Le président de la République Emmanuel Macron a présenté le 12 octobre 2021, un plan d’investissement intitulé France 2030 (voir l’intégralité en vidéo en base d’article). Naturellement ses opposants y ont vu un acte électoral avec en perspective les élections de 2022. Normal ! Il est tout aussi légitime pour un président de se projeter au-delà du temps courant des politiques que pour ses opposants de dénoncer une campagne électorale. Cependant, il est regrettable que ces choix économiques, sociétaux et stratégiques n’émergent pas dans le débat public et que le redémarrage, la recomposition d’une économie du XXIe siècle ne fasse pas partie de la pré-campagne. Au moment où se déroule partout en France la Semaine de l’industrie et quelques jours avant l’événement ForIndustrie à Marseille, nous allons ici reprendre les 10 choix proposés par le Président et tenter de situer les chances de notre territoire métropolitain et régional d’y développer une économie d’avenir.
Rappelons d’abord que les propositions d’Emmanuel Macron se situent dans la suite de travaux de concertation et d’études qui portent un diagnostic sur notre pays notamment le rapport de Blanchard et Tirole (1) avec un collectif d’économistes. France 2030 tente de répondre aux trois défis que sont « le défi climatique, le défi démographique et le défi des inégalités ». Il s’appuie sur un diagnostic sévère de nos faiblesses, « le mal français qui est notre triple déficit : déficit de croissance potentielle, déficit public, déficit du commerce extérieur. » Et sur des convictions : « la France a longtemps pensé qu’elle pouvait se désindustrialiser en continuant à être une grande nation d’innovation et de production. Je crois que maintenant, il est établi que c’est faux. »
Rompre avec le « No fab » qui a ruiné Alcatel
Emmanuel Macron invite à rompre avec le « No fab » qui a ruiné Alcatel par exemple, et avec le cloisonnement des recherches : « on doit vraiment sortir de cette opposition entre recherche fondamentale, recherche incrémentale et technologique et industrialisation massive, et essayer de comprimer tout ça ». L’idée n’est pas neuve, mais elle a du mal à se mettre en place de façon fluide. Il récuse le choix binaire qui inciterait à choisir entre les start-up et l’industrie, c’est « une opposition du XXe siècle, dit-il. Elle est éminemment fausse. »
Enfin, Emmanuel Macron se positionne dans le débat macroéconomique et réaffirme son credo entrepreneurial : « J’assume totalement un pays qui investit dans la création de nouvelles filières, l’investissement et l’apprentissage pour moins dépenser dans l’assurance chômage et la réparation des destins. » Il veut accélérer les investissements publics et dans un discours très planificateur, très gaullien, il invite le patronat à plus de coopération et plus de collectif. France 2030 se veut donc une stratégie qui « conduit à investir 30 milliards d’euros pour répondre au déficit de croissance français ». L’ambition est de dire « dans quels secteurs et sur quels domaines nous pouvons être en tête en 2030, en tant que Français et en tant qu’Européens ».
Notre ambition, modeste, à Gomet’, sera donc de comprendre dans quels secteurs notre région, notre métropole pourront être en tête. Avec une notation de 1 à 10.
Objectif 1 : faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille (3/10)
Un milliard d’euros sera investi d’ici à 2030. C’est la perspective qui a fait le plus de bruit mais elle tranche un débat mal engagé sur le nucléaire et donne une perspective 200 000 salariés de ce secteur. Notre région est traditionnellement peu productrice d’énergies, Marcoule est à la frontière nord. Seul le CEA de Cadarache sera certainement impliqué dans le travail de R & D nécessaire pour mettre au point ces réacteurs de petite taille Leur localisation fait déjà l’objet de débats et il est certain que les sites nucléaires actuels seront privilégiés tant l’acceptation sociale d’une centrale sera difficile. Il y a cependant par ici des acteurs sous-traitants de la filière à l’instar d’Onet Technologies.Note régionale : 3/10.
Objectif 2 : devenir le leader de l’hydrogène vert (6/10)
En 2030, la France comptera sur son sol au moins deux gigafactories d’électrolyseurs et produira massivement de l’hydrogène et l’ensemble des technologies utiles à son utilisation. « Notre stratégie sera d’en produire beaucoup en France parce qu’on a la possibilité de faire de l’électrolyse et, en plus, de faire de l’électrolyse très décarbonnée. On a de la très bonne recherche, on a un tissu de start-up, d’équipementiers, d’entrepreneurs, d’innovateurs qui sont prêts à y aller et qui sont organisés. On a trop peu investi sur l’offre et la capacité à développer notre filière. On l’a laissé filer ailleurs. » Notre région s’est fortement positionnée sur l’hydrogène, un secteur en construction où les vérités scientifiques et technologiques évoluent. Rising Sud soutient Meet4Hydrogen, rendez-vous de la transition hydrogène et la Région Sud en a fait une priorité. Mais avec une orientation vers les ports alors que le programme France 2030 privilégie la production en France d’hydrogène décarbonnée.Note régionale : 6/10.
Objectif 3 : décarbonner notre industrie (10/10)
Baisser de 35% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015. Plus de 8 milliards d’euros seront investis pour atteindre ces trois premiers objectifs. « L’acier, le ciment, les produits chimiques, précise Emmanuel Macron sont les carburants de toutes les grosses industries, des bases pour notre tissu industriel, on ne peut pas les perdre, mais, on doit continuer de les produire en baissant beaucoup plus rapidement les émissions. Cette stratégie de décarbonation comprend des investissements massifs de plusieurs centaines de millions d’euros par site industriel. » La sidérurgie de Fos, la chimie de l’Étang de Berre, la cimenterie de La Malle devront passer d’une politique des petits pas, souvent, en reculant devant les oppositions citoyennes, à une politique d’investissement massive qui sera soutenue par l’argent public à hauteur de 8 milliards d’euros pour « complètement transformer nos grandes aciéries, nos grandes cimenteries, pour leur permettre de continuer à produire d’ici à 10 ans en réduisant leurs émissions de CO2. » Note régionale : 10/10
Objectif 4, Produire 2 millions de véhicules électriques et hybrides (1/10)
Notre région étant un désert dans la production automobile, sauf émergence d’une start-up industrielle sera peu concernée par cet objectif. Pas de giga-factories automobile en vue au Sud ! Mais peut-être des batteries et d’autres équipements ? Note régionale : 1/10
Objectif 5 : produire le premier avion bas-carbone (1/10)
Près de quatre milliards d’euros seront investis pour les transports du futur et la région toulousaine se frotte les mains. Notre aéronautique est régionale est centrée sur les hélicoptères de Marignane et les quatre milliards des « transports du futur » irrigueront peu notre territoire.Note régionale : 1/10
Objectif 6 : investir dans une alimentation saine, durable et traçable (10/10)
Deux milliards d’euros investis pour ces enjeux. Le Président veut dans son ambition France 2030 « remettre de la valeur dans l’agriculture ». Et il précise : « Nous devons investir dans trois révolutions qui sont la suite de la révolution mécanique et de la révolution chimique : le numérique, la robotique, la génétique. Cela passe par de l’investissement, là aussi, mais également par des technologies de rupture dans la robotique agricole pour parfois permettre de sortir de certains pesticides, de sortir de certaines pratiques, pour aussi améliorer la qualité de vie et améliorer la productivité ».
Notre région a une carte à jouer. Son territoire agricole a trop souvent fait des mauvais choix de production massive, de bas coûts, de bas prix, de basse qualité. Mais tous les ingrédients sont là pour que le Vaucluse, le nord des Bouches-du-Rhône, les Alpes de Haute-Provence et le Var retrouvent un leadership européen dans la production et la transformation innovantes de nos aliments. Le pôle Innov’Alliance, le Critt agro, Aria Sud (ex-Friaa) les chambres d’agriculture. De plus avec ce qui s’est construit autour de la robotique de Pellenc à Manosque, notre région devrait être le leader national de ce programme à deux milliards. Note régionale : 10/10.
Objectif 7 : produire 20 biomédicaments (5/10)
Contre les cancers, les maladies chroniques dont celles liées à l’âge et créer les dispositifs médicaux de demain. « La France était au premier rang de la production européenne il y a 20 ans, constate Emmanuel Macron dans son discours sur la stratégie France 2023. Nous sommes aujourd’hui au 4e rang ». Nous avons la possibilité d’être à la tête « sur une médecine plus prédictive, plus préventive, plus innovante. La révolution médicale, se fera par la convergence des innovations de rupture en santé, avec le quantique, l’intelligence artificielle et tout ce qui nous permet, avec l’Internet des objets, de faire converger des familles technologiques qui étaient jusqu’alors séparées ». Notre région n’est pas comme Lyon une grande région productrice de médicaments. Par contre la recherche publique, les start-up accompagnées par le pôle Eurobiomed sont très actives. Et de belles pépites parviennent à se hisser au rang de “little pharma” (Innate Pharma, Provepharm par exemples). Mais ce secteur souffre, malgré quelques belles levées de fonds et IPO, de ce que président Macron appelle une faille de marché : la capacité de financement massif. « Il faut beaucoup d’argent très vite et au même endroit ». Cette faille fait que nos start-up n’ont comme issue pour grandir que de rejoindre des grands groupes étrangers (HalioDx absorbé par l’Américain Veracyte), sans que naisse une industrie sur la métropole. Il faudra aligner nos projets avec le Plan Santé Innovation 2030 pour transformer le génie de nos chercheurs, l’énergie de nos start-up en tissu industriel. Note régionale : 5/10
Objectif 8 : placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs (10/10)
Trois territoires stratégiques ont été identifiés : l’Arc méditerranéen, l’Île-de-France, le Nord, les 3 grandes fabriques de la French Touch. Lors de son séjour à Marseille, début septembre, Emmanuel Macron a clairement, désigné Marseille et sa métropole, comme l’un de ces pôles autour de la formation, des équipements, de l’attractivité. Sans compter la renommée de la Côte d’Azur dans ce domaine à travers notamment son Festival international de cinéma de Cannes. Note régionale : 10/10
Objectif 9 : prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale (3/10)
Cannes sera le centre régional avec son leadership dans la construction des satellites autour de Thalès Alenia Space. Mais les transformations de l’Ecole de l’air qui a ajouté l’espace à ses compétences à Salon-de-Provence, la base d’Istres qui déploie son pôle aéronautique Jean Sarrail font que l’ouest de la région sera aussi partie prenante de cette nouvelle aventure spatiale avec notamment les activités du Pôle Safe et du Pôle Optitec.Note régionale : 3/10
Objectif 10 : investir dans le champ des fonds marins (5/10)
Marseille a une très belle histoire dans ce domaine qui commence avec Cousteau, se poursuit avec Henri Germain Delauze et la Comex, puis la robotique sous-marine. Mais ce secteur a été longtemps financé par l‘exploitation pétrolière : la recherche et les forages en mer, la pose des oléoducs et gazoducs. L’âge d’or est révolu. Emmanuel Macron rêve d’explorer nos zones économiques exclusives, « un levier extraordinaire de compréhension du vivant, peut-être d’accès à certains métaux rares, de compréhension du fonctionnement de nouveaux écosystèmes, d’innovation en termes de santé, en termes de biomimétisme, etc. » Encore faudra-t-il trouver les financements d’une recherche et d’une activité très vorace en investissements.Note régionale : 5/10
Objectif 10 +1, économie circulaire : 8/10
Emmanuel Macron a listé cinq conditions pour voir en France « en 2030 100 sites industriels par an, qui émergeront dans le cadre de cette deeptech » . La première concerne la sécurisation des « matières » : on doit garantir notre approvisionnement en plastiques et métaux et investir dans le recyclage, ce qu’on appelle l’économie circulaire pour réduire notre dépendance à l’importation sur ces métaux et matériaux. Cet objectif 10+1 nous positionne dans l’économie 2030 avec en particulier le travail sur l’économie circulaire produit par le député François-Michel Lambert et les initiatives du Groupe Testa pour le recyclage des plastiques.Note régionale : 8/10
5,6 points sur dix
Nous sommes ainsi selon nos estimations à 5,64 points sur dix dans notre potentiel pour figurer dans les industries d’avenir en 2030. Estimation positive si les acteurs s’inscrivent dans cette vision prospective et font tomber les murs qui trop souvent les séparent pour atteindre des objectifs communs profitables à tous.
France 2030 : le discours d’Emmanuel Macron en vidéo
(1) Le président de la République avait demandé, en mai 2020, à 26 économistes de réfléchir en profondeur à la dimension économique de ces trois défis, afin de proposer un cadre d’analyse et des idées nouvelles. La commission sur les grands défis économiques a travaillé en toute indépendance pendant plus d’un an, sous l’égide d’Olivier Blanchard et de Jean Tirole, avec l’appui de France Stratégie. Source Élysée