Dimanche 19 juin, les électeurs n’ont pas accordé une majorité absolue (289 sièges) au parti présidentiel, qui n’a obtenu que 245 sièges. « C’est une claque pour la majorité », a affirmé Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po Paris, sur France Culture, soulignant notamment la défaite de plusieurs ministres (Justine Bénin, Amélie de Montchalin et Brigitte Bourguignon). « La majorité se retrouve prise en étau sur sa gauche et sur sa droite », constate pour sa part Frédéric Says, éditorialiste sur la même antenne.
Des discussions nécessaires entre la majorité présidentielle et Les Républicains
Pascal Perrineau explique que cette configuration politique change la donne : le Président « est obligé se mettre autour d’une table avec d’autres qui ne partagent pas ses axes politiques pour véritablement entrer dans une stratégie de négociations. ». De fait, le chef de l’État va devoir apprendre « qu’il le veuille ou non, la culture du compromis parlementaire. ». Selon lui, « Emmanuel Macron ne pourra pas faire de compromis avec les groupes radicaux que sont LFI et le RN ». Pour avoir une majorité absolue, il devra donc « trouver des alliances avec les LR, les centristes et l’UDI ». Cependant, il prévoit que « si les LR entrent dans ce processus et qu’ils ne se divisent pas […], ils vont être exigeants ». Ce dernier parle même d’une « cohabitation relative avec des divers gauche, divers droite ou LR [qui] change complétement le profil de la macronie. »
Des questions autour du maintien d’Elisabeth Borne au poste de Première ministre se posent également : « s’il faut séduire du côté des LR, ce n’est peut-être pas Elisabeth Borne qui serait la meilleure interlocutrice », constate Virginie Martin, politologue et enseignante-chercheuse à Kedge Business School, sur France Info. Ce n’est également pas la mieux placée selon Pascal Perrineau qui évoque son « profil de gauche » et la nécessité d’avoir « un profil politique pour élaborer des compromis », déplorant « le côté un peu technocrate froid » de la Première ministre.
La Nupes, quel avenir ?
Au terme des élections, la Nupes aura obtenu 133 sièges à l’Assemblée nationale. Pour Pascal Perrineau, « c’est un échec pour Jean-Luc Mélenchon, sa stratégie étant d’avoir une majorité pour être Premier ministre. Mais si sa stratégie cachée était d’être la principale force de gauche, c’est réussi », constate-t-il. Il souligne toutefois que ces élections permettent de s’apercevoir une fois de plus que « la France n’est pas un pays de gauche, la France est à droite. » Pour Virginie Martin, « il va falloir apprendre à fonctionner de manière collégiale et s’entendre au sein de la Nupes. »
Nicolas Rousselier, historien politique et maître de conférences à Science Po Paris, affirme sur France culture que « le macronisme est atteint ce soir dans sa forme d’avoir voulu renouveler les vecteurs de la politique.» Gérard Courtois, journaliste au Monde, constate pour sa part que « cela fait basculer le dispositif présidentiel à droite de manière très claire et rend caduque toute la démarche d’Emmanuel Macron depuis cinq ans, de ne pas retomber dans ces ornières du monde ancien. » Par ailleurs, la nécessité de négociation rompt également avec le premier mandat d’Emmanuel Macron : « ça change complétement le profil de la macronie : par rapport à 2017, le parti présidentiel perd la moitié de ces effectifs. Il va falloir que le président change de tempérament. », explique Pascal Perrineau, déclarant que « Jupiter, c’est fini ».
La montée du Rassemblement national, marqueur de la fin du front républicain
Cette élection a été largement marquée par la montée en puissance du Rassemblement national, qui a obtenu 89 sièges : assez pour constituer un groupe parlementaire et déposer des motions. Pascal Perrineau analyse cette montée du RN par le fait qu’il « devient un parti avec des racines locales » et « le porte-parole incontesté des fractures sociales et territoriales. » Mathieu Gallard de l’institut Ipsos, explique dans Le Figaro que cela est surtout dû à la « dynamique de campagne [qui] a affecté à la baisse la qualité des reports de voix visant à faire barrage à la droite radicale ». Il souligne par ailleurs que « les électeurs d’un bloc ne font pas de vraie différence et n’expriment donc pas de préférence, ou en tout cas de détestation moindre, vis-à-vis des deux autres blocs ». Ce second tour des élections législatives signe donc pour lui « l’effondrement du front républicain ». Ce bouleversement est selon lui due en partie aux « consignes de vote inaudibles et aux propos des dirigeants de la majorité assimilant la Nupes aux islamo-gauchistes, à l’extrême gauche, voire à l’anarchisme ». Il souligne également « la campagne extrêmement violente de Jean-Luc Mélenchon et de ses lieutenants contre Emmanuel Macron ». Ces oppositions auraient d’après lui favorisé le développement de « trois blocs électoraux extrêmement étanches et antagonistes».
La conséquence d’une « désaffection du politique »
Virginie Martin
L’abstention est aussi ressortie gagnante de cette élection : 53,77% des Français ne sont pas allés voter dimanche selon les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur. Pour Virginie Martin, cela est la conséquence d une « désaffection du politique » car aux yeux de beaucoup de Français, « les réponses ne sont jamais données ».
Une configuration institutionnelle inédite sous la Ve République
Certains attendent de voir « si les institutions de la Ve république vont tenir et leurs solidité », comme Virginie Martin, politologue, tandis que d’autres s’inquiètent d’un blocage institutionnel. C’est le cas de Nicolas Rousselier, historien qui affirme sur France culture que « nous entrons dans une expérience parlementaire, une expérience constitutionnelle aussi nouvelle […] qu’avait été en 1986 la première cohabitation. Mais nous ne sommes pas là dans une cohabitation. Nous entrons dans une troisième république. » Pour sa part, Yves Bardon de l’institut Ipsos déplore sur France culture que « la France était divisée, fracturée et maintenant elle est absolument ingouvernable. »
En principe, le président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale et ainsi provoquer de nouvelles élections. Cependant, pas sûr que ce soit une bonne idée : « Ce serait extrêmement périlleux parce qu’on observe un anti-macronisme vivace. Cela risquerait de finir comme en 1997 (dissolution provoquée par Jacques Chirac, NDLR) », juge Pascal Perrineau. Virginie Martin, considère pour sa part que « de nouvelles élections serait un suicide collectif, une impasse pour les macronistes. »
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