« Après le chagrin, la rage ». À la nuit tombée, le point de départ était donné à la rue d’Aubagne, devenue désormais tristement symbolique. Les Marseillais étaient des milliers, 8 000 selon la préfecture de police, des jeunes et des moins jeunes venus seuls, à deux ou en famille, à être « en colère » contre le maire (LR) de Marseille Jean-Claude Gaudin. Le cortège, composé d’habitants, d’associations (Une centre-ville pour tous, l’Assemblée de la Plaine…), de quelques syndicats (CGT, Lutte Ouvrière…) et de rares personnalités politiques, notamment issues du PCF, a tracé sa route vers l’Hôtel de ville, après une minute de silence sur le Vieux-Port, en hommage aux huit victimes de l’effondrement de trois immeubles rue d’Aubagne il y a dix jours. Les photos et prénoms des huit morts étaient brandis en tête de cortège, derrière des flambeaux.
Avalanche de slogans anti-Gaudin
« Sang sur les mains, menottes aux poignets », « Elus, responsables, que la justice passe », « Laisser mourir pour mieux spéculer », « Gaudin, Soleam, syndics, proprios : on ne vous lâchera pas » … Les pancartes et les slogans pleuvaient. La foule scandait, sous les fumigènes, révoltée, des « Gaudin t’es foutu, Marseille est dans la rue », « Justice et dignité » et a adapté les paroles du chant de l’Olympique de Marseille, Aux Armes. Le groupe de supporters de l’OM MTP était d’ailleurs présent dans la longue file qui descendait le quai du Port.
Arrivés à l’Hôtel de ville, les manifestants, ont sifflé et entouré le bâtiment sous la surveillance des CRS mobilisés pour l’occasion, malgré les barrières. Sandrine, indignée, fusillait du regard les fenêtres du bureau du maire de Marseille. Elle fait partie d’une association, rue Jean Roque, qui a été évacuée de ses locaux par précaution. Au total, le dernier décompte municipal fait état de 700 personnes hébergées par la Ville depuis la catastrophe à la suite d’évacuation après des signalements.
« Les personnes qui sont décédées, ils venaient chez nous, alors on les connaît. C’était comme notre famille », se rappelle Sandrine. « J’ai une haine, vous ne pouvez pas imaginer cette haine que j’ai. C’est une honte ce qu’il a fait monsieur Gaudin. » La femme habitait elle-même dans le quartier de Noailles. Elle a été relogée dans un appartement de Marseille Habitat dont elle dit que les plinthes se détachent des murs. Sandrine envisage de déménager à nouveau, cette fois-ci sans l’aide de l’opérateur.
Plus calme, Bénédicte, déjà mobilisée pour les écoles vétustes à Marseille, est venue avec son fils Jules qu’elle souhaite « sensibiliser » et inculquer « une leçon d’humanité ».
Vives tensions entre CRS et manifestants
Aux alentours de 19h, sous des slogans de plus en plus intenses, la foule s’échauffe. La façade de l’Hôtel de ville est devenue rouge fumigène. Plusieurs pétards éclatent devant la façade et sur le parvis. Au milieu de la foule, une femme brandit un panneau : « Renversez la mairie ». Devant les barrières, le ton monte entre CRS et manifestants. Les barricades sont renversées, certaines jetées. La police charge et tente de disperser tout le monde en usant de gaz lacrymogène. Une fois, deux fois, trois fois…
Au milieu, Benjamin, qui n’est pas Marseillais, passe à vélo, sans savoir ce qu’il se passe. « Je n’étais pas au courant qu’il y avait forcément une responsabilité pour qui que ce soit. Je suis en train d’apprendre en discutant avec des gens. Il faut que les personnes (concernées) ne restent pas impunies et que ça ne soit pas toujours les mêmes qui trinquent ».
Alors que la plupart des restaurants ont fermé leur terrasse et que les pompiers arrivent sur place, une femme leur indique un homme blessé à la tête. Samir, un habitant du Panier, décide de se mettre en retrait. « La colère c’est aussi le nom de la manifestation mais c’est dommage. De montrer sa colère c’est une chose, mais on peut la montrer autrement, on n’est pas obligés de tout soulever et de s’énerver. Normalement les forces de police ne devraient même pas avoir à être là, on n’a pas besoin de ça ». Au micro, Kaouther, membre du collectif « 5 novembre : Noailles en colère », appelle au calme et rappelle le réel objectif de la manifestation : « que tous les Marseillais, d’origine ou d’adoption, soient traités dignement ». « On n’est pas venu casser, on n’a donné aucun mot d’ordre de casser. La violence n’est jamais venue de nous. La violence elle est structurelle, institutionnelle, elle vient de l’État, elle ne vient pas des citoyens, unis et solidaires. ». Une partie de la foule se disperse mais l’autre reste plantée devant l’Hôtel de ville.
« Il n’y a pas que Gaudin, il y a aussi les propriétaires »
En marge, rue Bonneterie, Danielle observe de loin avec sa fille, sa petite-fille et son chien, affublé lui aussi d’une pancarte « Noailles en colère ». Elle est désolée de la tournure que prend le rassemblement. La femme de 55 ans habite au 56 rue d’Aubagne et a vu l’effondrement du 63 et du 65, en face. Chez elle, les murs et le parquet sont fissurés. « Je ne suis plus en sécurité. En face c’est Bagdad, et à côté j’ai les bougies et les fleurs ». La Marseillaise dort aujourd’hui chez sa fille, et n’a pour l’instant pas été évacuée. « Je suis allée à la mairie, on m’a dit que je n’étais pas trop concernée et que d’autres passaient avant moi ». Elle dit aujourd’hui en être malade après avoir fait une crise de tachycardie et recherche un appartement. « Il n’y a pas que Gaudin, il y a aussi les propriétaires, ils sont aussi fautifs. Ils louent les appartements et ils s’en foutent ! ».
Les CRS parviennent à repousser les derniers manifestants vers la Canebière. Plusieurs sapins de Noël sont brûlés sur le Vieux-Port. Cinq personnes ont été interpellées selon la Préfecture de police. Un homme a peint la date du « 5.11.18 » en rouge en face de l’Hôtel de ville.
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