C’était une belle idée en ce début des années 90. De Christian Poitevin, alors adjoint à la culture, du maire de Marseille Robert P. Vigouroux. Quatre œuvres d’art guideraient ceux qui voulaient se rendre au Musée d’Art Contemporain (Mac) fiché au cœur du nouveau quartier de Bonneveine.
D’abord, entre Prado et Méditerranée, une copie du David de Michel Ange, offerte à la ville par celui qui l’avait réalisée, Jules Cantini. Puis place du professeur Vernejoul, un mât de Buren, avec ses 500 petits drapeaux représentant les fédérés marseillais qui étaient « montés » à Paris, pour défendre la République. Plus loin, place Bonnefon, on trouvait un mobile qui a disparu depuis, comme fut effacé de notre mémoire collective, le nom de l’artiste qui l’avait conçu. Jean-Claude Gaudin en rigolait, disant que les riverains pensaient que l’œuvre était tombée d’un camion. Enfin le célèbre Pouce de César, au rond-point Pierre Guerre qui indique que le MAC est à proximité. Le mât de Buren a disparu, son concepteur jugeant que son manque d’entretien l’avait condamné. Quant au mobile il a été remplacé dans les années 2000, par L’enlèvement d’Europe, œuvre en acier rouillé, d’un créateur libanais. Ainsi va la culture depuis des décennies dans une ville deux fois millénaires : traitée avec désinvolture.
Benoît Payan propose l’élaboration d’un manifeste
Le maire Benoît Payan a sifflé la fin de la récréation et appelé à l’urgence puisque la pandémie fait des ravages chez les acteurs de ce secteur malmené. Il appelle à la mobilisation générale. Mieux, il propose l’élaboration d’un manifeste. Il fixera les principes qui permettront à tous les Marseillais de s’approprier ce bien commun, la culture, qui, comme le disait André Malraux fait « de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ».
On accepte volontiers l’augure. Il faudra cependant mettre un peu d’ordre à plus de 2000 ans de désordre créatif. Marseille a cette singularité de compter parmi les plus grands noms du patrimoine français. Puget, Rostand, Artaud, Monticelli, Verneuil… la liste est infinie même si beaucoup n’ont pas été prophètes en leur pays. Et puis, comme le confiait un conservateur au Louvre, il y a dans cette ville grecque un patrimoine antique inégalé. Il dort dans quelques soupentes ou pour le moins est sous-exploité, si l’on regarde par exemple, comment des villes voisines comme Arles, ou plus loin Nîmes, ont su mettre en valeur leur longue histoire et en faire leur marque.
Un des grands handicaps de cette ville tentaculaire est que ses joyaux de famille sont dispersés
Un des grands handicaps de cette ville tentaculaire est que ses joyaux de famille sont dispersés, éparpillés, et souvent méconnus. Les vestiges du Centre Bourse font pâle figure, même si la récente rénovation du site lui a redonné quelque éclat. Pour faire aussi un grand écart chronologique, combien de Marseillais savent que l’Estaque ne se résume pas à ses gourmandises que sont les Chichis et autres Panisses, mais qu’elle fut, au tournant des deux siècles, derniers le refuge fécond des Georges Braque, Raoul Dufy, Paul Cézanne ou Auguste Renoir.
Certes Marseille peut se féliciter d’avoir été en 2013 Capitale européenne de la Culture. Les semailles furent alors prometteuses, mais la moisson resta maigre. La communication qui fut efficiente a masqué le vide abyssal d’une politique culturelle ouverte à tous.
On nous dira l’esprit chagrin, en opposant à ces griefs les réussites du Mucem, de la Vieille Charité, du château Borély et d’autres initiatives encore. On se targuera aussi des beaux succès de la danse contemporaine, de l’art de la rue, des figures historiques ou récentes du rap, du cinéma, du théâtre, de la littérature. Et de la richesse en lieux qui place la ville sur le podium des villes culturelles.
Reste donc à faire que les Marseillais se sentent, dans leur grande majorité, concernés par tous les pans culturels qui leur sont offerts.
Pour l’heure, Benoît Payan et Jean-Marc Copola son adjoint à la culture, prônent une fédération des différents pôles artistiques de la ville, pour sortir du cataclysme économique et social provoqué dans ce monde de la création par la Covid 19. Ils appellent bien sûr l’Etat à la rescousse. Ils seront d’autant plus entendus que se dessinera, après deux décennies brouillonnes et d’indifférence assumée, le projet d’un tout culturel marseillais bien identifié. Où les éléments de la mosaïque actuelle mettront fin à l’éparpillement qui les dessert. Il faut que tous les Marseillais s’approprient leur passé, leur présent et leur futur culturel. Ce jardin là peut être cultivé par tous !