Emmanuel Macron l’avait annoncé le 2 septembre dernier lors de son discours “Marseille en grand” : il faut « innover » en créant « l’école du futur » à Marseille. Ce jeudi 2 juin, le président revient à Marseille pour visiter l’école Menpenti (10e arrondissement) accompagné par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye. Ils viennent suivre l’avancée de l’expérimentation lancée dans 59 « écoles laboratoires » depuis octobre.
Augmentation des salaires, écoles laboratoires à Marseille, nouveau ministre de l’Education nationale… l’école semble être l’une des priorités du second quinquennat Macron. Et particulièrement à Marseille. En complément des 400 millions d’euros mis sur la table pour la rénovation de 174 écoles marseillaises, l’État mène une expérimentation avec 59 directeurs d’écoles de la ville pour impulser de nouveaux projets pédagogiques innovants. « Il faut donner plus de liberté en même temps qu’on donne plus de moyens » aux directeurs d’écoles expliquait le président au Pharo lors de son discours de septembre.
Depuis octobre 2021, 59 écoles ont été sélectionnées, après un appel à projet lancé par l’Etat, pour tester le dispositif. Elles se partageront une enveloppe de 2,5 millions d’euros. Le montant pour chacune d’elle sera fixé en fonction des besoins de chaque projet. Aux manettes, les directeurs et directrices des écoles ont déposé de multiples propositions allant de la classe numérique de mathématiques, aux classes et aux cours flexibles avec du mobilier modulable. L’expérimentation se fait dans un soucis de« repenser le temps de l’enfant» explique Didier*, un directeur d’école marseillais qui a requis l’anonymat.« Nous menons un gros travail en partenariat avec des structures associatives du quartier, avec les parents et la mairie» ajoute l’enseignant.
Pour dégager du temps et mettre sur pied chaque projet, les directeurs fédèrent une équipe pédagogique déjà présente ou à recruter sur des postes vacants. Une commission de recrutement composée de quatre professionnels (le directeur, un professeur et deux inspecteurs) été mise en place pour le dispositif afin de mesurer la détermination des enseignants qui souhaitent être mutés. Chaque candidat est reçu en entretien pendant 10 minutes, à la suite duquel la commission émet un avis favorable ou défavorable pour l’obtention de ce poste.
Des tensions sur la méthode de recrutement
Selon Virginie Akliouat, secrétaire générale du SNUipp-FSU des Bouches-du-Rhône, cette nouvelle méthode de recrutement est regrettable. La professionnelle soulève les risques de « copinage » entre certains instituteurs et directeurs d’écoles. « Nous passons tous le même concours. Rien ne justifie que certains doivent démontrer de compétences particulières pour adhérer aux projets » abonde-t-elle.
La députée Cathy Racon-Bouzon (LREM)tempère le discours de la syndicaliste. L’élue qui suit l’expérimentation dans trois écoles de sa circonscription des Bouches-du-Rhône (5e), l’école Chabanon (6e), Loubière (5e) et Chatreux Eugène-Cas (4e), précise que « la méthode de recrutement a été clarifiée très tôt. Ce n’est pas vraiment un recrutement d’ailleurs. C’est plutôt une discussion informative et consultative comme cela est déjà mis en place dans les écoles Freinet (Ndlr, méthodologie d’apprentissage alternatif). Nous n’avons pas réinventé la roue. »
Plus de libertés pour la direction des écoles
Le gouvernement a souhaité donner plus de libertés aux directeurs des écoles qui gardent pourtant le même statut que les enseignants. Didier assure avoir répondu à l’appel à projets en totale liberté à partir d’une « page blanche». Dès la sélection des projets, les financements se sont rapidement débloqués.« C’était un peu la liste au père Noël» s’amuse-t-il.
Dans le même sens, Cathy Racon-Bouzon partage d’autres retours de directeurs d’écoles. « Ils sont extrêmement contents de travailler en mode projet. Ils peuvent accéder à des formations et essayer les classes flexibles comme l’école du Rouet où le mobilier peut être modulable pour favoriser l’apprentissage des enfants » étaye la députée.
La loi Rilhac votée le 13 décembre 2021 a mis le pied à l’étrier pour renforcer le rôle du directeur d’école. « Cette législation a permis de créer une autorité fonctionnelle aux directeurs d’écoles et non hiérarchique » assure Cathy Racon-Bouzon. La loi confère ainsi un nouveau rôle au directeur de l’école lui accordant plus d’heures pour exercer cette fonction.
Le risque d’« une école à deux vitesses »
Néanmoins, ces heures ne sont pas suffisamment adaptées pour mener les projets innovants à Marseille estime ce directeur. Selon lui, il faudrait entre quatre et cinq heures supplémentaires pour chaque directeur et partie prenante de l’expérimentation. Depuis janvier 2022, seulement neuf heures supplémentaires ont été accordées aux directeurs d’écoles pour l’organisation de leur projet, et Didier prend même sur son temps personnel pour avancer.De plus, le directeur pointe un manque de concertation entre les directeurs d’écoles pour s’entraider sur l’expérimentation.« Nous ne nous sommes pas rencontrés encore malgré plusieurs demandes à l’académie.»
Par ailleurs, une vingtaine d’écoles sur 59 ne font pas classées REP (réseau d’éducation prioritaire) ou REP+. Or, le Président l’avait évoqué comme une priorité dans son discours Marseille en Grand. Par exemple, l’école Châteaubriant du 7e arrondissement (Endoume) est aidée au même titre que l’école Saint-André la Castellane dans le 15e. Ce qui n’est pas justifiable selon Virigine Akliouat qui voit l’expérimentation comme une manière de créer « une école à deux vitesses » et d’encourager une certaine concurrence entre les écoles. « Il est hors de question que la République traite différemment certaines écoles. Les caisses sont vides dans toutes les écoles de France et en particulier depuis la crise sanitaire » s’indigne-t-elle.
De son côté, Cathy Racon-Bouzon (LREM), défend le choix du gouvernement de vouloir « mixer » les profils des écoles bénéficiaires. L’élue rappelle que les écoles sélectionnées sont majoritairement en quartiers prioritaires de la ville, et que d’autres adhèrent au dispositifContrat local d’accompagnement (CLA). « Ce sont des écoles qui devraient être classées en REP ou REP+ mais dont le collège de secteur n’est pas classé. Elles se retrouvent orphelines et ne sont pas catégorisées en REP ou REP+ alors qu’elles le devraient » explique la députée.
Un autre problème est pointé du doigt par le directeur d’école : le manque d’une évaluation de l’expérimentation.« On expérimente mais ce n’est basé que du subjectif et c’est bien dommage» juge l’enseignant.
Tous les acteurs du dossier attendent des précisions lors de la venue du Président et du nouveau ministre de l’Education demain à Marseille. Ils espèrent aussi en savoir plus sur le déploiement du plan de rénovation du bâti gérée par la« Société Publique des écoles de Marseille » qui n’a toujours pas de directeur.Franck Caro, le directeur de la SPLA-IN du logement, occupe actuellement cette fonction à titre provisoire.
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