Gomet’ avec ses partenaires, Région Sud Investissement et le cabinet Crowe Ficorec, publie tous les semestres le baromètre métropolitain des levées de fonds. Pour notre dernière édition sur le premier semestre 2021, Matthieu Capuono, directeur associé chez Crowe Ficorec, commente la tendance et livre son opinion sur les points forts et les points faibles de la métropole.
Tandis que la tech française bat tous les records de levées de fonds au premier semestre, au niveau métropolitain, les chiffres restent stables. Comment expliquez-vous ce décalage ?
L’envolée de ce début d’année au niveau national est essentiellement dû à des levées significatives portées par des sociétés qui ne sont plus vraiment des start-up. Si nous prenons l’exemple de Contentsquare, elle ressemble plus à une entreprise de taille intermédiaire (ETI) avec déjà du chiffre d’affaires et du résultat. Et ces sociétés sont pour la grande majorité basée à Paris. Ensuite, c’est vrai que je suis étonné de voir des chiffres encore un peu faibles alors qu’on s’attendait à une forte accélération en 2021. Mais les effets du Covid sont encore présents. On a vu beaucoup d’opérations de série A être repoussées vers la fin de l’année car elles se servent encore des fonds du prêt garanti par l’Etat (PGE) et des différentes aides mises en place. Leurs besoins de trésorerie se sont décalés de trois à quatre mois. Les dirigeants préfèrent donc attendre un peu pour être dilués tant que c’est possible.
Quels sont les enjeux de la métropole Aix-Marseille pour attirer les investisseurs ?
L’enjeu principal de notre région est de faire passer les petites entreprises au stade de PME puis d’ETI. On reste encore trop sur un tissu économique composé principalement de TPE-PME. Ce changement d’échelle passera par le financement et donc l’arrivée de nouveaux acteurs du capital-investissement plus importants. Aujourd’hui, les fonds comme Région Sud Investissement et BPI sont les référents principaux. Il y a un manque de décrochage local des opérateurs parisiens. Pour les attirer, il faut arriver à mieux vendre notre territoire, régler les problèmes de mobilités, créer davantage d’écoles internationales… Ce sont des aspects politiques mais en tant qu’acteurs économiques, nous avons aussi notre rôle à jouer. Cela vaut tout aussi bien pour les sociétés de capital-risque que pour les autres entreprises. Il y a quelques années, JPMorgan a ouvert une antenne à Marseille pour suivre les entreprises américaines du territoire. Beaucoup d’opérateurs font le même constat. Pour l’instant, il n’y a pas assez de grosses entreprises sur le territoire pour justifier l’ouverture d’un bureau avec une équipe sur place.
Est-il plus facile de lever des fonds sur Paris qu’à Marseille ?
Paris est naturellement la place financière où il est plus facile d’être en contact rapidement avec les gros opérateurs. La plupart des entreprises vont là-bas pour boucler leurs levées. Les fonds qui mettent beaucoup d’argent sont à Paris mais localement nous avons tout ce qu’il faut pour boucler les opérations qui deviennent intéressantes. Pour commencer, il faut s’assurer de réaliser celles-ci en région pour ne pas voir s’échapper les entreprises.
Les dirigeants locaux sont-ils bien préparés pour mener à bien une levée de fonds ?
Les chefs d’entreprises doivent être accompagnés que ce soit au niveau local comme au niveau national. Certains dirigeants ont du mal à valoriser correctement leur entreprise. D’autres pensent que leur société vaut des millions sans même avoir réalisé le moindre chiffre d’affaires. Ensuite, il faut davantage accompagner les patrons de PME pour passer au stade d’ETI. Nous avons de plus en plus d’accélérateurs mais ils sont encore trop concentrés sur la transformation des projets en start-up. Il faut plus se tourner vers les PME qui sont déjà bien installées pour les pousser. Un peu comme le fait aujourd’hui l’accélérateur de Rising Sud en collaboration avec la BPI.
La place financière marseillaise est-elle bien structurée ?
Il existe d’excellent réseaux de business angels et tout le monde se connaît dans le milieu. Mais c’est vrai que depuis la disparition de la Cefim (communauté économique et financière méditerranéenne), aucun acteur n’a repris les rênes de l’animation du réseau des financeurs marseillais. Une nouvelle association vient de naître : Ambition Capital. Sous l’impulsion de Franck Paoli, le patron du fonds Connect Pro, elle fédère les acteurs du secteur et l’initiative est prometteuse. Il faut davantage travailler ensemble et partager les bonnes pratiques pour répondre aux besoins des entreprises et leur offrir une bonne raison de réaliser leur levée localement plutôt que d’aller tout de suite chercher les fonds parisiens ou étrangers.
Les entreprises de la santé et du numérique sont encore une fois les secteurs en tête de ce baromètre des levées de fonds. Pourquoi ?
Le secteur de la e-santé gagne en maturité et n’est pas en manque d’innovation ; au contraire de plus en plus d’entreprises (petites et grandes) proposent des services pouvant améliorer l’accès aux soins ou la qualité des soins. La crise liée à la Covid-19, si elle a freiné les investissements pendant un temps, a surtout été un accélérateur de la digitalisation de la santé. La tendance va se poursuivre dans les années qui viennent. La recherche médicale qu’elle soit publique ou privée est très consommatrice de cash et nous avons de très belles pépites dans le domaine. C’est un gros atout mais il faut s’assurer de garder les sièges sociaux et les fonctions supports dans la région. Dans le numérique, les confinements ont été très profitables car les solutions digitales ont permis à l’économie de continuer à tourner. Les sociétés du secteur n’ont pas été freiné dans le développement de leur business surtout à l’international. Il y a aussi une culture de la croissance et de la recherche de la performance dans ces entreprises qui évoluent. Les patrons du digital ont de moins en moins peur d’aller chercher des fonds pour financer leur développement. Depuis un ou deux ans, je remarque que ces chefs d’entreprises ont de plus grandes ambitions que leurs homologues d’autres filières.
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