La municipalité a décidé de dédier un espace et une plaque à la regrettée Nana, la poissonnière marseillaise qui, plus de 90 ans durant, a donné un accent à la vente à la criée du poisson sur le Vieux Port. Parmi les aphorismes dont elle usait cette perle : « je vends les vivants, au prix des morts ! ».
Sans ironie excessive, on pourrait du coup penser à la poiscaille ou plus exactement la faune que constitue aujourd’hui notre espace politique. Les idées moribondes s’y vendent au même prix que les utopies les plus vivantes. Passons ! Pour rester dans le langage fleuri de la défunte et à entendre et lire quelques récentes déclarations de nos leaders locaux, il semble que les temps soient encore à « brouméger » plutôt qu’à « piter ». En traduction simultanée, nos édiles n’ont pas dépassé le stade où on tente d’attirer le poisson citoyen dans le filet des urnes. Il est vrai que les Marseillais sont peu enclins, en cette époque incertaine, à mordre à quelque hameçon que ce soit. Il y a pourtant eu ces derniers jours quelques « bougés » notoires, pour reprendre une expression chère désormais à François Bayrou et ses interlocuteurs.
Ceux qui croient encore à la vitalité du Printemps Marseillais se sont ainsi réunis le 17 janvier dernier, dans la salle des Grands Carmes, pour sommer notamment l’ensemble des formations ou sensibilités de gauche, de s’arcbouter sous les couleurs du Nouveau Front Populaire. Marc Rosmini, avec la sagesse d’un philosophe grec, s’interroge comme le rapporte Le Monde. Il est venu « voir si les choses qui s’effritent au niveau national peuvent tenir à Marseille ! »
Sébastien Delogu fixe ses conditions
D’autres comme le député Hendrik Davi, pas rancunier pour un sou, s’entête à « fraternellement tendre la main » à tous, y compris à un autre parlementaire, Sébastien Delogu, qui a pourtant été en pointe pour l’évincer de la France Insoumise. Ce dernier avec le sens de l’ouverture qu’on lui connait rappelle qu’il n’y a qu’une hypothèse acceptable, « un programme politique à respecter ». Elle passe même s’il ne le dit pas par la case « destitution de Macron » et une élection présidentielle anticipée derrière le seul leader auto-proclamé possible, Jean-Luc Mélenchon.
Le monde associatif, présent ce soir-là dans cette salle du deuxième arrondissement, n’a pu que constater combien la distance était grande désormais entre la divine surprise qui avait vu l’élection en 2020 du duo Rubirola-Payan et la perspective d’une nouvelle coalition capable de résister à la droite et à l’extrême droite.
Comme toujours pour ces rassemblements éphémères, il faut mesurer leur force ou leur dynamique à l’aune de ceux qui étaient absents. Un Laurent Lhardit député socialiste était de ceux-là, lui qui a participé avec conviction, au palais Bourbon, à la décision de son groupe de ne pas censurer le gouvernement Bayrou. On peut aisément en déduire que l’ex-adjoint à l’économie de Benoît Payan avait la bénédiction de son maire pour se faire porter pâle aux Grands-Carmes, comme le premier secrétaire fédéral du PS, Yannick Ohanessian, ou encore l’adjoint aux sports Sébastien Jibrayel. En guerre ouverte dans le 16e arrondissement, pour une histoire de cornecul entre colleurs et arracheurs d’affiches, ce dernier peut témoigner de la distance qui existe entre PS et LFI.
Benoît Payan, Martine Vassal : donner du temps au temps
Quant au très long entretien que le maire a accordé à La Provence il apportait, entre langue de bois parfaitement maîtrisée et sous-entendus sans version sous-titrée, un éclairage singulier sur la stratégie de Payan. On peut résumer la pensée du Premier magistrat ainsi en paraphrasant une des sorties d’un de ses principaux adversaires, Renaud Muselier lorsqu’il était sous-ministre de Dominique de Villepin : « je fais tout le travail, ils font le reste ! ». Il concède cependant en vilipendant au passage « les circonvolutions des uns et des autres » une inquiétude, le « danger » que représente toujours le Rassemblement National. Mais puisqu’il est réputé « non encarté » qu’on ne compte pas sur lui pour tracer les contours de la carte marseillaise des prochaines municipales.
La stratégie de Martine Vassal, néo-macroniste depuis 2022, est en écho assez semblable à celle du maire sortant. Certes elle laisse entendre qu’elle « ne s’interdit rien », mais comme Benoît Payan avec qui elle a signé une paix armée, elle n’ignore pas que si Marseille vaut bien une messe, il faudra attendre la fin de l’office républicain toujours en cours au plan national. Elle laisse donc, comme son adversaire principal quelques estafettes pressées, tenter d’émerger dans un camp fragmenté où l’on oscille sans boussole entre quelques rares survivances gaullistes, nombre de tentations sécuritaires, ou encore positionnements réactionnaires dans le domaine sociétal. Immigration, salle de shoot, narcobanditisme… un salmigondis inaudible qui trouble peu le quotidien de la ville.
Sans grand risque de se tromper on peut imaginer à les entendre que les deux principaux pôles politiques marseillais se constitueront en évitant de faire alliance avec leurs extrêmes. A moins encore une fois que les mois qui arrivent dessinent un autre scénario. Il faut donc pour l’heure donner du temps au temps et pour déceler un nouveau programme municipal et slalomer entre les non-dits des uns ou le vacarme des autres.