Il y a quarante ans tout juste à Nice, Cannes, Saint-Tropez, Saint-Rémy… on tremblait dans les chaumières cossues, à la perspective de voir nos frontières franchies par les chars soviétiques. C’était l’après 10 mai 1981. Quatre décennies plus tard, c’est un pro-russe, Thierry Mariani, qui ramène son char, sans soulever d’émotion outre mesure. Karl Marx disait, en évoquant Hegel, que « dans l’histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie la seconde comme farce. »
C’est en effet bien à une sinistre farce, que nous sommes en train d’assister. Dans un portrait-enquête saisissant, L’Obs décoche dans sa dernière livraison, quelques vérités sur celui qui caracole désormais en tête des sondages, et menace de faire tomber la région Provence Alpes Côte d’Azur dans l’escarcelle de la famille Le Pen. Il est vrai qu’elle avait manqué de peu sa cible aux dernières élections régionales avec Marion Maréchal. On aura compris, en lisant ces lignes, que Mariani est plutôt un abonné absent dans le Vaucluse qui l’a fait roi, et que sa ligne politique est d’abord aérienne, puisqu’il a un faible pour tous les régimes forts qu’il rejoint dès qu’il le peut. Mal aimé dans sa famille d’origine – le RPR puis l’UMP – il n’est pas non plus en odeur de sainteté dans la famille de Saint-Cloud, où Marine Le Pen le soutient comme la corde le pendu. Bref Mariani est un mal aimé au parcours sinueux qui l’a conduit des oripeaux des punks, où il a sévi dans ses jeunes années, au costume trois pièces du chargé de mission pour hommes d’affaires des ex-républiques soviétiques. Cet ancien champion de lutte gréco-romaine a, diront ses meilleurs ennemis, la contorsion facile. Oui, certes, certes, mais il est en train de rafler la mise, même s’il n’atteindra pas les récents 95% de son ami syrien, Bashar Al Assad. Pour autant bien des cas de figures dans les sondages récents le donnent gagnant face à Renaud Muselier, le président sortant de la région. La question n’est donc plus « pourquoi lui et maintenant ? », mais « qu’ont fait les autres pour en arriver là ? »
La gauche d’abord qui, en 1986, a définitivement, par la volonté de François Mitterrand, fait entrer le FN dans le jeu démocratique en instillant une dose de proportionnelle qui le fixait pour longtemps au-dessus des 15%. Cette même gauche, provençale celle-là, qui n’en finit plus de sombrer corps et biens depuis plus de trente ans. Les socialistes notamment, incapables de construire une réflexion idéologique, comme celle qui les avait conduits à la victoire dans les années 70-80. Au lieu de cela, on a assisté à Marseille et ailleurs à un délitement sans nom, à des naufrages judiciaires et éthiques, à des comportements d’assiégés, alors qu’il n’y avait plus rien à défendre, y compris l’honneur. Le Parti Communiste en sourdine a connu le même sort, s’accrochant vainement à ses citadelles – Aubagne, Gardanne, La Seyne, La Garde, les quartiers populaires marseillais – qui les unes après les autres s’écroulaient et ne laissaient que quelques chapitres brefs dans les livres d’Histoire.
Et la droite républicaine dans tout cela ? Comme la gauche son alter inégale, elle a suivi la même pente vertigineuse, qui la voit aujourd’hui en grand danger pour ne pas dire au bord du précipice. Son antienne fut longtemps comme le disait un Jacques Chirac ou un Jean-Claude Gaudin « d’abord rassembler son camp ». Sans doute au nom d’une vieille vérité qui veut que « l’union fait la force ». Mais que fait-on lorsque la désunion est aussi sonore qu’aujourd’hui ? Où un Eric Ciotti est jugé compatible avec le Rassemblement national, où un Guy Teissier l’ancien para, partisan de l’Algérie Française, annonce qu’il votera contre Muselier, le gaulliste, où une Valérie Boyer qui n’a jamais cessé de gérer les thèmes frontistes et qui à sa manière n’est finalement que l’hologramme sudiste de Nadine Morano ? Dans ce camp encore, il y a belle lurette qu’on ne produit plus d’idées, qu’on préfère le buzz d’une formule à l’effort d’une réflexion, qu’on spécule en un gigantesque poker menteur quand il est nécessaire de rebattre les cartes, et de se débarrasser définitivement des mistigris.
Mariani avance du coup triomphant sur ces champs de ruines, ne jetant qu’un regard ironique et méprisant aux guerriers fatigués qu’on lui oppose.
L’astrophysicien Jacques Boulesteix, l’économiste Philippe Langevin ou encore le sociologue Jean Viard, ont beau s’égosiller à avoir raison, on ne les entend, ni dans un camp, ni dans l’autre. Si la marée qui s’annonce va jusqu’au bout, il ne restera que le silence des amers.
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