Bertrand, est relâché. L’affaire est classée. Sans suite, à l’exception d’un livre de deux journalistes qui seront sévèrement condamnés pour diffamation.
Montée en puissance
1995 est l’année que Gaudin espérait. Sénateur depuis 1989 il a su attendre son tour. La disparition de François Mitterrand le triomphe de Jacques Chirac, le renoncement de Robert P. Vigouroux qui ne revendique pas un nouveau mandat, tous les astres sont parfaitement alignés et Jean-Claude Gaudin voit exaucées ses nombreuses prières. Au palais du Luxembourg, la Bonne Mère trône sur son bureau de vice-président et puisque le ciel est avec lui, il ne peut désormais que régner sur le Vieux-Port.
Il a eu un moment une crainte et ne nous cachait pas son agacement en 1994, lorsque son fringant allier, Renaud Muselier paradait sur toutes les chaînes de Télé pour raconter, minerve à l’appui, sa sauvage agression par les dockers du Port autonome. Jacques Chirac alors Premier ministre avait témoigné de son admiration pour le petit-fils de l’amiral Muselier, libérateur de Saint-Pierre et Miquelon. L’épisode fait long feu et « muso » rongera son frein. Il accepte de rentrer dans le rang que lui désigne Gaudin pour affronter les socialistes qui partent au combat derrière Lucien Weygand, dont le charisme n’a jamais dépassé les murs de son magasin d’articles de pêche.
Gaudin ceint l’écharpe pour laquelle il s’est toujours battu. Il attendra vainement l’onction de la veuve de Gaston Defferre Edmonde Charles Roux. Dans un geste qu’il souhaite noble il fera même livrer au siège du Provençal, le fauteuil dans lequel l’ancien maire régnait.
Qu’importe depuis sa mairie où il peut observer les va-et-vient du Ferry-Boat, il règne désormais sans partage sur ses troupes et particulièrement à l’UMP où il présidera la très convoitée commission d’investiture. C’est que l’homme est connu pour sa connaissance chirurgicale du terrain politique. Il nous confiait alors : « Si je vous amène avec moi en hélicoptère, je peux vous dire de villes en villages qui sont mes grands électeurs dans le département ! ». Ce n’était pas une tartarinade.
Je me charge de mes ennemis intimes
Gaudin aura finalement régné en maîtrisant l’art très florentin de tenir certains amis à distance et en se chargeant d’abord de ses ennemis.
Renaud Muselier aura été, pour s’auto-proclamer trop tôt l’héritier légitime, un des premiers à désenchanter. Gaudin fonctionnait en cercle restreint avec quelques collaborateurs aussi fidèles qu’impitoyables avec l’adversité. On citera Bertrand bien sûr mais encore Gondard ou Batin. Hors d’eux point de salut !
Il avait également une connaissance approfondie de l’âme marseillaise qu’il savait prompte à tourner dans le sens du vent. Il a vu ainsi avec crainte s’amplifier le phénomène Tapie auréolé de ses exploits en Coupe d’Europe.
Il n’était pas un homme de dossier et en 1989 alors que le professeur Jean-François Mattei s’extasiait dans un bus chargé d’une vingtaine de journalistes sur le programme municipal qu’il avait concocté, Gaudin se tournant vers nous avait lâché : « Ah ça on peut dire qu’il en a dans la tête celui-là ! ». Le malheureux venait de remercier Gaudin pour l’autoroute du littoral où nous étions et que la région avait permis de construire, lorsqu’une voiture se retrouva sur le capot. Gaudin nous regarda et souffla : « Té, je suis maudit ! ».
Et il n’était dupe de rien. Entre les deux tours de cette malheureuse élection de 1989, il invita quelques journalistes boulevard de la Libération chez Vincent, pizzéria réputée. Nombre clients venaient le saluer. Gaudin se tournait alors vers nous : « Oui ils me saluent, mais je préfèrerai qu’il vote pour moi ! ».
Comme il se serait passé de la guéguerre qui l’opposait à celle qu’il appelait « la dame d’Aix », Maryse Joissains. Officiellement c’est la construction de la Métropole qui les séparait. Officieusement Maryse Joissains nous a confié qu’elle soupçonnait Gaudin d’avoir demandé à ses troupes ne pas assister aux obsèques de son père. Celui-ci s’était suicidé au début des années 80, après la révélation d’un scandale qui valut la fin de la carrière de son époux, Alain Joissains. Une faute que « Maryse » n’a jamais pardonnée à « Jean-Claude ».
D’autres chapitres seront peut-être encore écrits sur ce fauve politique qui revendiquait « les pagnolades pas les couillonnades » en fustigeant un mauvais feuilleton passé sans grand succès à la TV. A Saint-Zacharie les « petits curés », comme il appelait affectueusement des séminaristes qu’il invitait régulièrement, n’auront plus droit aux côtelettes qu’il se vantait de bien cuisiner au barbecue dominical.
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