Gomet’, attaché à la vitalité du débat d’idées, est heureux d’accueillir des contributions extérieures. Aujourd’hui, nous publions la tribune de Guillaume Quiquerez, enseignant-chercheur et directeur du Labo sociétal, maître de conférence, docteur en philosophie économique. Il développe ici son point de vue sur l’accueil et l’organisation des Jeux olympiques en France. Il pointe notamment les impacts de l’événement sur l’environnement et dénonce ce qu’il considère comme « l’impasse » du modèle d’attractivité territoriale.
« Pas pas pas pas pas pas de Marina. Oh non monsieur Gaudin il ne faut pas bétonner ça ! » En 1993, le groupe Massilia Sound System chantait le bonheur inspiré par une ville formée sur les rives de la Méditerranée, relativement préservée de la bétonisation et du sur-tourisme :« ici c’est pas la Riviera ni la Costa Brava. » Autre temps, autres mœurs : en 2024, c’est un élu EELV qui assure avec grand zèle le service après-vente de la Marina olympique fraîchement construite. Certes, les promesses concernant l’usage futur du site par les enfants de Marseille sont louables, quand bien même la démesure de l’ambition affichée ne trompe personne. Il est vrai aussi que ce « deuxième stade » marseillais, qui comprend 7 000 m2 de bâtiments et le réaménagement de 17 000 m2 d’espaces extérieurs, ne manque pas de qualité. Mais les niches pour raviver la biodiversité marine, les quelques panneaux photovoltaïques et l’utilisation de certains matériaux biosourcés n’y changent rien : des tonnes de béton, fût-il réputé bas carbone, demeurent des tonnes de béton. Surtout, cet équipement participe à un nouvel accroissement des pressions sur les écosystèmes, causé par un afflux de touristes supplémentaires. Dans son avis du 30 juin 2021, la Mission régionale d’autorité environnementale s’en s’inquiétait déjà (1).
À jamais les premiers !
L’anecdote, car au final c’en est une, est plus bavarde qu’il n’y paraît. En réalité, c’est l’intégralité de la classe politique, locale et nationale, qui se réjouit de ces jeux olympiques et paralympiques en France. Embrayant sur l’annonce présidentielle d’une « année de fierté française », le maire a fait acheter de larges espaces publicitaires pour déclarer Marseille « fière d’accueillir la flamme Olympique ». À toutes les échelles, quelle que soit la tendance partisane, l’union sacrée est donc de mise. Comme si la seule invocation des valeurs olympiques, postulées universelles, avait étouffé tout dissensus. À Marseille, l’exploit est notoire : les « chicayas » entre collectivités ont été mises en sourdine, ce que même la venue du Pape n’avait pas permis. Il faut dire que le symbole est parfait. Ce qui compte vraiment ici, en ce 8 mai, c’est que la flamme sillonnera d’abord la cité phocéenne – à jamais les premiers ! – avant de rejoindre la capitale.
Pourtant, hors des cénacles institutionnels, les voix dissonantes ne manquent pas. Depuis belle lurette, plusieurs associations et collectifs s’escriment en effet à décrire et dénoncer les conséquences sociales et environnementales de l’événement. En vain, ou peu s’en faut. Leurs alertes, assimilées à un vague bruit de fond, ne percent pas. Pas davantage que n’ont été audibles les doléances exprimées par des milliers de participants lors du dernier festival de la Plaine. Le constat froid est que face au rouleau-compresseur d’un événement dont l’audience se comptera en milliards, à la fois d’êtres humains et de dollars, les contestations n’ont pas su ni pu fissurer le consensus. De façon lucide, d’ailleurs, il est bien trop tard pour contester les JO. L’occasion est tout indiquée, en revanche, pour analyser les ressorts de cet unanimisme et espérer en tirer quelques conséquences pour le futur. À mon sens, deux illusions sont au travail.
L’impasse de l’attractivité territoriale
La première illusion est qu’une politique d’attractivité territoriale est nécessairement vertueuse. L’idée est qu’il existe un marché des territoires très concurrentiel et que, dès lors, le but de la politique publique est de gagner des parts de marché en attirant toujours plus de touristes et d’entreprises. Cet afflux est supposé dynamiser l’économie, créer mécaniquement des emplois et augmenter automatiquement les recettes fiscales. De nombreuses études d’impact économique local, généralement opaques et financées par des groupes intéressés, sont d’ailleurs destinées à en apporter la preuve chiffrée. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire (2), mais aussi de montrer, que ces calculs relèvent pour la plupart d’une véritable mystification. S’il est exact que l’afflux de visiteurs induit des transferts monétaires vers le territoire concerné, ses conséquences positives sont presque toujours surévaluées, tandis que d’innombrables effets pervers sont systématiquement évacués des évaluations : augmentation des flux de matière et d’énergie, hausse du coût de l’immobilier, dégradation des espaces naturels, nuisances sonores, pollutions, pression sur les services hospitaliers… Plus largement, c’est l’ensemble du mythe de la CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Emploi), pour reprendre les analyses de l’économiste Olivier Bouba-Olga, qui doit être réinterrogé (3). Et même abandonné, si l’on entend enfin prendre la mesure de l’ampleur des périls écologiques.
La fête du Greenwashing
Ceci conduit à la deuxième illusion, selon laquelle l’organisation d’un grand événement est théoriquement compatible avec le respect des limites planétaires. Soutenir pareille thèse, en 2024, relève soit de l’ignorance, soit de la malhonnêteté, soit d’une combinaison des deux. Le greenwashing des JO (4), que cautionne le silence des élus d’ici et d’ailleurs, n’est pourtant pas discret. Pour les Corporations, ces grandes entreprises internationales, l’important n’est pas de participer mais de maximiser le profit. À cet effet, sous prétexte de célébrer « la magie des flammes olympique et paralympique » (5), le Coca-Cola Music Tour débute à Marseille ce 8 mai. Alors que la Méditerranée connaît un niveau record de concentration de micro-plastiques, quelle meilleure idée que de confier à leur premier producteur mondial, selon l’ONG Break Free From Plastic, le soin d’organiser un concert sur une scène flottante ? Cette présence décomplexée de Coca-Cola, qui a d’ailleurs conduit l’association Clean My Calanques à se désolidariser de l’arrivée de la flamme, est loin d’être isolée. Airbnb ne pouvait pas, non plus, manquer l’occasion de s’associer à la mise sous tension de l’offre locative. Les grandes entreprises émettrices de CO2, parmi lesquelles Alibaba, Toyota, Air France, Arcelor Mittal, Carrefour ou Aéroport de Paris, ne sont pas en reste. Carbon Market Watch a estimé que les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre pour dix-sept jours d’épreuves (l’impact des jeux paralympiques est négligeable, en regard) correspondent à celles de 160 000 habitants pendant une année entière 6). L’estimation est à vrai dire très basse, en cela que son périmètre n’intègre ni les achats de téléviseurs dans le monde, ni les émissions des data centers, ni les voyages en France dans les prochaines années résultant de ce déferlement promotionnel, ni surtout les effets du matraquage publicitaire qui s’annonce.
Éteindre le feu, plutôt qu’accueillir la flamme
Ce dont le 8 mai 2024 témoigne, en somme, c’est d’une forme de somnambulisme collectif. Une cécité plus ou moins volontaire, qui conduit à accueillir une flamme plutôt qu’à éteindre le feu. La situation a au moins le mérite de désigner certains des principaux enjeux politiques pour les temps qui viennent. Au plan national et européen, le principal défi consistera à s’attaquer à la racine commune à ces illusions : le credo de la croissance verte. Sur un plan local, qui nous concerne d’abord ici, il s’agira de promouvoir d’autres motifs de « fierté marseillaise ». À commencer par l’aptitude à s’adapter, ensemble, aux mauvais temps qui viennent.
Guillaume Quiquerez
Maître de conférence, docteur en philosophie économique
1 https://www.bouches-du-rhone.gouv.fr/contenu/telechargement/43529/246876/file/Avis%20MRAe%20-%20autorit%C3%A9%20environnementale.pdf
2 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/15/jeux-olympiques-festivals-tourisme-les-etudes-d-impact-economique-sont-les-fossiles-d-une-periode-revolue_6185422_3232.html
3 https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2023-3-page-461.htm
4 https://www.paris.fr/pages/paris2024-the-eco-friendly-olympics-4508
5 https://www.coca-cola.com/fr/fr/media-center/relais-de-la-flamme-olympique-coke-studio
6 https://carbonmarketwatch.org/2024/04/15/going-for-green-is-the-paris-olympics-winning-the-race-against-the-climate-clock/