L’économie bleue était au cœur de la quatrième édition des « Blue med days » organisée par le Pôle mer Méditerranée le 19 septembre au Mucem. Une conférence dédiée à la décarbonation des navires a mis en évidence l’accélération des innovations maritimes dans la décarbonation des flottes. Cet élan est néanmoins ralenti par un certain nombre de verrous technologiques.
Comme les autres secteurs de l’économie, le maritime doit atteindre la neutralité carbone en 2050. Les acteurs ont 27 ans pour tendre à cet objectif considéré par certains comme utopiste au regard des prédictions du volume de fret qui devrait quadrupler d’ici 2050.
Les politiques publiques appliquées au secteur maritime sont impulsées par l’Organisation maritime internationale (OMI). « Elles encouragent les acteurs à innover », estime la compagnie maritime haut de gamme Ponant, basée à Marseille et propriété du groupe de luxe Kering, représentée par le directeur de la R&D, Mathieu Petiteau. Ces innovations engagées sous la contrainte sont vectrices de différenciations entre les transporteurs.
Les politiques publiques ne suffisent pas
C’est ce que relève les travaux de Buyco et Searoutes, deux start-up incubées au sein de la pépinière de CMA CGM Zebox. Leur partenariat a permis de lever 3,5 millions d’euros auprès de l’Europe pour développer la solution « control » capable d’analyser en temps réel les émissions CO2 d’un transporteur. Ce service est utile pour les industriels qui cherchent à réduire leur empreinte carbone.
Si les politiques publiques participent à la réussite de cette solution, « ça pourrait aller plus vite », soulève Carl Lauron, dirigeant de Buyco. L’entrepreneur soutient la nécessité de développer une extension de l’application Yuka pour donner de la visibilité au client final sur la quantité de CO2 inclue dans chaque produit. « Ils sont 12 dans la start-up. A eux seuls, ils ont fait bouger l’industrie alimentaire plus vite que les politiques publiques », lance-t-il.
Paul Tourret, le directeur de l’institut supérieur d’économie maritime (Isemar) basé à Saint-Nazaire, résume : « Note défi c’est de faire des politiques publiques qui se traduisent dans des politiques économiques. »
Adapter les flottes maritimes
La compagnie Ponant travaille sur la conception d’un voilier neutre en carbone d’ici 2030. Long de 181 mètres avec une centaine de cabines, le Swap2zero sera doté d’un système vélique permettant de fournir 50% de l’énergie de propulsion, de 1000 m2 de panneaux photovoltaïques, d’une pile à combustible basse température fonctionnant à l’hydrogène liquide, une technologie de captation de carbone à bord et d’un système innovant de gestion d’énergie.
En attendant de mettre sur pieds des navires de cette trempe, le secteur s’active aujourd’hui pour mieux optimiser la consommation énergétique des flottes. La Snef, groupe marseillais qui adresse notamment l’électrification à bord des navires, accompagne les compagnies à réduire les pertes d’énergie à partir d’audits. « Nous sommes capables de donner des clés aux clients très rapidement pour mieux opérer leurs bateaux qui impliquent de très faibles investissements », explique Germain Lemarié, chef d’agence navale en Bretagne de la Snef.
La Snef a également développé une solution, « le couteau suisse », pour mélanger l’hybridation d’une machine thermique et d’une machine électrique pour chercher la meilleure combinaison.
Le GNL et les biocarburants… une transition vers l’énergie verte
Le groupe marseillais accompagne également ses clients dans l’électrification des flottes. Cette transition est en cours sur le port de Marseille-Fos avec notamment Enedis et RTE qui installent des bornes pour raccorder les navires à l’électricité à quai. Le système devrait être opérationnel entre 2026 et 2027.
Les compagnies maritimes équipent déjà leurs bateaux de cette technologie pour être opérationnels dès que possible. Mais en attendant, ils naviguent grâce à des carburants moins polluants comme les biocarburants : le B30, une solution peu chère qui réduit jusqu’à 20% d’émissions de CO2 et le HVO100 « la Rolls- Royce des biocarburants car ses prix sont plus élevés », décrit Emile Prungnaud, le responsable de la stratégie bas carbone d’Altens, spécialiste basé à La Rochelle dans les solutions énergétiques alternatives. Ce biodiesel de synthèse peut décarboner jusqu’à 90%.
A titre d’exemple, le GNL est une énergie de transition qui peut réduire jusqu’à 17% d’émissions de CO2 par rapport à du diesel fossile. « Il y a une différence entre les biodiesels qui ne nécessite pas d’investissements et le méthanol ou le GNL qui demandent un investissement en rétrofit pour l’armateur. », souligne Emile Prungnaud. CMA CGM et Corsica Linea naviguent avec des bateaux propulsés au GNL ou au BioGNL.
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L’autre énergie très en vogue est l’hydrogène. Helion Hydrogen Power, une filiale d’Alstom basé à Aix-en-Provence, a développé sa première pile à hydrogène de 200KW. Mais cette puissance n’est pas suffisante pour propulser un bateau. « Notre ambition c’est de faire une pile en mégawatts. Mais pour alimenter des piles en mégawatts, il faut une très grande quantité d’hydrogène et qu’il ne soit pas comprimé mais qu’il soit liquide. Il faut résoudre ce verrou techno pour rendre nos piles compatibles avec ce vecteur à hydrogène liquide. », explique François-Xavier Derreumaux, directeur des ventes de Helion.
Des limites technologiques…
L’hydrogène présente ainsi des limites en termes de volume. « L’hydrogène prenant énormément de place, on ne peut pas reposer le modèle économique d’un navire sur cette énergie. On a donc intégré à nos bateaux un moteur au BioGNL qui va permettre avec un mix énergétique d’atteindre le zéro émission », explique Mathieu Petiteau du Ponant.
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Cette transition vers les énergies dites « vertes » va nécessiter de produire de l’électricité verte en masse. « Mais comment on la produit ? En mer ? Avec des éoliennes flottantes ? Faut bien commencer un jour. Les mers seront peut-être remplies éoliennes off-shore ou de centrales nucléaires. Car je rappelle que le maritime consomme 330 millions de tonnes par an de carburant », questionne Paul Tourret.
…et économiques
Certaines infrastructures sont également trop vieillissantes et alourdissent le temps de transport d’énergie et de marchandises dans l’hinterland, notamment à Fos-sur-Mer. « Je ne sais pas si vous avez été à Fos récemment, mais on a une voie de chemin de fer unique et non électrifiée… Et on a bouché un canal qui permettait d’aller des porte-conteneurs vers le Rhône. Ce qui fait que les barges doivent passer par une zone maritime. Et quand il y a du mistral les barges ne passent pas. Si vous pouviez mettre ces deux sujets en haut de la pile », insiste Carl Lauron de Buyco.
Le point positif, qui va encourager les collectivités, l’État et le privé à investir dans la transition est l’augmentation à venir du prix du carbone, estimé à 100 euros la tonne aujourd’hui. « Il s’avère que la décarbonation peut permettre de faire des économies… A cause des politiques publiques, d’une pression qui vient d’en haut et celle de nos enfants. On ne peut pas s’échapper », concluent à l’unisson les acteurs.
Lien utile :
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