Il y a eu le pape François et, comme un miracle n’arrive jamais seul et alors que la Bonne Mère promise à un avenir doré se prépare à un long lifting, c’est un hindouiste qui est venu éclairer l’horizon marseillais, le Premier ministre indien. Narendra Modi, flanqué d’un Emmanuel Macron jubilatoire, est venu dire à cette ville grecque qu’elle pouvait rêver de l’olympe. Car les temps sont venus de résister aux super-puissances – Chine et USA – qui annoncent vouloir redessiner, dans une compétition bilatérale, le monde à leur seul profit.
Bien évidemment à seigneur tout honneur, c’est dans la tour CMA CGM qui rivalise dans le ciel phocéen avec Notre-Dame de la Garde, que le leader du pays le plus peuplé du monde (1,5 milliard d’habitants en 2024), est venu écouter Rodolphe Saadé, plaidant pour un avenir proche qui ferait de Marseille le déboucher européen de l’Inde. Emmanuel Macron, qui n’a pas démenti être toujours entiché de la deuxième ville de France, a approuvé avec gourmandise les explications du jeune patron. Ce dernier est convaincu que le pays à partir duquel son entreprise a prospéré dans 160 pays, peut offrir une alternative à « la route de la soie » perspective planétaire nourrie par l’impérialisme chinois.
Le PDG de ce mastodonte pesant 150 000 collaborateurs répartis sur l’ensemble de la planète, sait pouvoir s’appuyer sur une entité aux activités multipolaires désormais (le fret aérien, le portuaire, le transport maritime, le câblage, les médias, avec BFM, La Tribune, La Provence…). Elle est le fruit – une tradition marseillaise – d’un continuum familial, initié en 1996 par Jacques Saadé, le père de Rodolphe, avec la création de la CMA.
Durant ces deux journées où Marseille a obtenu, au nez et à la barbe de sa concurrente lyonnaise, l’installation du consulat de l’Inde sur l’opulente avenue du Prado, on a beaucoup commenté dans les coulisses de cette visite officielle l’avenir prometteur de Marseille. La ville voit l’horizon euroméditerranéen s’élargir bien au-delà de « l’orient compliqué » que survola en son temps De Gaulle, à un continent plus complexe encore où deux superpuissances – l’Inde et la Chine – sont engagées dans une âpre compétition.
Benoît Payan, Martine Vassal et Renaud Muselier conviés à cette rencontre inédite, ont pu mesurer, à écouter ceux qui animent le tissu économique local et régional, la distance qui séparait encore la politique politicienne, la bataille des punch-line, du buzz et autres fake-news, des projections planétaires et du développement annoncé.
Des réussites internationales
La « ville monde » est-elle pour autant aussi féconde que ces heures d’anticipation le laisseraient entendre ? Pourquoi pas si l’on se réfère à quelques réussites estampillées marseillaises. On songe à Onet qui a été fondée en 1860 sur le port par Alexandre Marius Format et se développe avec près de 70 000 salariés dans neuf pays au moins. On peut également évoquer la formidable réussite d’un Pierre Bellon, relayé aujourd’hui par sa fille, qui a développé la Sodexo depuis 1966. Une société présente dans 45 pays, avec 412 000 salariés (35 000 en France). On n’oubliera pas non plus la très emblématique société Paul Ricard qui porte l’excellence depuis 1932 et affiche sa marque dans 160 pays. Un excès d’optimisme pourrait cependant pousser quelques observateurs pressés à un « cocorico » aussi imprudent qu’un « à jamais les premiers » scandé dans les virages du Vélodrome.
Car la « ville monde » n’a toujours pas réussi sa mue, à l’instar d’autres capitales économiques qui ont eu à dépasser de lourdes crises. On songe par exemple à Barcelone, Milan ou Chicago. Des pays certes l’Espagne, l’Italie et les USA qui souffrent moins du frein d’une centralisation excessive. A Marseille dans un beau désordre dû aux clivages politiques un faire-savoir commence à émerger. Il reste à maîtriser encore tous les savoir-faire nécessaires pour défendre nos couleurs urbi et orbi.
Le président de la République y croit. Et même s’il s’agace du temps perdu dans les chamailleries ou les méandres bureaucratiques, il compte bien, au moins jusqu’en 2027, pousser ce grand plan qui doit faire de Marseille une mégapole attractive. Payan a l’impérieuse nécessité de défendre ce chemin, même s’il n’a pas fini selon son expression de « recoudre » la ville, de réduire les inégalités sociales, culturelles, éducatives, de mettre fin à un « apartheid » que pointe du doigt sa gauche extrême.
Marseille, jumelle d’Alger et Beyrouth
Muselier et Vassal, qui détiennent partie des leviers nécessaires à la construction de cet avenir, ne peuvent pas spéculer à l’infini sur les faux-pas de leur adversaire de gauche qui les a cornérisés en 2020. Il serait pire encore de freiner les ambitions de ceux qui se battent pour un patriotisme économique français et marseillais.
Il y a trente ans, lors d’un dîner où nous accompagnions l’académicienne Edmonde Charles-Roux, veuve de Gaston Defferre, Jacques Saade (CMA CGM) et Jean-Claude Beton (Orangina) se laissaient aller à la nostalgie en évoquant leurs villes de cœur, Beyrouth pour le premier, Alger pour le second. Marseille était pour eux une sœur jumelle. Tous deux estimèrent aussi, dans cet échange amical avec Mme Charles Roux, que la cité avait de grandes perspectives devant elle. Tous les trois ont aujourd’hui disparu mais l’espoir demeure. Et un Premier ministre indien est venu rappeler à tous, dans une ville qui aime les exploits footballistiques, qu’un match ne se gagne que sur le terrain. A condition comme le répètent à l’envi les commentateurs de l’OM qu’on « sorte de sa zone de confort », pour relever un défi immense.