Laurence Carrubba (*), fondatrice du cabinet Enoïa, riche de trente ans d’expériences dans le monde l’entreprise et coach professionnel certifiée, a développé depuis une quinzaine d’années l’accompagnement des jeunes dans leur choix d’orientation. Elle évoque ici sa méthode et donne son point de vue sur les effets induits par Parcoursup.
Vous qui accompagnez les jeunes pour les conseiller dans leur orientation postbac, quelles sont leurs préoccupations essentielles ?
Laurence Carrubba : Concernant les jeunes, leurs préoccupations essentielles sont en lien avec les différentes étapes de leur parcours scolaire et d’orientation, auxquelles les jeunes doivent répondre tout au long de leur scolarité : en fin de classe de 3ème (2nde générale ou orientation pro) ; en fin de seconde (choix des enseignements de spécialités si voie générale, ou choix d’une filière technologique ou professionnelle), en fin de première (quel enseignement de spécialité abandonner ?) ; en terminale : choix des vœux sur Parcoursup ; ou sur des sujets de redoublement. (Est-ce qu’il vaut mieux que je redouble, que je « force » le passage ou que je m’oriente vers une autre filière ?)
Les préoccupations sont tantôt pragmatiques pour connaître les formations, les métiers, les débouchés qui pourraient leur correspondre, les débouchés, ou plus introspectives : mieux se connaître, développer de la confiance en soi, retrouver de la motivation aux études. Nous avons aussi des demandes d’éclairage par rapport à un jeune qui serait en difficulté dans ses apprentissages (doit-on l’orienter ou persévérer ? faire un bilan des apprentissages ? quels débouchés pour lui ?)
Concernant les parents, leurs préoccupations essentielles sont de diminuer le risque d’erreur d’aiguillage, de les aider à mieux comprendre le profil de leurs enfants, les différentes filières de formations et passerelles « qui ont bien changé », et souvent, de faire de la médiation à un âge où le dialogue ado/parents est parfois difficile.
De manière globale, les attentes sont de diminuer le stress autour des sujets d’orientation, d’avoir un plan d’action et de mieux maîtriser le système.
Une étude du Crédoc réalisée 2018/2019 montrait qu’un jeune sur trois accédant à l’enseignement supérieur abandonne ses études ou se réoriente en fin de première année de licence, qu’un jeune sur deux n’est pas satisfait de son accompagnement sur les sujets d’orientation et dans la même proportion qu’il n’a pas de projet professionnel au moment de faire des choix.
Quelle est votre méthode pour être au plus près de leurs besoins ?
Laurence Carrubba : Ma méthode est basée sur une démarche personnalisée qui vise à mettre le jeune en mouvement : « Apprendre à s’orienter plutôt qu’être orienté ». Elle fait appel aux techniques du Bilan de Compétences et aux techniques d’accompagnement en coaching professionnel qui permettent de travailler sur la motivation et faire en sorte que l’enfant devienne acteur de son projet. Elle est pragmatique et concrète.
Ma méthode est basée en 5 étapes :
- Une meilleure connaissance de soi dans une réflexion introspective sur sa personnalité, ses ressources, ses aptitudes, ses formes d’intelligence, ses intérêts
- L’étude d’un profil d’orientation validé par un entretien d’explicitation et le croisement de plusieurs données et outils
- L’ouverture de scénarios professionnels cohérents avec la personnalité et le profil du jeune lui permettant de prendre de la connaissance sur de nombreux métiers qui pourraient l’intéresser
- La réflexion sur des stratégies de formation, basées sur plusieurs scénarios, permettant d’avoir une vision du champ des possibles, la connaissance des différentes écoles ou universités, le plan d’action à mettre en œuvre dès la fin de l’accompagnement.
- Et enfin, la restitution et le moment d’échange avec les parents pour créer la coopération dans la suite du parcours de leur enfant.
Mon rôle de consultant est à la fois de faire de la médiation d’information (quelle information utile au jeune par rapport à son projet), de faire de la pédagogie sur les filières de formation existantes adaptées à leur profil, de travailler plusieurs niveaux de scénarios, et souvent de trouver des solutions adaptées dans des situations complexes.
Mon rôle de coach est de considérer l’enfant comme une personne responsable, de l’autonomiser dans son parcours d’orientation, de déclencher les leviers de motivation, de rendre possible leurs rêves et leurs ambitions dans un principe de réalité : au mieux je comprends ce qu’on attend de moi, au mieux je serai préparé ! Ce qui passe notamment par la relation et l’alliance que je vais créer avec eux.
Consultez l’intégralité de notre Hors-série consacré à l’emploi et la formation avec un dossier spécial consacré à Parcoursup
Quels enseignements tirez-vous de la mise en place de Parcousup pour l’orientation des lycéens après le bac ?
Laurence Carrubba : Dans les effets positifs, je dirai que Parcoursup permet de centraliser beaucoup d’informations sur les formations (établissements, contenu des formations, critères d’admission ou sélection, places disponibles, taux d’accès, taux de boursiers…), de disposer d’une vision nationale des formations, et de se mettre en réflexion et en action dès la classe de seconde, parce que « tout le monde en parle »
Dans les effets négatifs, je dirai que Parcoursup s’est créé un mauvais « buzz » qui génère du stress et une réaction anxiogène chez les jeunes et leurs parents. Le fait de devoir choisir à un âge où un adolescent ne se connait pas, ou ne souhaite pas réfléchir à ces sujets, peut générer des craintes importantes (« peur de se tromper », « je joue ma vie », fantasme sur l’algorithme…), et des tensions dans les familles.
Parcoursup est une plateforme très riche d’informations mais peu lisible et peu ergonomique. Elle peut paraître difficile d’accès pour certains.
Enfin, je constate que même si Parcoursup a pour vocation de rendre disponible les informations au plus grand nombre, elle accélère les inégalités entre les jeunes qui sont accompagnés et « maîtrisent » les attendus, et les jeunes qui doivent se débrouiller seuls ou peu accompagnés par leurs établissements ou leurs parents. Ceux-là malheureusement se censurent ou au contraire ne sont pas dans la réalité, font peu de scénarios alternatifs et n’ont pas les choix qui leur conviennent.
Réfléchir à son orientation s’amorce amont dès la classe de seconde. L’orientation est un processus, il est nécessaire d’y consacrer du temps pour mieux se connaître, explorer le monde professionnel par des enquêtes métiers, stages et immersion, aller en journées portes ouvertes, anticiper et se faire accompagner dans sa réflexion.
Lien utile :
La ministre Sylvie Retailleau : « Parcoursup, c’est un travail d’amélioration continu »
(*) Laurence Carrubba dispose de 30 ans d’expérience professionnelle en tant que dirigeante de business units et chef d’entreprise. Elle est coach professionnelle certifiée RNCP, formée à la méthode COS, Coaching Orienté Solutions, membre fondatrice de l’association de coachs Lescosystem. Elle accompagne depuis plus de 15 ans des professionnels en reconversion, bilans de compétences et des dirigeants/managers en coaching professionnel. Son ADN est le monde de l’entreprise, le pragmatisme et « l’orientation solutions ». Elle possède une très bonne connaissance des métiers, des secteurs et des filières de formation. Elle est certifiée à l’outil TLP Navigator, profil d’évaluation comportementale et à l’outil EQ-i 2.0, outil de diagnostic en intelligence émotionnelle. Elle a mis au point une méthode d’accompagnement des jeunes qui a fait ses preuves depuis 15 ans et forme aujourd’hui des coachs qui veulent accompagner les jeunes dans leur orientation. Laurence Carrubba, basée à Marseille, accompagne plus d’une centaine de jeunes par an et intervient en tant que coach au Career centre de Kedge Business School et est partenaire de la Fondation Archery.