L’heure de vérité approche dans le dossier de la réforme de la Métropole Aix Marseille Provence. Jeudi 15 décembre, les conseillers métropolitains réunis en conseil adopteront (ou pas) la nouvelle étape de l’institution. Déjà en juillet, les conseils de territoire, héritages des anciens EPCI, ont été rayés de la carte, comme cela était prévu dès l’origine de l’institution en 2016. La collectivité, née en 2016 au forceps, peine depuis des mois à trouver le nouveau souffle que voudrait lui insuffler la loi 3DS.
Après la réunion du bureau de l’exécutif métropolitain tenue la semaine précédente, la conférence des maires, instance de débat sans pouvoir réunissant les premiers magistrats des 92 communes de la Métropole, a été l’occasion jeudi 1er décembre d’une explication franche. Sans la présence du public ni des médias, la parole se libère et fait souvent place à des échanges débarrassés des effets de tribune. Les maires des grandes villes de la Métropole étaient bien présents, à commencer par celui de Marseille, Benoît Payan et celle d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains.
Et surprise… La séance s’est plutôt bien passée et a abouti à un accord qui méritera d’être encore affiné, et surtout confirmé lors du vote, cette fois en séance publique jeudi 15 décembre (voir l’ordre du jour ci-dessous). Selon plusieurs sources interrogées par Gomet’, émanant d’élus ou du proche entourage de la présidente de la Métropole, Martine Vassal, et du maire de Marseille, l’accord qui se profile concerne trois points principaux : la dotation de solidarité métropolitaine, le transfert des compétences voirie et propreté, et le droit de veto de Marseille sur la réforme en cours.
Sur la dotation de solidarité communautaire (DSC), le maire de Marseille a exprimé son souhait de bénéficier d’un versement digne des solidarités qui doivent s’imposer entre communes riches et communes pauvres. Cette péréquation de solidarité, obligatoire dans les autres métropoles, ne s’est pourtant pas appliquée ici, comme si l’Etat avait été un spectateur complice d’une dérive territoriale hors la loi jusqu’à ce que la cour régionale livre publiquement ses chiffres : la somme mobilisée au niveau métropolitain atteint… 100 000 euros,« soit 5 centimes par habitant alors que la moyenne des métropoles se situe à 30 euros par habitant» rappelle un conseiller de Benoît Payan. « L’Etat est coupable de ne pas avoir réagi tout au long de ces années » accuse le sénateur écologiste EELV Guy Benarroche, auteur d’un amendement (lire plus bas) et membre de la mission sénatoriale sur l’avenir des métropoles. Benoît Payan, arguments à l’appui, a réussi à convaincre de la légitime demande de la Ville de Marseille de bénéficier enfin d’une aide de solidarité prenant en compte à la fois son niveau de richesse (plus faible que la moyenne), son nombre d’habitants mais aussi ses charges de centralité, à l’instar des hôpitaux de l’AP-HM (25 millions d’euros) qui pèsent sur les moyens qu’elle doit mobiliser pour des équipements qui profitent à tous les métropolitains.
Dotation de solidarité communautaire : trois paliers
Trois étapes sont balisées pour rattraper un peu du retard avec des versements successifs : 15 millions d’euros en 2023, 30 millions d’euros en 2024 et 45 millions d’euris en 2025. Après des discussions parfois tendues, la majorité des édiles a estimé que la demande était légitime. La présidente de la Métropole a validé l’effort nécessaire en 2023. Par le jeu des solidarités, l’institution devra donc trouver 22,5 millions d’euros en 2023 pour être en capacité de verser 15 millions à Marseille, puis 66 millions en 2025 pour afin de reverser les 45 millions fléchés vers Marseille. Pour financer l’enveloppe les années suivantes, la Métropole devra donc trouver de nouvelles marges de manoeuvre. Elles sont faibles. Un amendement pour augmenter la fiscalité mobilité déposé dans le projet de loi de finances a été retoqué par la droite sénatoriale comme par le gouvernement.
Reste une solution pour trouver de nouvelles ressources : dépenser moins en rognant sur les attributions de compensations, les fameuses “AC” qui ponctionnent le budget métropolitain depuis son origine. Il s’agit d’un reversement aux communes pour qu’elles exercent des compétences déléguées par la Métropole. Elle sont parfois une part essentielle du budget. Mais le rapport de la Chambre régionale des comptes est passé par là. Les AC représentent 60% du budget de la Métropole contre 20% en moyenne ailleurs en France et la CRC constate un trop versé de plus de 178 millions d’euros en 2021, entre ce qui aurait dû effectivement être versé aux communes, et ce qui l’a été en réalité.
Sur ce très sensible sujet, il semblerait que les maires aient accepté une réduction progressive lissée sur plusieurs années. Un accord obtenu face à une double menace : celui d’un amendement déposé au Sénat par le sénateur Guy Benarroche, co-signé par Jérémy Bacchi, déposé le jour même mais préparé depuis plus d’un mois, avec des échanges avec le gouvernement, la mairie de Marseille et le Métropole précise le sénateur. Objectif : imposer dans la loi la réduction des AC si l’assemblée métropolitaine ne parvient pas à décider. Le message est clair : « Le présent amendement prévoit une procédure visant à encadrer le retour à un niveau des attributions de compensation conforme à la réalité des charges transférées et à instituer une dotation de solidarité communautaire pour réduire les disparités de ressources et de charges entre les communes. Il est assorti d’un ensemble de garanties visant à respecter le principe de libre administration de chacune des communes membres.»
L’autre menace qui pèse sur les maires ce jeudi 1er décembre est le droit de veto attribué à la Ville de Marseille qui par la loi peut tout faire capoter si son maire juge l’accord de réforme inéquitable. Dans ce cas, toutes les compétences de toutes les communes sont de facto “remontées” à la Métropole, ce que nombre de maires refusent. Le maire de Marseille a même transmis une lettre en ce sens aux maires métropolitains en novembre.
Amendement et droit de veto : deux menaces couperet
Face à ces deux “bombes nucléaires” qui pèsent sur le ciel des communes provençales les maires auront donc cédé. Le vote du 15 décembre devra le confirmer en précisant le chemin choisi pour un retour à la légalité. Le maire de la Roque d’Anthéron, Jean-Pierre Serrus se réjouit de ce retour à la raison tout en affichant une certaine prudence.« C’est maintenant aux élus du territoire de montrer que l’on prend nos responsabilités. Je suis plutôt rassuré que l’on ne soit pas allé à une situation de rupture. Maintenant le sujet de fond demeure : comment la Métropole peut flécher les fonds vers les politiques prioritaires comme les mobilités, la transition écologique… On voit bien que les débats ne sont pas terminés.»
Certains maires continuent de considérer publiquement que les changements en cours visent à les déposséder au profit de Marseille. « Je voterai conforme seulement si on nous donne des compensations au travers d’une dotation de solidarité communautaire.» déclare le maire de Martigues, Gaby Charroux dans la Marseillaise vendredi 9 décembre. Et de considérer que désormais si la réforme passe, les communes comme Martigues « sponsorisent Marseille. » Pour François Bernardini, le maire d’Istres, interrogé par Gomet’ au lendemain du conseil des maires du 1er décembre,« contrairement ce qui est dit partout les attributions de compensations ne sont pas des sommes indues, elles correspondent à une certaine histoire. Donc à partir de là, la notion de repartage de ces sommes là est un peu critique dans la mesure où cela ne pourrait faire défaillir le budget des communes.» L’ex-président d’Istres Ouest Provence confirme tout de même un accord pour le déclenchement de la dotation de solidarité communautaire pour 2023 et une position qualifiée par l’édile de« confiante et constructive entre les parties pour les années 2024 et 2025. » Une formule sybilline qui témoigne des incertitudes persistantes.
La mairie de Marseille renonce aux compétences voirie et propreté
Concernant les compétences, le maire de Marseille renonce finalement à récupérer les compétences voirie et propreté comme le lui permettait la réforme de la Métropole. Selon un proche, interrogé par Gomet’, le maire de Marseille estime que la situation est suffisamment complexe pour ne pas en rajouter, d’autant que la Ville ne bénéficierait pas d’une vision précise complète de l’état des routes sur sa commune (1200 kilomètres). Une incertitude qui laisse planer un doute sur les montants à investir pour l’entretien de la voirie phocéenne et invite le maire à la prudence. Sans parler des problématiques de transfert des agents alors que ceux-ci sont intégrés depuis plus de vingt ans à la communauté urbaine et préfèrent y rester.
Et puis un accord a été trouvé entre le maire de Marseille et Martine Vassal.« La présidente a proposé de mettre en place une vice-présidence ad-hoc chargée de la voirie et de la propreté. Une vice-présidence qui serait issue des rangs de la majorité marseillaise du Printemps marseillais » confie un proche de Martine Vassal. La ville de Marseille obtiendrait ainsi avec un élu la conduite de la politique de la voirie et de la propreté sans en avoir la charge financière et administrative. De quoi enfin avancer dans une Métropole qui veut ouvrir un Acte 2 plus convaincant que le premier ? Début de réponse ce jeudi 15 décembre.
Document source : l’ordre du jour du Conseil de la Métropole du 15 décembre
Document source : l’amendant du Sénat du 1er décembre
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