Soliha Provence est une entreprise solidaire d’utilité sociale, héritière de l’activité du Pact (Propagande et action contre les taudis) Arim des Bouches-du-Rhône. Soliha Provence est membre du réseau national Soliha qui réunit 124 associations avec 3 665 salariés, facilitant l’accès au logement des publics les plus fragiles. Ses interventions, fondées sur la solidarité, visent à prévenir l’aggravation de situations précaires, à améliorer l’accès à la ville en apportant des réponses aux ménages vulnérables, à réhabiliter l’habitat et à prendre soin des habitants, à favoriser le maintien de la cohésion et de la mixité sociales. Son directeur général, Jean-Jacques Haffreingue, détaille pour Gomet’ les enjeux conjoncturels et structurels du logement à Marseille.
Le 1er août 2023, les prix de l’électricité augmentent de 10% pour tous les foyers français. Que faites-vous pour protéger vos publics de cette hausse ?
Jean-Jacques Haffreingue : Tout d’abord, nous captons des logements très peu énergivores. Ensuite, quand nous aidons les locataires ou propriétaires à réhabiliter les logements, nous les accompagnons pour obtenir des subventions type MaPrimeRénov’ ou des aides des caisses de retraite. Nous allons aussi chercher des boucliers tarifaires et nous expliquons les bons gestes à adopter pour limiter sa facture d’électricité. Globalement, nous trouvons des solutions ce qui fait qu’aujourd’hui très peu de nos publics ne parviennent pas à payer leurs charges.
Comment la pénurie annoncée de logements peut-elle impacter votre activité à Marseille ?
J-J.H : Nous nous rendons compte que nous avons de plus en plus de précarité, de difficultés à trouver du logement accessible et malheureusement, nous avons déjà beaucoup de problématiques à traiter. Malgré cette tension à venir, il faut continuer à travailler au regard du nombre de logements insalubres et indignes à Marseille. Tous les jours, la Soliha Provence met six familles à l’abri… car tous les jours, deux immeubles sont encore évacués. Pour continuer notre activité, nous avons besoin de l’aide des propriétaires, des bailleurs, des travailleurs sociaux, et qu’on nous propose des projets… sans aller chercher de subventions.
Justement, quelles sont vos sources de financement ?
J-J.H : Quand je suis propriétaire, comme tout bailleur, je me finance avec des loyers. Quand je fais une mission d’accompagnement et de relogement, je réponds à un appel d’offres de la Ville ou la Métropole Aix-Marseille et je suis prestataire. Je suis lié soit par une convention, un appel d’offres, soit j’encaisse mes revenus. J’ai peu de subvention de fonctionnement. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros et nous percevons près de 20 000 euros de subventions. C’est l’ADN de Soliha Provence de ne pas aller chercher des subventions. Pour acheter nos logements, nous contractons des emprunts bancaires, généralement avec la Banque des territoires.
Comment trouvez-vous ces logements ?
J-J-H : Nous sommes propriétaires de 750 logements répartis dans tous les arrondissements de Marseille. Une équipe de cinq personnes est dépêchée à temps plein pour trouver ces logements grâce à un réseau d’agents immobiliers, de bailleurs sociaux ou de propriétaires privés. Pour reloger les publics, soit nous trouvons des logements dans le parc privé, soit dans le parc public, soit en notre qualité de propriétaire.
Quels sont vos arguments pour inciter les propriétaires à vous confier leur logement ? Quand parfois Airbnb est beaucoup plus lucratif…
J-J.H : Les locations solidaires sont bien défiscalisées, et ce jusqu’à 65% du montant du loyer. Nous apportons aussi une sécurité totale de versement des mensualités au propriétaire dont le montant n’est pas très éloigné des prix du marché. Après c’est sûr : nous louons un T3 pour 750 euros, alors que le propriétaire pourra peut-être gagner cette somme en une semaine pendant l’été sur des plateformes. Mais, ensuite il payera des impôts, l’entretien, un état des lieux… Notre rôle est donc de bien expliquer les différents avantages qui s’offrent à eux en déléguant la gestion à la Soliha.
Malgré les besoins grandissants, vous conservez un vivier de logements vacants. Pourquoi ?
J-J.H : Marseille a été touchée par les effondrements de la rue d’Aubagne en 2018. Nous devions être en capacité de reloger temporairement les personnes évacuées. Quand les choses ne sont pas anticipées, le premier réflexe est de rediriger les habitants vers les hôtels. Or, le délai de retour chez soi est en moyenne de deux ans et demi… ce qui est très long. Par conséquent, nous gardons entre 20 et 40 logements vacants en permanence pour loger les personnes évacuées qui sortent de l’hôtel. Jusqu’à présent, la Soliha Provence a accompagné entre 5 000 et 6 000 ménages et dispose d’un parc de 600 logements temporaires.
La Ville envisage de faire « un geste architectural » pour rendre hommage aux victimes des effondrements de la rue d’Aubagne qui serait situé au niveau du trou laissé par les immeubles effondrés. Qu’est-ce-que vous y feriez ?
J-J.H : La population marseillaise rentre globalement dans les critères du logement social. Près de 85% des habitants sont éligibles. Si j’étais élu, ce qui n’est pas mon cas, je répondrais aux besoins de mes électeurs. Je favoriserais donc la production de logement social. A Marseille, il y a déjà des dynamiques de rénovations des centres anciens, des requalifications d’immeubles insalubres avec la SPLA-IN qui souhaite favoriser la production de logement social. S’il y a un certain nombre de difficultés structurelles à Marseille, il est toujours possible de produire plus de logement social.
En plus de votre rôle d’accompagnement au (re)logement, vous portez plusieurs innovations. Est-ce la particularité de la Soliha Provence au sein du réseau national ?
J-J.H : Comme notre association est peu subventionnée, nous sommes libres de nos interventions. Nous apportons donc des solutions pragmatiques à nos publics. En 2019, nous avons créé l’entreprise Bâtitruck pour favoriser le retour à l’emploi en les faisant travailler sur des travaux de rénovation. L’année dernière, nous avons également fondé la cuisine 101 dans le 3e arrondissement, une salle ouverte permettant aux gens logés à l’hôtel ou vivant dans la rue de se préparer des repas. Depuis plusieurs années, nous sommes également tournés vers les problématiques de handicap et de vieillissement. En 2021, nous avons créé une boîte avec la Caisse des dépôts (La Banque des territoires) autour d’un « viager social ».
Ce « viager social » est une expérimentation à Marseille ?
J-J.H : Oui le « ViagéVie » est testé au sein de 40 foyers marseillais pour être essaimé sur le territoire national. Ce dispositif correspond au paiement d’une rente auprès d’un propriétaire comme un viager classique. Mais nous, pendant la durée du viager, nous accompagnons l’occupant à faire des travaux d’adaptation dû à son vieillissement ou à son handicap. Une fois que la personne est malheureusement décédée, nous faisons en sorte que le logement serve de logement social ou qu’il soit acheté par des jeunes acquéreurs.
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