Les débats et échanges ont été intenses lors de la 2e édition des rencontres de la finance verte et solidaire organisée par Gomet’ à Marseille vendredi 22 novembre. A la croisée des mutations du capitalisme contemporain, la finance durable se mobilise pour gérer au mieux la transition écologique et solidaire en cours. Car les injonctions pour changer les pratiques à l’heure de la crise climatique sont nombreuses et renforcées par des exigences sociétales : respect de l’environnement, solidarité et inclusion, gouvernance…
57 intervenants de haut niveau
Pour rendre compte des changements en cours et à venir, décrypter les enjeux et défis posés aux entreprises comme à l’ensemble de la société, débattre des expériences lancées par des investisseurs ou des entrepreneurs, Gomet’ avait réuni un plateau de 57 intervenants de haut niveau, représentant l’ensemble de l’écosystème financier, de la private equity au monde bancaire, des entreprises régionales, des réseaux professionnels et associatifs, tous concernés par la transition écologique et solidaire.
Quelques paroles inspirantes donnent le ton dès la matinée avec notamment la présence et les témoignages de grands dirigeants, qui dans leur entreprise respective ont mené des transformations très importantes.
Ainsi Emery Jacquillat, président de la Camif raconte comment il a réussi à transformer le modèle du vendeur d’équipements pour la maison en faisant de son groupe une entreprise responsable et ancrée dans son territoire, loin des vents de la mondialisation et de la culture du profit à court terme.
Cette valeur de long terme, c’est aussi ce qu’a réussi à créer et développer Laurent Laïk, le président du Groupe la Varappe, modèle d’entreprise de l’économie sociale et solidaire. La société basée à Aubagne oeuvre dans de nombreux secteurs comme l’intérim, l’environnement ou le logement en employant des personnes éloignées de l’emploi. La Varappe est devenue l’un des leaders du secteur, alliant valeurs sociétales et réussite économique, soutenu par des grands fonds à impact, avec un chiffre d’affaires qui atteindra plus de 120 millions d’euros cette année.
“De l’audace et pas de l’eau tiède”
Et ces deux dirigeants qui intervenaient en début de matinée dans l’auditorium de la business school EMD, sur le Campus Biaggi situé entre la Porte d’Aix et la gare St-Charles, ne comptent pas s’arrêter là. « On ne change pas le monde avec de l’eau tiède mais avec de l’audace » lance Emery Jacquillat. Il porte aujourd’hui au niveau européen la Communauté des entreprises à mission qu’il a créée en France, afin d’imposer dans la loi des différents pays un statut particulier pour les sociétés à impact. Laurent Laïk qui veut faire passer « l’inclusion de la marge à la norme » a lui dévoilé son initiative Intersection qui vise, à partir de 2025, à partager les bonnes pratiques et engager de nouvelles entreprises dans l’économie sociale et solidaire, grâce à des sessions de formation et d’inspiration, qui aboutiront à une nouvelle feuille de route pour les sociétés engagées dans le dispositif.
Ce ne sont pas les grands partenaires de l’événement, réunis lors de la conférence d’ouverture qui viendront contester le bien-fondé de ces initiatives. Qu’il s’agisse du CIC Lyonnaise de Banque avec son directeur Sébastien Mollin, du Crédit Agricole Alpes Provence avec sa chief impact officer, Corinne Vérot, ou encore de Jacques Bonnabel le président de France Active Provence Alpes Côte d’Azur, ils sont tour à tour venus présenter leurs dispositifs et actions au service de la transition. De quoi donner confiance et envie alors que le contexte économique et politique est particulièrement perturbé en cette année 2024.
Mais tout au long de la journée, les représentants des fonds d’investissements, les cabinets de conseils et d’expertises, les banquiers, à l’instar de la Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts, ont montré leur volonté d’accompagner dans leur choix stratégique les changements en cours. Et aussi d’encourager à aller plus loin comme l’économiste Olivier Pastré, qui loue le modèle mutualiste et coopératif avec son fonctionnement « bottum-up » en lien avec les acteurs de terrain.
Green deal et CSRD ruissellent
Comment s’adapter ? Comment financer les changements à l’heure de la pénurie de moyens et de l’endettement croissant des Etats ? Les témoignages d’entrepreneurs et de financiers montrent que des “deals” vertueux sont toujours possibles. Dans les ateliers pratiques et productifs, les participants affichent leur volonté d’apprendre et de se projeter vers de nouvelles solutions.
Des dispositifs nouveaux se développent dans la construction durable par exemple. Malgré les menaces de ralentissement concernant le calendrier d’application de la nouvelle comptabilité verte européenne, la fameuse CSRD, le processus est bien enclenché et semble irréversible, le Green deal de la Commission européenne est en action et ruisselle pour financer des projets locaux à l’instar de la ville neutre en carbone à Marseille.
Cela suffira-t-il à inverser la dégradation climatique, préserver les ressources de biodiversité, réparer les dégâts ? « Les besoins sont considérables mais disponibles » observe l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran. Mais ces moyens sont accaparés par une logique financière et privative qui empêche de mobiliser les financements sur des investissements durables, voire non rentables.
Pour un changement monétaire avec Jézabel Couppey-Soubeyran
Elle prône un changement de paradigme en incitant à la création d’une « monnaie volontaire » fléchée sur le financement de la transition écologique sous l’autorité d’un nouvel institut d’émission indépendant et d’une gouvernance citoyenne. Une projection qui semble pour certains utopique. Pour d’autres c’est une prophétie réalisable car Jézabel Couppey-Soubeyran insiste sur l’absence d’endettement supplémentaire ni d’effets inflationnistes de sa proposition.
Jézabel Couppey-Soubeyran ne tremble pas face aux tenants de l’orthodoxie du capitalisme financier. « Dans l’histoire de l’Humanité, à chaque fois que le projet de société s’est transformé, il y a eu un changement monétaire. » Et ce changement qu’elle invite à opérer est bien le contraire de celui défendu par Donald Trump et son « associé » Elon Musk où la prédation et l’accaparement de la sphère publique au profit de quelques-uns s’oppose au bien commun. Rendez-vous lors des 3e rencontres de la Finance verte et solidaire en 2025 pour poursuivre le débat et continuer d’apprendre.
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