Le neuf juin prochain les résultats des élections européennes devront être scrutés à la loupe par tous ceux qui à Marseille, acteurs, militants ou simples observateurs, s’intéressent encore à la vie politique. Parce que le scrutin est singulier avec une proportionnelle intégrale, il révélera forcément l’état des forces qui, ici et maintenant, s’affrontent.
D’ores et déjà c’est un paysage « archipélisé » pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet dans son essai « L’archipel français » (Points) qu’il faut prendre en compte. On peut dès lors tenter de se frayer un chemin dans un champ de ruines, dispersées façon puzzle depuis l’effacement volontaire ou forcé des dinosaures locaux, Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini.
De l’extrême gauche à son alter inégale l’extrême droite, c’est une armée de soldats inconnus qui montent au front des urnes, même s’il est plus raisonnable au vu des troupes en présence de parler d’escouades plutôt que de divisions.
Les Européennes seront donc le moment autour du Vieux-Port de compter les forces en présence, à moins qu’il ne s’agisse comme le souhaite ardemment quelques-uns, de farce.
Si l’on en doutait, un certain, Jean-Luc Mélenchon, désormais « dépité de la Nupes », est venu de fait rappeler que comme les trains, une élection peut en cacher une autre. Il pense bien évidemment aux présidentielles dont il proclame être « une hypothèse » quand ses adversaires de l’intérieur, affirment qu’il est surtout celui qui hypothèque les chances de la gauche. A Manuel Bompard, député de la 4e circonscription marseillaise et fidèle parmi les affidés du « lider minimo » selon la formule du Canard, d’expliquer qu’il est malgré tout urgent de ne pas attendre, pour sauver ce qui peut l’être derrière Manon Aubry. Elle, appelle au rassemblement tout en prédisant des sanctions pour les diviseurs de gauche. Une rodomontade qui ne semble pas troubler le PS local replié derrière l’étendard de Raphaël Glücksmann après avoir imposé, dans des préliminaires, sa vision très bucco-rhodanienne de l’exercice de la démocratie. On ne se refait pas. Reste au fils du philosophe maoïste et néanmoins sarko-compatible à mesurer la distance qui sépare le café de Flore du bar de la Marine.
Ainsi va le printemps marseillais dont les bourgeons ne donnent pas forcément les fruits attendus
Et puisqu’il est question de verres, il est peut-être temps sur cette partie de l’échiquier de lancer un avis de recherche pour savoir qui à Marseille représente les écologistes. Surtout dans une des villes les plus polluées d’Europe, où les voitures ressemblent à des poubelles et où les poubelles attendent des camions bennes, où la terre rejette tout et n’importe quoi à la mer, où les piétons sont menacés par les vélos, les cyclistes par les motos, les motards par les autos… et où les pistes cyclables ont une durée de vie à géométrie variable. On ne s’attardera pas, pour ne pas ajouter le ridicule à l’insoutenable légèreté de l’alibi, sur l’épisode des dernières élections municipales où des électeurs ont voté pour une écologiste Michèle Rubirola avant de réaliser que leur bulletin dissimulait en filigrane le portrait d’un apparatchik socialiste, Benoit Payan. Ainsi va le printemps marseillais dont les bourgeons ne donnent pas forcément les fruits attendus. Il faudra arriver à 2026 pour savoir si la cueillette est bonne.
La droite n’est pas en reste côté division. Rappel des épisodes précédents. Après 25 ans de gaudinisme absolu et un bilan contrasté selon la formule choisie des tenants de l’euphémisme, les Républicains n’ont pas résisté aux secousses telluriques. Elles étaient prévisibles avec la fin de règne de leur monarque, plus entouré par une cour des comptes que par des courtisans. Renaud Muselier, ataviquement gaulliste, après avoir longtemps rongé son frein et pesté contre l’alliance qu’il jugeait scélérate entre les deux G (Gaudin et Guérini), a mis fin à sa longue marche pour rejoindre Macron et En marche. Calcul périlleux diront certains, même si le président de la Région Sud n’hésitera pas à faire sécession si du Nord soufflait un vent glacé. Martine Vassal l’a aussitôt marqué à la culotte, impressionnée entre autres par le tropisme que nourrissait Emmanuel Macron pour cette ville rebelle qui ne conçoit l’aventure européenne qu’avec un ballon rond. Et qui est allée jusqu’à bouder les aides de l’Europe par négligence ou ignorance, comme le fit au grand désespoir affiché de Muselier celui qui a dirigé la ville jusqu’en 2020.
Muselier et Vassal devront composer avec l’imprévisible Sabrina Agresti-Roubache
Muselier et Vassal devront composer, au moins dans un premier temps, avec l’imprévisible Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat à la ville qui compte bien profiter de sa proximité avec le couple présidentiel et, accessoirement les quartiers dont elle est issue et qu’elle ne cesse de revendiquer, pour jouer si ce n’est le premier rôle au moins celui de trouble-fête. Derrière ces trois têtes d’affiche, on voit poindre quelques pâles copies de l’ancien régime qui s’adonnent aux étirements pour éviter quelques accidents musculaires en tentant des grands écarts entre droite républicaine et extrême droite.
Cette dernière enfin, pour compléter la mosaïque improbable du paysage politique marseillais s’étripe férocement entre Reconquête et Rassemblement National. Stéphane Ravier au nationalisme décomplexé n’a que Zemmour à offrir en partage à ses anciens compagnons de route. Marseille reste cependant la citadelle à prendre et ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen et Jordan Bardella ont choisi le vélodrome pour entamer le match des européennes qui pour eux n’est que la première mi-temps des parties à venir, les Municipales et la Présidentielle.
Comme le disait Bernard Tapie, il est peut-être temps d’avoir une équipe compétitive et solidement « urnée ».
Hervé Nedelec (*)
(*) Journaliste honoraire, ancien grand reporter, Hervé Nedelec fut notamment chef de service, directeur départemental au Provençal puis à La Provence et enseignant en journalisme (directeur de la filière journalisme de l’EJCAM). Il a également était directeur de l’information et de la communication de Sciences Po Aix.