Quel est le rapport entre Auguste Renoir, Paul Cézanne, Vincent Van Gogh et la Haute-Marne ? Rien ou si peu ! Et avec les Bouches-du-Rhône ? Beaucoup. Renoir de retour d’Italie s’arrêta à Marseille et, au pied du massif de la Nerthe qui plonge dans la mer, il s’esbaudit ainsi : « Que c’est beau, c’est certainement le plus beau pays du monde et pas encore habité ! » Avant de réaliser l’un de ses plus marquants chef d’œuvre : « L’Estaque ». Paul Cézanne, on ne fera pas l’injure de rappeler sa passion pour la montagne Sainte-Victoire, qu’il reproduit presqu’une centaine de fois. Quant à Van Gogh, qui comptait bien pousser jusqu’à Marseille pour s’enivrer de lumière et de couleurs, c’est à Arles qu’il posa son chevalet, sa folie et son génie.
Et voilà que nous apprenons, cette semaine, que la petite ville de Saint-Dizier – 25 000 habitants- en Haute Marne va remplacer les publicités urbaines par des reproductions d’une vingtaine de tableaux, dont ceux des maîtres que nous venons de citer. L’opération a pour titre « La beauté sauvera le monde », et le jeune maire, Quentin Brière, 31 ans (voir la vidéo ci-dessous), est convaincu, en ces temps de pandémie, que le virus de l’art est la meilleure chose à inoculer, sans geste barrière. Bravo et, comme on dit là-haut, « champagne ! »
On se prend du coup à rêver dans notre beau département à une telle (nécessaire) folie
On se prend du coup à rêver dans notre beau département à une telle (nécessaire) folie d’autant que, comme au plan national, nous sommes privés pour l’heure du Musée Granet, du Mucem, de Longchamp, de Borély, d’Arlaten… liste non exhaustive.
Et puis que celui qui n’a jamais été pris dans un bouchon du côté de Martigues, d’Aubagne, de Plan de Campagne, nous jette la première pierre, s’il prétend que les zones d’activité et leurs milliers de panneaux publicitaires ont un charme quelconque, un intérêt souverain, une raison vitale d’être là. A nous priver des paysages marins, à brouiller nos horizons de garrigues, à masquer un alignement d’oliviers ou l’entremêlement de quelques chênes centenaires.
Les 4×3 qui ont définitivement polluées nos contemplations champêtres, nous parlent de literie, de comptoirs de la viande, de terreau miracle, de pâtée pour chien, de bolides hybrides, de sous-vêtements audacieux, de remise en forme… de pourcentages miracles et de prix cassés. Quant aux « sucettes » qui ont envahi nos trottoirs de ville, elles n’ont pas le goût de l’anis et encore moins des « jours heureux » que promettait Serge Gainsbourg à la petite Annie. Elles s’animent de spots désormais, comme si la télévision et nos écrans ne suffisaient pas à agresser nos heures.
On aura beau rappeler à nos fils de pub que « trop de com tue la com », les villes, à quelques exceptions près, n’en finissent pas de tomber dans le panneau. Au nom d’un profit médiocre, elles continuent à parasiter les perspectives que nos rues, nos rivages, nos campagnes offrent à celui qui sait regarder, ressentir, s’attarder.
Il y a bien eu ici et là, comme c’est devenu une habitude à Paris, réappropriation éphémère de certains espaces. Comme les grilles qui cernent un jardin, les murs qui protègent un monument, les panneaux qui limitent un espace. C’est souvent superbe, comme ces « Visages du Rhône » que le photographe Aixois, Camille Moirenc, offre, jusqu’au mois de juillet, à voir sur les grilles du jardin du Luxembourg qui jouxtent le Sénat.
Il y a dans ce département, et particulièrement à Marseille, mille lieues au-dessus de la mer pour créer des galeries à ciel ouvert
Hervé Nedelec
Il y a dans ce département, et particulièrement à Marseille, mille lieues au-dessus de la mer pour créer des galeries à ciel ouvert, où l’on découvrirait les perles de notre patrimoine, les évocations d’un passé riche, tumultueux et fécond, les délires graphiques de talents que révèlent parfois les murs de nos quartiers. Sur la corniche Kennedy un magnifique portrait de Zidane où la publicité s’était faite discrète, a longtemps subjugué les Marseillais qui se mobilisèrent même pour qu’il perdure.
La petite ville de Haute Marne et son maire ingénieux ont fait le bon choix. L’élu n’aura peut-être pas de Rolex avant ses quarante ans, mais il mérite déjà l’auréole qu’on attribue à ceux qui savent que l’intérêt collectif passe avant les spéculations privées.
Romain Gary disait « il est moins grave de perdre que de se perdre ». Et si nos villes gagnaient nos cœurs, en perdant quelques sous.
La grande menace du #Covid, c'est la dépression collective. A @SaintDizierFR nous utilisons l'espace public pour offrir des oasis de beauté à l'heure où notre #culture est enfermée, parce que "la #beauté sauvera la monde"
— Quentin Brière (@quentinbriereFR) April 11, 2021
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