Depuis plus de soixante ans, rue Glandevès, entre le Vieux-Port et l’opéra, les initiés se régalaient au Vesuvio, “Chez Vincent”, de sa cuisine sans chichi, ni esbroufe à touristes. Pizza ou chausson aux anchois, aubergines et poivrons frais, pêche du jour, foie de veau et surtout, la soupe au pistou… Avec des cocos roses et du basilic nature. Ou des pieds et paquets savoureux. Au final, et quoique rassasié, personne n’osait bouder le flan marron ultra caramélisé, cuit au four à bois, et servi en généreuses parts retournées du moule à festons.
Sœur de Vincent
Vincent est son frère. Rose Suggello arrive de Sicile avec lui et leur maman. Née en 1924 (elle aurait eu 92 ans le 28 janvier prochain), elle s’installe aux fourneaux de l’auberge dès le lendemain de la libération, en 1946. Drame de sa vie, elle perd son fils Marcel. Petite grand-mère à l’œil clair et vif , tendre sourire et crinière blanche, Rose déployait une inépuisable énergie… Autour du cou, elle aimait à nouer un mince foulard coloré. Aux murs de sa trattoria à l’ancienne, le portrait de Napoléon côtoie celui du maire Gaudin (lire la réaction du maire de Marseille ci-dessous).
Ce dernier lui épingla solennellement, en février 2014, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, pour tant de services rendus au bien manger. Un an plus tôt, un des ses plus fervents laudateurs, Franz-Olivier Giesbert, s’inspirait de Rose en publiant un étrange roman, “La cuisinière d’Himmler”(Gallimard). Le patron de la rédaction du Point avouant qu’elle aurait aussi bien pu être celle de Staline !
Rose ne servit ni l’un ni l’autre de ces tyrans, mais les amateurs de chair simple et rustique n’ont pas fini de la regretter.
La réaction de Jean-Claude Gaudin :
[Hommage] Rose de “Chez Vincent” est morte, les cuisines marseillaises en deuil
« C’est avec une vive émotion et une profonde tristesse que j’apprends la disparition de Rose Suggello, la patronne du restaurant Chez Vincent. Son savoir-faire, son utilisation des produits locaux et sa cuisine familiale provençale et italienne ” fait maison ” ont fait la renommée de cet établissement, une véritable institution marseillaise, au-delà même des frontières de la cité phocéenne. Plus qu’une cuisinière, Rose était une personnalité authentique, connue et appréciée de tous. Passionnée de la vie et de l’art culinaire, elle a contribué à écrire un peu de l’histoire de Marseille (au point même d’inspirer Franz Olivier Giesbert dans son très beau roman La Cuisinière d’Himmler) et de voir défiler tous les plus grands noms de la vie culturelle, politique, sociale ou économique dans sa pizzeria.
A titre personnel, je perds une amie sincère qui m’a toujours soutenu et encouragé dans l’adversité et à qui j’avais eu le grand honneur de décerner le grade de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur. J’avais toujours plaisir à aller déjeuner ” Chez Vincent “, aussi bien pour l’onctuosité des plats, que pour voir Rose dans sa cuisine. Je garderai la mémoire d’une grande dame, Marseillaise de destin et de coeur, pour qui je conserverai une affection profonde. A son frère Vincent, à sa famille et à ses proches, j’adresse mes plus sincères condoléances et toutes mes pensées les plus chaleureuses. »