Dans Soeurs, la réalisatrice rélève les cicatrices intérieures et les non-dits d’une famille franco-algérienne. Un récit vibrant au casting cinq étoiles : Isabelle Adjani, Rachida Brakni, Maïween et Hafsia Herzi. Le film est sorti dans les salles de la métropole le 30 juin. Gomet’ a rencontré Yamina Benguigui et la comédienne Hafsia Herzi à l’occasion de leur venue à Marseille au cinéma Les Variétés.
Depuis son premier documentaire Femmes d’Islam (1994), en passant par Mémoires d’Immigrés (1996), Inch’ Allah dimanche (2001), la série TV Aicha (2003), ou encore Le Plafond de verre (2004), Yamina Benguigui, qui fut, rappelons-le, ministre déléguée à la Francophonie (de 2012 à 2014), n’a eu de cesse de scruter, bien avant l’heure, des sujets brûlants d’actualité liés à l’immigration, comme la question du voile, la condition des femmes ou la discrimination à l’embauche. Avec “Soeurs”, second long-métrage de fiction, en partie autobiographique, la cinéaste engagée, poursuit sa quête et explore les non-dits d’une famille franco-algérienne, confrontée aux traumatismes du passé familial.
Trois générations de femmes franco-algériennes
Le film retrace le parcours de trois soeurs issues de l’immigration. Des femmes d’aujourd’hui, actives et indépendantes, qui vivent dans l’espoir de retrouver leur frère Rheda, enlevé et caché par leur père, trente ans plus tôt en Algérie. Chacune à tracer son chemin : Zorah (Isabelle Adjani), l’aînée, auteure, culpabilise de ne pas avoir pu sauver son frère et tente d’exorciser le passé en mettant en scène son histoire familiale avec sa fille, Farah (Hafsa Herzi), comédienne. Djamila, (Rachida Brakni) la cadette, est plus dans la norme et va devenir maire de sa ville. Ce qui n’empêche pas ses comparses de la renvoyer à ses origines. Quant à Norah (Maïween), la plus jeune, elle a du mal à se fixer et se rebelle en permanence. Mais lorsque leur mère (Fettouma Bouamari) leur annonce que leur père est gravement malade, les trois soeurs refont lien et décident de partir toute affaire cessante en Algérie sur les traces de leur père, dans l’espoir qu’il leur dise où il a caché leur frère. Réussiront-elle à retrouver Redha ?
« C’est plusieurs caractères de femmes et plusieurs visages de l’Algérie » explique la réalisatrice. « Il était important pour moi que plusieurs générations de femmes issues de l’immigration algérienne cohabitent : Isabelle Adjani, Rachida Brakni et moi-même sommes de la première génération, Maïwenn et Faïza Guene de la deuxième et Hafsia Herzi de la troisième. Dans le film, c’est Farah (Hafsia Herzi) qui fait le lien avec Leïla, sa grand-mère [ancienne combattante pour l’indépendancede l’Algérie]. Elle a un autre rapport à la parole. C’est la génération de l’espoir, elle peut lui poser des questions et interpeller toute cette mémoire. C’est vraiment une sororité.» Un défi artistique pour la comédienne Hafsia Herzi qui interprète également le rôle de la grand-mère jeune : « C’était un gros challenge pour moi de jouer deux personnages tout en étant crédible. Mais avec Yamina j’étais en confiance. C’est quelqu’un que j’admire beaucoup avant tout comme cinéaste, j’ai vu tous ses films. Elle a un parcours exemplaire, c’est une des premières à avoir représenté la communauté. J’ai été très touchée par cette histoire magnifique, très bien écrite, qu’on avait jamais vue au cinéma. Quand on sait que cela a vraiment existé et que cela existe encore. Si je peux représenter ces femmes, le temps d’un film, c’est formidable !»
« Laissez grandir l’enfant en Algérie, oui, mais il faudrait que la mère puisse savoir où il est.»
Yasmina Benguigui
A travers le combat de Zorah et Leïla (Fettouma Bouamari), émouvante mère courage, pour récupérer Rheda, Yasmina Benguigui soulève le vide juridique concernant les femmes divorcées, déchues de leurs droits de mère : « Les rapts d’enfants, c’est légal. C’est-à-dire que si la mère demande le divorce et que le père quitte la France avec ses enfants pour les vacances, il le fait en toute légalité par rapport à la loi française, et s’il les retient en Algérie, c’est en toute légalité par rapport à la loi algérienne. On a jamais trouvé de solution. Je n’ai pas à faire d’ingérence dans ce que sont les lois des pays mais je me dis qu’on pourrait interdire de faire disparaître un enfant, juste pour faire du mal à la mère. Laissez grandir l’enfant en Algérie, oui, mais il faudrait que la mère puisse savoir où il est.»
L’empreinte du père : une image ambivalente
Et si la cinéaste fait la part belle aux femmes, il est un autre personnage toujours omniprésent : Ahmed (Rachid Djaïdani), un père charismatique, autoritaire et violent, qui hante encore et toujours les esprits de ces femmes. Car celui qui fut un combattant pour l’indépendance de l’Algérie va devenir à sa sortie de prison, un véritable tyran avec sa famille. Comment expliquez alors l’attachement au père qui est palpable tout au long du film ? « Evidemment que ce n’est pas clair. Mais c’est un héros qui pourrait ressembler aux personnages des G.I.’s américains de retour du Vietnam, où il n’y avait pas de cellule psychologique (…). La guerre d’Algérie a été monstrueuse. On a eu du mal à dire le mot guerre.(…) Les maquisards qui ont été emprisonnés ici ont subi la torture, l’humiliation. Ahmed est rentré en héros en prison, il en est ressorti comme un bête abîmée. De l’autre côté, il n’existe plus, non plus. Donc à sa sortie, c’est fini. Il a eu un lavage de cerveau, pour lui la guerre est son seul axe. Alors il va décider de créer une unité au sein de sa famille. Mais c’est une chimère de vouloir éduquer les enfants dans l’Algérie de demain alors qu’on est ici. Et quand il va essayer d’appliquer des choses qui ne sont même pas applicables là-bas, puisque l’Algérie est jeune et que la France avance, le combat va commencer à l’intérieur de la maison. Donc on peut lui trouver quand même des circonstances atténuantes.»
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