L’Histoire aura à écrire ce nouvel épisode de la vie politique tourmentée de Marseille. Du faux attentat de la Rue Dragon qui permit à Gaston Defferre, en 1983, de se sortir du mauvais premier tour des municipales, à la tragi-comédie qui présida à sa succession en 1986 lorsque Michel Pezet fut qualifié de « parricide », en passant par la valse des héritiers que Jean-Claude Gaudin mit en musique, Marseille est experte dans cet art vénéneux où le doute s’insinue derrière chaque acte, chaque parole, chaque moment.
Celui qui devra être examiné à la loupe, lorsque le temps sera venu, commence désormais ce jour où, Michelle Rubirola accepta de faire éclore un printemps marseillais, pour rafler, au début de l’été 2020, une victoire inespérée infligeant à Martine Vassal et une droite sûre d’elle et dominatrice, un camouflet dont elle ne s’est toujours pas remise. Il faudra bien que l’on éclaire alors les Marseillais sur les tenants et aboutissants de cette alliance passée entre ce médecin écolo, aux propos aussi ambigus que sa pensée semblait confuse, et le sémillant Benoît Payan, notaire de formation, aux réparties tranchantes et à l’assise politique solide.
Les électeurs ont-ils été victimes, comme d’aucuns le répètent à l’envi, d’un « hold-up » sans précédent ?
Hervé Nedelec
Les électeurs ont-ils été victimes, comme d’aucuns le répètent à l’envi, d’un « hold-up » sans précédent ? Où les masques tombés, on s’aperçoit que les dés étaient pipés. Que Mme Rubirola, comme elle l’aurait confié au socialiste et ancien ministre François Lamy, venu candidater pour la direction de sa garde rapprochée, n’était là que pour « trois mois ». Qu’elle aurait joué les « cheval de Troie » pour conquérir une opinion publique peu favorable à un PS discrédité et un PC moribond. Que l’alibi fourni par des collectifs de citoyens, un peu naïfs, aura fait long feu, lorsque les professionnels de la politique enclenchèrent la mécanique qui préside à l’élaboration des listes, ne laissant à ces associations que la part du pauvre.
Les Marseillais qui ont tendance à s’enflammer devant l’audace, l’impertinence, le panache, méritent une éclaircie après ce nouvel orage. Qu’on leur dise si le prince Machiavel était encore de cette cuisine-là, ou s’il s’agissait surtout de cette bouillabaisse où les poissons les plus nobles baignent dans un bouillon où frétillent quelques anguilles. Benoît Payan, enfant du PS a été biberonné à une époque où les fausses cartes dans son parti étaient aussi nombreuses que les vrais militants. Il a vécu dans l’ombre de personnages qui auraient toute leur place dans la série « Baron noir ». Il a appris dans ce cloaque qu’il y avait des moyens déloyaux, mais que seule était juste la fin, celle qui permet de rafler la mise. Pour autant il fut un opposant assidu à Jean-Claude Gaudin, un élu studieux disséquant avec méthode le système qui perdurait et conduisait la ville à l’impasse, un observateur empressé auprès des populations en déshérence, des laisser pour compte, des invisibles des quartiers en perdition. En un mot : un bosseur.
Il lui reste donc à prouver que le fauteuil sur lequel il va s’assoir n’est pas trop grand pour lui. Qu’il n’est pas à la tête d’une association de repris de justesse, mais de femmes et d’hommes résolus à sauver Marseille du naufrage. Qu’il va suivre les recommandations de la chambre régionale des comptes et les observations du parquet national financier qui nourrirent si abondamment ses critiques légitimes. Qu’il rompra avec des mœurs syndicales qui font de Marseille un modèle inégalé de caricature. Dans la bataille qui l’attend, il devra compter avec une partie de la droite revancharde, une métropole en déliquescence, un conseil départemental sourd aux appels d’urgence, un Etat perplexe et sourcilleux. Pas simple.
Marseille doit mettre fin à une fatalité qui veut qu’elle tutoie les sommets puis plonge dans les abysses.
Hervé Nedelec
Et pourtant il ne tient qu’à lui, après la divine surprise qui a passablement secoué la deuxième ville de France, à être le premier à saisir le taureau par les cornes, à ruer dans les brancards, à balayer les boniments au profit du parler vrai. Marseille doit mettre fin à une fatalité qui veut qu’elle tutoie les sommets puis plonge dans les abysses. Elle n’a pas dans sa partie de cartes d’atouts maîtres, mais une énergie à revendre. Pas à n’importe quel prix. Il revient à Benoît Payan et l’équipe hétéroclite qui le porte, à faire mentir ceux qui ont la conviction que la maladie politique qui sévit dans cette ville depuis tant d’années est mortelle. Ils devront être attentifs à la fièvre qui peut embraser son opinion, aux sales microbes qui coulent toujours dans ses veines, aux lourds handicaps qui peuvent entraver sa convalescence. Le docteur Rubirola a sans doute diagnostiqué tout cela. C’est à Benoît Payan de prescrire les remèdes, sous peine de se retrouver aux urgences.