Par Hervé Nedelec
Le 14 juillet 1789 Louis XVI gravait sur son journal un mot « Rien ». Une réflexion lapidaire qui laissa longtemps les historiens perplexes sur la santé mentale du roi reclus à Versailles alors que la Bastille tombait à Paris. Le 7 juillet 2024 un autre monarque, républicain celui-là, pourrait écrire sur son portable « tant de choses ». Sa septième année – un septennat en quelque sorte – s’achève par un échec retentissant dont on ne mesure pas encore toutes les répliques telluriques à venir.
Emmanuel Macron après l’échec cinglant de ses troupes aux élections européennes a, à la manière d’un joueur de poker, décidé de faire tapis. A défaut de pouvoir dissoudre le peuple qui venait de lui infliger une brutale fin de non-recevoir, à lui l’Européen viscéral, il a dissous l’assemblée nationale. Revendiquant dans un ultime réflexe républicain la volonté de donner la parole aux citoyens, il a pris le risque de plonger le pays dans une crise aussi importante que celle qui ramena au pouvoir le général De Gaulle en 1958, ou celle qui fit trembler le socle de l’auteur de l’appel du 18 juin 1940, en 1968.
Il n’a rien entendu venir parce qu’il n’a rien voulu écouter
Le plus jeune président de la République a été victime d’un des plus vieux travers du pouvoir sans partage : le péché d’orgueil. Il n’a rien entendu venir parce qu’il n’a rien voulu écouter. Les résultats de ce second tour peuvent cependant le rassurer en partie. Il a réduit la vague du RN qui avait chanté un peu tôt victoire. Mais il n’a pas pour autant fait taire ceux qui à gauche comme à droite rejette sa politique et plus encore sa méthode. Il lui reviendra seul de se séparer des conseillers qui l’ont encouragé dans ses entêtements et de mesurer combien l’art de la politique est plus subtil que la formule dont il est désormais affublé : le fameux « en même temps ».
Il mesure ce funeste dimanche combien la formule d’un Gérard Collomb son ancien ministre de l’Intérieur était prophétique : « On vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face ».
Il mesure que son désir de disruption visant principalement à faire imploser des partis républicains, qu’il jugeait usés par des années de pouvoir et d’impuissance, a échoué. Parce que la République a horreur du vide et que le parti qu’il avait créé pour se hisser au sommet ne s’est jamais structuré, organisé, construit, épaissi… même si pour rappeler le trait d’humour « parti de rien pour arriver à pas grand-chose » ceux qui étaient chargés de l’animer n’ont de compte à rendre à personne.
Il mesure qu’un pays, pour reprendre la formule malicieuse de la rabbine Delphine Horvilleur, est une mosaïque complexe mais « pas que ». Après l’épisode violent des gilet jaunes on se souvient de ces réunions où en bras de chemise le président de la République allait tel un médecin de campagne prendre le pouls des Français des villes et des campagnes et s’en retournait la corvée passée sous les ors de la République après avoir oublié de prescrire les remèdes que réclamait l’urgence.
Il mesure, pour y avoir contribué avec sa manière d’exercer un pouvoir jupitérien, qu’il a participé à conflictualiser un certain nombre de débats. Il a systématiquement écarté les corps intermédiaires, à commencer par les syndicats qui relayaient pourtant à longueur de temps une lourde colère. Il a préféré la provocation à l’explication, répandant derrière lui quelque humiliante formule apocryphe : « Je traverse la rue, je vous trouve un travail ! »
il avait promis la prospérité par ruissellement
Il mesure aussi qu’on ne fait pas nation si on laisse sur le bas-côté de la route trop d’oubliés, d’invisibles, de recalés. Gérer efficacement la crise sanitaire, le problème récurrent du chômage, la déflagration ukrainienne, la menace des attentats… n’a pas réussi à convaincre une majorité des Français à qui, au nom d’un libéralisme décomplexé, il avait promis la prospérité par ruissellement.
Il mesure enfin que se protéger au nom de la démocratie derrière la ligne Maginot du « ni-ni » était une audace vaine. Les extrêmes ont conforté ce dimanche leurs bastions et il ne sera pas aisé de les déloger. Il tentera ou non dans les jours à venir de relancer l’idée d’un espace politique situé au centre de l’échiquier politique, faisant fi de la célèbre formule de Pascal : « le centre est partout mais sa circonférence n’est nulle part ».
Arrivé à un taux d’impopularité que les urnes viennent de traduire en suffrages, il lui reste un impérieux devoir, redonner du sens à son quinquennat et convaincre les Français que leur colère a été vraiment plus qu’entendue, comprise. Depuis ce dimanche 7 juillet 2024 le roi républicain est nu. Il ne peut donc retourner sa veste mais il peut accepter que la République ait un besoin urgent de changer de tenue.
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