La première opération de soutage au gaz naturel liquéfié (GNL) d’un avitailleur vers un porte-conteneurs sur le port de Marseille-Fos a eu lieu vendredi 21 janvier. La transition énergétique engagée dans le secteur maritime s’accélère. Armateurs et énergéticiens du monde entier modernisent leur flotte et investissent le marché des nouveaux carburants alternatifs : le biométhane, le méthane de synthèse et, dans un avenir plus lointain, l’e-methane.
C’est une démonstration de force qui ouvre la porte à de nouveaux marchés. Vendredi 21 janvier, le CMA CGM Bali, un porte-conteneurs de 366 mètres de long, d’une capacité d’environ 15 000 équivalent vingt pieds (EVP), est avitaillé en “ship to ship” dans le terminal Eurofos. À la manœuvre, le navire souteur de gaz naturel liquéfié (GNL) affrété à Fos-sur-Mer par Total Energies : le Gas Vitality. Ce micro-méthanier baptisé le 26 octobre dernier dans le chantier naval chinois de Hudong Zhonghua est équipé de cuves à membrane (pour une capacité totale de 18 600 m³). Avec l’affrètement du souteur de Total dans ses bassins Ouest, le grand port maritime de Marseille-Fos (GPMM) devient officiellement le premier hub d’avitaillement au GNL de France pour le transport maritime. Le Gas Vitality est opérationnel pour desservir du GNL dans toute la Méditerranée. Un argument commercial de poids, comme un appel du pieds aux armateurs internationaux.
Le port engage cette année une stratégie sur le (très) long terme. L’offre de soutage déployée aujourd’hui pour le gaz naturel liquéfié, sera en effet compatible demain avec le biométhane, un carburant encore plus vertueux que le GNL, fabriqué à partir de déchets domestiques, après-demain avec le méthane de synthèse, et plus tard encore avec l’e-méthane, une essence considérée comme neutre en carbone. Pendant ce temps, les armateurs – CMA CGM en première ligne – modernisent à grande vitesse leur flotte respective avec des moteurs “dual-fuel” pour profiter des avantages écologiques et économiques de tous ces nouveaux carburants alternatifs.
Le gaz naturel liquéfié (GNL) en bref
Le GNL est un gaz naturel de qualité commerciale, composé essentiellement de méthane, présenté comme une alternative aux carburants polluants. La liquéfaction du gaz réduit son volume de 600 fois et permet donc un transport plus économique. Mais le GNL est également un carburant très efficace. Il permet de réduire les émissions d’oxydes de soufre de 99%, les émissions de particules de 91%, et les émissions d’oxyde d’azote de 92 %. Un bateau propulsé au GNL émet jusqu’à 23% de gaz à effet de serre de moins que les systèmes traditionnels propulsés au fioul. Dans le secteur maritime français, les armateurs multiplient depuis quelques années les commandes de nouveaux navires utilisant cette énergie, annoncée comme plus propre.
Le 28 décembre dernier, le Gas Vitality, propriété de la société japonaise Mitsui OSK Lines (MOL), réalisait avec succès son premier chargement sur le terminal d’Elengy (CRTGaz) à Fos Cavaou. Une livraison en GNL finalement distribuée vendredi dernier, à l’occasion de la première opération de soutage au gaz naturel d’un avitailleur vers un porte-conteneurs sur le port de Marseille-Fos. Un plein de 6000 m³ de GNL, soit environ trois millions de dollars (2,7M euros) de marchandise, dure 15 heures et mobilise une trentaine de marins répartie sur les deux navires. L’opération est périlleuse, le gaz doit être maintenu sous les -162°C, mais elle n’empêche pas l’immense bateau d’opérer en simultané le chargement et le déchargement des conteneurs. Total bénéficie à ce jour d’un contrat industriel exclusif sur le GNL avec l’armateur marseillais CMA CGM sur les ports de Marseille-Fos, Singapour et de Rotterdam (où le GNL est délivré depuis 18 mois déjà). Le CMA CGM Bali, propriété de Eastern Pacific Shipping, a d’ailleurs connu un premier soutage en octobre dernier dans la cité-État insulaire.
Un sujet d’attractivité pour le port
Pour le président du directoire du grand port maritime de Marseille Fos (GPMM), Hervé Martel, « cette opération constitue une nouvelle étape historique pour le port de Marseille Fos, qui à l’évidence, constitue un hub essentiel pour le gaz naturel liquéfié en Méditerranée ». À bord d’une navette, à quelques mètres seulement du micro-méthanier Gas Vitality, le président du port pose un regard fier sur le spectacle du jour. Face à la presse locale et nationale, il salue « les deux décisions majeures de Rodolphe Saadé », le directeur général de CMA CGM. Celle de faire confiance au GNL, « une solution d’actualité », et celle d’avoir choisi le port de Marseille-Fos – neuf navires de CMA CGM vont s’avitailler en GNL chaque semaine dans les bassins Ouest du port. Le gaz naturel va selon lui permettre au GPMM de « réduire la pollution de l’air ». Un argument qui n’est pas négligeable « dans une zone industrielle comme la nôtre », rappelle Hervé Martel. Pour décarboner son activité, le port vient d’annoncer la création d’une usine à production d’hydrogène, en collaboration avec la société d’ingénierie H2V. À terme, elle subviendra à la totalité des besoins en énergie de la zone industrialo-portuaire
Maintenant que le Gas Vitality est là, n’importe quel armateur dispose d’une offre de soutage naturel, c’est fondamental pour le port.
Hervé Martel
Au-delà de l’aspect environnemental, Hervé Martel estime que la capacité de soutage au GNL « apporte un argument d’attractivité supplémentaire en faveur du port », qui va pouvoir « fidéliser des clients ». C’est notamment pour cette raison que le GPMM, qui vient de boucler un exercice 2021 plus que réussi, offre à l’armateur marseillais CMA CGM une ristourne sur ses droits de port : un geste commercial sur deux ans à hauteur de 10%. Une manière pour Hervé Martel de « soutenir cette initiative et d’encourager les autres armateurs à venir à Marseille-Fos pour développer la filière du GNL ». Désormais, « l’offre est structurée sur le port, elle est amorcée », nous indique le président du GPMM. Il imagine « probablement demain les ferries et les navires de croisière » tous carburer au GNL dans le port de Marseille-Fos.
Total : un troisième navire souteur en construction
Le souteur affrété par Total à Fos-sur-Mer est conçu pour fournir en GNL (ou en biométhane) tous les types de navires en Méditerranée. Ce micro-méthanier avitaille notamment les paquebots de MSC Cruises. Gas Vitality représente à la fois le présent et le futur du GPMM ; une pièce maîtresse de la stratégie engagée en 2019 avec CMA CGM et Total. Après le Gas Vitality, et le Gas Agility (livré en novembre 2020 au port de Rotterdam), un troisième avitailleur est actuellement en construction à Shanghaï, en Chine. Il sera opérationnel en 2023. Hervé Martel espère que le souteur de Fos permettra au GPMM de signer d’autres contrats avec de nouveaux armateurs dans les mois à venir. « Maintenant que le Gas Vitality est là, n’importe quel armateur dispose d’une offre de soutage au gaz naturel, c’est fondamental pour le port », estime Hervé Martel.
D’autres avitailleurs en GNL se positionnent à Marseille
Si Total a pris une longueur d’avance avec son contrat pour CMA CGM et MSC, il n’est pas le seul acteur intéressé par la fourniture du GNL en Méditerranée. En mai 2020, son concurrent Shell est d’ailleurs le premier à réaliser un soutage en« ship-to-ship» sur le paquebot Costa Smeralda dans la rade de Marseille. Aucun contrat d’exclusivité n’est signée pour l’heure entre la compagnie pétrolière et la groupe Costa mais cette expérience prouve la capacité de Shell d’opérer sur le même marché que Total. Le groupe néerlando-britannique dispose lui aussi de son propre micro-méthanier pour le GNL baptisé Coral Méthane. Toujours dans les bassins Est, la compagnie Corsica Linea qui dessert l’île de beauté et le continent a annoncé il y a deux semaines qu’elle signait avec un troisième acteur pour l’approvisionnement en GNL. Il s’agît de TitanLNG, une société hollandaise de moindre taille que ses concurrents pétroliers mais qui compte aussi profiter de l’essor des nouveaux carburants sur le port. Pour l’instant, elle assure la livraison par camion mais promet l’arrivée, elle aussi, de son propre navire avitailleur dédié à Marseille, le Krios dans les prochains mois.
Le processus GNL expliqué par Philippe Charleux (Total)
« Le gaz est sous forme liquide, cela veut dire qu’il est à -162°. C’est un gaz qui contient plus d’énergie que s’il était gazeux. On va le chercher pas très loin, dans un terminal méthanier qui est juste à côté, à Fos Cavaou. Ce gaz est amené par des méthaniers qui viennent du monde entier. Généralement, il a été produit sur des champs pétroliers un peu partout dans le monde, liquéfié sur place, transporté dans des méthaniers et stocké dans des cuves ici. Total récupère juste une petite partie de ce que ces méthaniers livrent. Cela nous permet ensuite d’approvisionner les bateaux. »
GNL : le prix actuel du gaz pose-t-il problème ?
Sur le plan économique, l’utilisation du GNL offre de nombreux avantages… ou plutôt en offrira. Pour le moment, « le prix du gaz est quand même très cher en ce moment (ndlr : environ 20 dollars/MMBTu) », remarque la directrice centrale en charge des actifs du groupe CMA CGM, Christine Cabau, elle aussi présente vendredi dernier sur la navette. « À l’heure actuelle, c’est pas encore ça, mais le coût de l’énergie fluctue beaucoup », nuance la représentante de l’armateur marseillais. Elle rappelle que le pari du GNL, c’est « un pari sur le long terme (…) On ne doute pas de l’efficacité énergétique, opérationnelle et économique du procédé ». Un discours que partagent les autres acteurs de la filière. « Le marché commence seulement, rassure Philippe Charleux, responsable marketing chez Total, il devrait être de 10 millions de tonnes d’ici 2025, et aux alentours de 30 millions de tonnes en 2030 » – contre 220 millions de tonnes à l’heure actuelle pour les fiouls conventionnels.
CMA CGM prêt pour le méthane de synthèse
Le soutage au GNL, « c’est une première étape, un début », indique Christina Cabau. L’ancienne présidente du GPMM annonce pour les années à venir « une stratégie industrielle plus large qui s’appuiera sur des carburants alternatifs tels que le biométhane et le e-méthane ». L’armateur marseillais a d’ailleurs pour projet, en collaboration avec le centre de traitement Evere (Urbaser), délégataire de la Métropole Aix-Marseille Provence, et Elengy (Engie) de transformer les ordures ménagères du territoire Marseille Provence en biométhane. « On encourage à fond la production de biométhane », nous lance Christine Cabau – le groupe s’est engagé à utiliser 10% de carburants alternatifs d’ici 2023. Elle rappelle que « CMA CGM travaille en ce moment avec Engie sur l’étape d’après, la production de méthane de synthèse ».
D’ici la fin de 2024, le spécialiste de la logistique CMA CGM disposera d’une flotte de 44 navires propulsés au GNL, “e-methane ready” de tailles différentes, dont 24 sont déjà en service – le porte-conteneurs CMA CGM Bali et le CMA CGM Jacques Saadé en font partie. Les moteurs “dual-fuel” déployés sur ces navires ont la capacité technique d’utiliser le biométhane, le méthane de synthèse et le e-methane. Dans les bassins Ouest de Fos, la société Jupiter 1000 peaufine sa solution “power to gas” : la transformation des surplus d’électricité renouvelable en hydrogène vert ou en méthane de synthèse pour la stocker. CMA CGM vise une neutralité carbone de ses activités à l’horizon 2050.
Au tour du port de #Marseille Fos d’accompagner désormais la transition énergétique du transport #maritime avec la 1ère opération de soutage au #GNL d’un porte-conteneurs @CMACGM !
— CMA CGM France (@CmaCgm_France) January 21, 2022
A suivre ici ⤵️ pic.twitter.com/metTOuct3v
> H2V lance un méga-projet de production d’hydrogène sur le port de Fos
> Transition énergétique : le port de Fos accueille Jupiter 1000, un projet mondial
Document source : présentation du CMA CGM Bali et son soutage
Liens utiles :
> Le port de Marseille-Fos résiste au Covid et bat même des records en 2021
> GNL à Marseille-Fos : Total et CMA-CGM accélèrent
> [Energie] Port de Marseille : un premier avitaillement « ship to ship » au GNL en France
> [Energie] H2V lance un méga-projet de production d’hydrogène sur le port de Fos