Le 1er janvier 2022, la loi relative aux 35 heures hebdomadaires rendues obligatoires pour tous les éboueurs et cantonniers est entrée en vigueur en France. Cette législation a valu trois épisodes de grèves entre septembre et janvier 2022 à Marseille. Alors que le syndicat majoritaire Force Ouvrière avait acté la fin de la grève le 21 décembre dernier, il a lancé quelques semaines plus tard un nouveau mouvement toujours en cours. Gomet’ a rencontré Maxime (son prénom a été changé), un éboueur d’une trentaine d’années, sous contrat avec la Métropole Aix-Marseille-Provence depuis 10 ans. Il dit n’avoir jamais fait grève même s’il considère qu’elle est inévitable. Un témoignage sous couvert d’anonymat sur les conditions de travail et les pratiques internes dominées par le pouvoir des syndicats, en particulier de Force Ouvrière. Un entretien réalisé fin décembre 2021.
Cela fait 10 ans que vous êtes ripeur (éboueur derrière la benne). Aujourd’hui, les épisodes de grèves s’accumulent, une nouvelle loi doit s’appliquer… Qu’est ce qui vous fait rester ?
Maxime : Aujourd’hui, rien ne me fait rester. Au début, ce qui m’a attiré, c’était le salaire par rapport au temps de travail. Je gagne un Smic (salaire minimum) avec des primes d’insalubrité, soit 1 700 euros net par mois dont 500 euros de prime en travaillant trois fois moins que le temps normal.
Le « fini-parti » (finir sa journée dès que la tournée est terminée) est-il révolu ou toujours bien une réalité ?
M : Je commence à 5h30 du matin et si je fais bien mon travail, je termine à 8h30. Parfois, on termine même plus tôt (ndlr : les horaires contractuels sont établis jusqu’à 12h) car certains chauffeurs ne passent pas dans toutes les rues pour gagner du temps. Quand on fait tous les jours la même tournée, on finit par connaître les Marseillais qui ne sortent leurs poubelles qu’un jour sur deux. Donc on ne passe pas systématiquement dans chaque rue. Après… il faut savoir aussi que certains zappent les poubelles qui débordent, même le lundi !
En quoi le lundi est-il un jour particulier pour la collecte ?
M : Dans mon secteur, on ne travaille pas le dimanche. Le lundi les bennes sont bien remplies et si on ne les vide pas, c’est l’escalade toute la semaine. Pour nous aider à désengorger les poubelles, la Métropole a recruté des éboueurs de structures privées. Aujourd’hui, il faut savoir que les collectes de certains secteurs sont totalement sous-traitées au privé comme dans le 3e arrondissement… Ils balancent les coins pourris au privé.
Si la Métropole doit recruter des agents privés, manque-t-il des effectifs de votre côté ?
Je ne vais jamais voir le même médecin et à chaque fois j’ai mes arrêts. Je dis que j’ai mal au dos… et voilà !
Maxime
M : Il y a énormément d’arrêts maladies, en particulier chez les chauffeurs de bennes. A vrai dire, en travaillant pour la Métropole, on fait ce que l’on veut. Si demain je me mets en arrêt de travail deux mois, personne ne me contrôlera et ne me demandera de justifier. Je vais voir le médecin et il me met un arrêt deux mois. Je ne vais jamais voir le même médecin et à chaque fois j’ai mes arrêts. Je dis que j’ai mal au dos… et voilà !
Est-ce habituel dans votre profession les arrêts de travail à répétition ?
M : Oui. Beaucoup d’éboueurs ou chauffeurs travaillent à côté alors que c’est interdit car nous sommes sous contrat d’exclusivité avec la Métropole Aix-Marseille Provence. Ils travaillent souvent au noir pour d’autres employeurs et après ils sont fatigués… Donc ils se mettent en arrêt.
Avec les grèves des agents publics, la privatisation des collectes peut-elle se généraliser ? Quelles seraient les conséquences ?
M : Si demain la collecte passe à 100% aux mains du secteur privé, il faudra multiplier la taxe des ordures ménagères par trois ou quatre. Il faut que les habitants comprennent que le secteur privé travaille aussi mal que nous, voire pire, et qu’ils font aussi grève. Dans son fonctionnement, la fonction publique n’est pas censée gagner de l’argent, mais une boite privée, ça ne travaille pas pour la gloire, ça réalise des profits donc ça couterait bien plus cher !
Ressentez-vous l’énervement des riverains envers votre profession ?
M : Les éboueurs sont des larbins pour certains. Mais sur ma tournée beaucoup de gens sont très gentils. Je comprends que les habitants se plaignent avec toutes ces grèves, les déchets qui s’entassent, les odeurs… mais il n’y a que les grèves pour faire avancer les choses.
Le syndicat Force Ouvrière a voté la fin de la grève le 21 décembre 2021. Les éboueurs sont donc prêts à accepter la loi du 1er janvier ?
C’est comme si, pendant 50 ans vous avez des avantages, et que du jour au lendemain le gouvernement les supprime.
Maxime
M : La grève n’est pas finie. Les gens ne se laisseront pas faire. Ils n’accepteront pas de finir à midi. Personnellement, je termine à 8h. La Métropole va donc m’obliger à rester dans mon secteur jusqu’à 12h ? Non… C’est comme si, pendant 50 ans vous avez des avantages, et que du jour au lendemain le gouvernement les supprime. S’il n’y a plus le « fini-parti », plus personne ne voudra ramasser les poubelles. Ce métier reste de la poubelle. On se prend des déchets dessus car les gens ne ferment pas bien les sacs poubelles… il fait chaud, c’est physique. Ce n’est pas un métier agréable.
Selon vous, peut-on éradiquer les grèves à Marseille ?
M : Personne ne pourra éradiquer les grèves. Ça fait partie du métier. Il s’est construit comme ça. Les politiques ont donné tellement de pouvoir aux professionnels de la propreté ! Si on veut calmer le conflit, il faut laisser les choses comme elles sont maintenant. Si on nous contraint à terminer à midi, on pourra rendre les choses encore plus pénibles… Par exemple, aujourd’hui sur les axes très fréquentéson ramasse les déchets très tôt, rapidement, pour ne pas créer de bouchons. Demain, on pourra faire les escargots jusqu’à 12h sur notre trajet de tournée. Si on fait plus d’heures, on ne se fatiguera plus la santé.
Dernière minute :à lire ce lundi 31 janvier 2022 au soir, l’interview d’Yves Moraine, VP de la Métropole Aix Marseille Provence.
« Force Ouvrière dévoie le droit de grève »
Mais, il n’y a aucune sanction si vous ne faites pas le nombre d’heures pour lesquelles vous êtes payés ?
Ce n’est que la promotion au copinage.
Maxime
M : Au début, quand j’avais 20 ans, j’arrivais dans les premiers le matin, je ne loupais aucun jour de l’année. J’étais irréprochable. Avec les années, quand j’ai compris que nos agents de maitrise et nos chefs d’antennes ne nous récompensaient pas au mérite, j’ai arrêté. Dans ce milieu, ce n’est pas le meilleur qui est récompensé. Ce n’est que la promotion au copinage. Par exemple, toutes les semaines, un agent de maitrise octroie un « jour cadeau » à l’un d’entre nous. C’est la pire des méthodes pour créer une bonne ambiance. L’agent de maitrise se défend en disant : « Moi je donne des jours à ceux qui le mérite » ! Mais ça n’existe pas dans la loi ça, de donner des jours au mérite.
Que faut-il faire pour être promu et devenir agent de maitrise (votre N+1) ?
M : Pour être agent de maitrise il faut cumuler des années d’ancienneté et passer un concours. Mais au bout de 12 ans, il est possible de le devenir sans examen. Plusieurs éboueurs sont promus agent de maitrise quand ils s’entendent bien avec les syndicats. Dans les faits, beaucoup d’agents de maitrise ne sont pas irréprochables. Dans mon secteur, un des agents va au bar à 7h tous les matins. A 7h30 il rentre chez lui puis il revient au secteur à 9h. Je suis allé me plaindre au chef d’antenne, mais tout seul, alors qu’il faut toujours faire intervenir le syndicat.Personne n’a fait bouger les choses car il est bien placé chez FO.
Êtes-vous syndiqué depuis ?
M : Oui oui… (il souffle) Mais ça ne changera rien de savoir chez quel syndicat je suis. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je ne suis pas chez FO. Au début de ma carrière je ne l’étais pas, mais j’ai vite compris qu’il fallait l’être pour régler les conflits du quotidien.
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