L’épisode croquignolesque du retournement de binôme à la mairie de Marseille ne va pas redonner confiance en la démocratie. À croire que les électeurs qui restent chez eux sont plus sages que ceux qui vont voter. Mettre un bulletin dans l’urne est un geste grave, sérieux, réfléchi, volontaire. Je prends un bulletin, il porte un nom et je délègue mon pouvoir de citoyen à cette personne en haut de la liste. Depuis Tocqueville cela s’appelle la démocratie.
Les élections aux maires de secteurs avaient déjà démontré combien ce choix de l’électeur comptait pour peu de chose. Un général fit campagne dans le 13/14, le général de gendarmerie David Galtier et finalement parti faire sa carrière à la Métropole après que les électeurs eurent voté pour ce chantre de la sécurité. Benoît Payan avait juré que candidat dans le 2/3, il serait le porte-parole de ces quartiers les plus pauvres de Marseille, il disparut de la mairie et laissa la place à un de ses alter ego sorti de nulle part, invisible pendant la campagne, placé en fin de liste qui reçut l’écharpe parce qu’il avait fait ses classes aux jeunesses socialistes. Surprise, surprise !
Sophie Camard a, elle, tenu à assumer sa place de maire de secteur
Seule dans cet univers, surdéterminé par un mode de scrutin aussi pervers que persistant, Sophie Camard a, elle, tenu à assumer sa place de maire de secteur. Mais son second de liste qui était le garant d’une nécessaire politique de logement fila vers la maire centrale laissant la place, surprise, surprise ! à un militant communiste. Sur 8 maires de secteurs seuls deux étaient en tête de liste.
Enfin, l’élection même de Michèle Rubirola fut un mélodrame. Le Printemps marseillais avait plus de 13 000 voix d’avance et Samia Ghali en comptabilisait 5 000, mais elle fut, pendant une journée tragicomique, faiseuse de maire et a imposé ses conditions, son poste fourre-tout et ses amis à des délégations prestigieuses.
L’épisode de ce 15 décembre est l’avatar de ce mode de scrutin. En toute logique les Marseillais ont choisi de voter pour une femme, dégagée des partis, de sensibilité écologiste comme à Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers et rompant avec les pratiques anciennes.
Ce vote, clair, sans ambiguïté, aboutit à désigner un homme politique, formé à l’école socialiste marseillaise, élu d’un parti devenu crépusculaire et écologiste par conversion récente. Le Printemps marseillais était coincé dans ce choix, car une remise en cause du fameux binôme aurait relancé les discussions avec Samia Ghali qui aurait mal supporté une alliance avec, et derrière, Olivia Fortin. La nouvelle élection des adjoints pourrait d’ailleurs réservé des surprises…
« Il y a dans ce jeu de bonneteau présenté comme naturel, voire novateur un mépris de l’électeur »
Michèle Rubirola a délivré pour partir un joli discours, certainement peaufiné avec son cabinet. Mais, comment peut-elle découvrir aujourd’hui que la ville est dans un état lamentable, que le patrimoine est à vau-l’eau, que le personnel est sans capitaine ? Elle aurait pu lire Gomet, ou d’autres, tout était écrit.
Quant à la dureté du job, c’est une telle évidence que l’on ne fera croire à personne que celle qui milite depuis 1970, qui a rejoint les Verts en 2002 et donc connu toutes leurs batailles fratricides, découvre aujourd’hui la dureté du monde. Et du microcosme partisan. La naïveté a des limites.
Il y a dans ce jeu de bonneteau présenté comme naturel, voire novateur un mépris de l’électeur et de son choix souverain. Dommage pour Marseille. Dommage pour la démocratie.
Christian Apothéloz