Le groupe H2V a annoncé la semaine dernière le lancement du plus grand projet de production d’hydrogène en partenariat avec le port de Marseille-Fos. Le directeur général de cet industriel encore méconnu, Jean-Marc Leonhardt, dévoile les origines de la société et sa stratégie pour en faire le leader de la production d’hydrogène en France.
Vous annoncez un investissement de 750 millions d’euros alors que vous n’existiez pas il y a encore cinq ans. Qui se cache derrière cet ambitieux projet d’entreprise ?
Jean-Marc Leonhardt : En effet, nous sommes encore tout jeune en tant que société mais nous avons une grande expérience dans le monde des énergies renouvelables. H2V a été créée en 2016 par Alain Samson*, le patron des transports Malherbe de Caen (315 millions d’euros de chiffres d’affaires et 2 150 salariés) qui est très impliqué dans la transition énergétique. Avec sa holding Samfi Invest, il a fondé Sameole, un opérateur éolien qui a développé 800 MW de projets revendu en 2018 à Engie. Depuis, il a créé une autre entité dans le même secteur Samwind qui a également développé pour 800 MW de projets en France et en Belgique. Samfi est également présent dans le solaire avec Samsolar, une structure qui porte 500 MW de fermes photovoltaïque dans le monde.
*H2V a été co-fondé par Alain Samson et Lucien Mallet, fondateur du constructeur éolien EoleRes revendu en 2006 qui a été remercié en septembre 2020 pour des divergences de vues stratégiques. Son nom n’a pas été mentionné pendant l’entretien.
Quand a-t-il décidé de se lancer dans l’hydrogène ?
Jean-Marc Leonhardt : Avec les Accords de Paris en 2015, l’hydrogène est revenu sur le devant de la scène avec un intérêt grandissant des gouvernements dont l’Etat français. Mais longtemps, les pouvoirs publics ont cru que cette énergie aller se développer par le développement de petites flottes au niveau des territoires. Aussi, les premiers projets étaient de petites tailles sauf que la production d’hydrogène vert, c’est à dire à partir d’une électricité 100 % renouvelables, coûte cher. Alain Samson a donc décidé de miser sur de très grosses installations qui nécessitent de gros investissements de plusieurs centaines de millions d’euros mais baisse au final le coût de production grâce aux économies d’échelle. Plus les usines sont grandes, moins ça coûte cher de produire. C’est à partir de cette stratégie qu’est né notre premier projet en Normandie en 2017 et que nous avons cédé à Air Liquide en octobre dernier.
Un demi-million en Normandie, 750 millions à Fos… Les montants investis sont impressionnants. Comment les financez-vous ?
Jean-Marc Leonhardt : Il faut savoir que les moyens de Samfi sont très importants. Notre actionnaire met un point d’honneur à assurer tout le financement seul. C’est une volonté forte de rester indépendant. Pour le projet de Fos, le port est actionnaire mais c’est une exception que nous avons accepté car en tant que partenaire, il nous aidera grandement dans les démarches administratives et le bon déroulé du projet. Mais nous positionnons aussi nos projets sur la stratégie de l’Etat qui a mis un grand plan hydrogène de 7 milliards d’euros dont 2 milliards uniquement dédiés au « gigafactory » comme les nôtres. Ces financements s’inscrivent plus globalement dans l’appel à projets PIIEC H2 (Projet Important d’Intérêt Européen Commun) de Bruxelles. H2V Normandy a d’ailleurs déjà été retenu pour le deuxième tour de l’appel à projets European Union Emissions Trading System (EU ETS) Innovation Fund 2020. Concrètement, au départ d’un projet, on va aller chercher un maximul de subventions pour savoir ce qui restera à mettre de notre poche. Ensuite, on lève des fonds auprès des banques. Samfi en a l’habitude, c’est son métier. Pour Alain Samson, c’est un vrai pari car dans une industrie classique, présenté un projet à plusieurs centaines de millions qui ne voit pas le jour avant quatre ou cinq ans, c’est inimaginable. Lui a décidé de voir plus loin.
Combien de projets d’usine d’hydrogène avez-vous en stock ?
Jean-Marc Leonhardt : Aujourd’hui, nous avons communiqué sur cinq projets en France. Le premier H2V Normandy a été vendu à Air Liquide. Le deuxième est à Dunkerque. Une unité de production de 28 000 tonnes d’hydrogène est attendue pour 2023. Une autre usine de même taille est prévue à Fessenheim. Le quatrième projet est porté à 50/50 avec Gazel Energie pour une unité sur son usine de Saint-Avold. Enfin, le dernier en date est H2V Fos. Mais en tout, nous avons une dizaine de projets dans le pipe. Nous communiquerons bientôt sur le reste.
Chiffres clés :
Date de création : 2016
Effectif : 15 salariés
Projets en cours : 10 dont 5 rendus publics
Chiffre d’affaires : 0
Investissements programmés : 1,5 milliard d’euros sur quatre projets
Pourquoi avoir décidé d’investir sur le port de Marseille-Fos ?
Jean-Marc Leonhardt : Notre stratégie est de créer de grandes usines sur les grands bassins d’activités où il y a des débouchés et déjà un savoir-faire sur la production d’énergie. Après le Havre et Dunkerque, Fos-sur-Mer apparaissait incontournable. La finalité ultime de notre projet, c’est de fournir en hydrogène la mobilité lourde. Et qui dit port, dit beaucoup de camions et même les bateaux à terme pourront fonctionner à l’hydrogène. Les industriels sont aussi de futurs clients avec ArcelorMittal ou encore Naphtachimie qui sont de gros consommateurs et ont lancé la transformation de leurs outils pour décarboner leur production.
Une fois l’usine construite, H2V sera directement fournisseur d’hydrogène ?
Jean-Marc Leonhardt : Tout à fait, c’est la suite logique. On prévoit de créer un grand réseau de 200 stations hydrogène dans toute la région, sur un rayon de 200 kilomètres autour de l’usine. Pour l’instant, il n’y a aucun camion en France qui roule à l’hydrogène. On en est encore au phase de test mais les lignes bougent. Par exemple, le constructeur Iveco va livrer ses seize premiers camions hydrogène en 2023 à Gardanne. Les transports Malherbe d’Alain Samson en prendront d’ailleurs quelques-uns. On estime que le passage à l’hydrogène pour les camions va émerger en 2030 ce qui nous laisse le temps de construire notre usine de Fos dont la livraison complète est prévue pour 2031. On sera prêt pour répondre au marché qui décollera.
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