Les drones connaissent avec l’Ukraine une triste publicité. Pourtant au-delà des engins volants, ou roulants de défense et de guerre, ils révolutionnent notre logistique, notre sécurité, notre création voire la santé et peu à peu vont s’imposer comme des outils indispensables à notre quotidien. Notre région est bien positionnée sur cette nouvelle industrie, un Club Sud drone a été créé par la Région et le pôle Safe, membre du réseau du Cluster drones européen EDC (European drones coopération) en a fait un domaine d’activité privilégié.
Hubert Bérenger, responsable du domaine d’activité stratégique systèmes autonomes est reconnu comme l’expert de référence de cette filière. Entretien avec Gomet’.
Première question, qu’est-ce qu’un drone ? On entend parler de drones pour des engins, y compris des chars, pour des avions sans pilote, pour des caméras embarquées…
Hubert Bérenger : Il y a effectivement des drones aériens, des drones maritimes, des robots terrestres. Nous parlons de « systèmes autonomes », une solution équipée d’un pilote automatique et qui peut réaliser un trajet par rapport à une programmation ou par rapport à un pilotage à distance. Le principe est qu’il n’y a personne à bord.
L’objet est autonome ?
H.B : Il est apte à faire un trajet, qui lui a été programmé et donc il a toutes les capacités, toutes les briques technologiques embarquées qui lui permettent de le faire : se positionner, se mouvoir, recevoir des informations en temps réel ou d’un télépilote.
Quelles typologies de drones sont fabriqués dans notre région ?
H.B : Nous avons des acteurs de la robotique aérienne et terrestre, des gens qui font des systèmes de drones aériens et des systèmes de robots terrestres. Nous sommes plutôt positionnés sur les marchés civils, peu sur le militaire, avec des mini ou des microdrones, des systèmes de drone qui, aujourd’hui vont aller jusqu’à 50 kg. Les gros drones, les “reapeur” américains qui équipent l’armée française sont des solutions, qui sont gérées entre États et industriels. Ils ne rentrent pas dans les périmètres des pôles de compétitivité.
Quelles sont les capacités de notre région à intervenir dans ce champ ?
H.B : En région sud, nous avons une chaîne de valeur relativement complète sur les systèmes autonomes. Nous avons des acteurs qui vont faire des “briques”, des parties de système, des industriels qui font des systèmes de drone complets. Nous avons des industriels qui vont travailler sur des problématiques globales, comme les systèmes de surveillance. Enfin nous avons des utilisateurs finaux qui vont faire du service, de la prestation à la demande.
Des acteurs industriels développent des solutions, le système de drone, comme Novadem ou Atechsys ou Thalès. Des acteurs développent des systèmes, d’autres développent des « charges utiles », des capteurs embarqués sur ces drones. Et puis des boîtes se positionnent sur du service : la formation ou la prestation, elles proposent de l’inspection, de la topologie, de la prise de photos aériennes.
Quels services peut-on attendre de ces drones ?
H.B : Ce n’est pas forcément la photo de mariage ! Nous avons un adhérent, qui fait toutes les images pour NGE et Vinci sur l’agrandissement de l’autoroute en sortie de Toulon, C’est un suivi de chantier en topologie et analyse terrain ce qui permet aux entreprises de surveiller l’avancée et la qualité de leurs travaux.
Le sujet est en développement, les marchés existent avec la surveillance des zones périphériques, des sites sensibles, des solutions pour l’industrie, pour faire l’inspection des ouvrages dans le BTP. Autre marché porteur, la prise de datas : des drones vont capter de la donnée pour l’agriculture, le bâtiment ou l’urbanisme.
Vous avez présenté des projets dans le secteur de la santé.
H.B : Aujourd’hui, il n’y a pas de solution qui réponde pleinement aux exigences de la réglementation, notamment en termes de survol de zones peuplées. Nous travaillons plutôt avec des acteurs pour développer des solutions drone dans des zones reculées, du type des vallées alpines, pour apporter un service santé à des personnes isolées avec par exemple du transport d’échantillons sanguins, voire du transport de médicaments.
Il y aura une démonstration au mois de juin dans la vallée de la Roya, d’hôpital à hôpital, Les transports se font par voiture pour des volumes qui ne sont pas énormes. En voiture, le trajet fait 20 km, en drone il ne fait que 10 km. Il y a donc aussi un impact environnemental, puisque nous avons des motorisations électriques. C’est de la petite logistique d’urgence à valeur ajoutée, mais pas la pizza, bien sûr !
En milieu urbain, comme Marseille, les survols sont interdits.
H.B : À l’horizon de cinq ans, il y aura des solutions suffisamment fiables pour respecter la réglementation et nous aurons des drones en milieu urbain. Les hôpitaux ont besoin de se restructurer. Un hôpital a plusieurs établissements, chaque établissement traite une pathologie et chaque pathologie a besoin d’analyses d’un échantillon rapidement. L’objectif est d’avoir un seul centre de d’analyse et d’expertise. Vu l’embouteillage sur les axes routiers, l’idée est de le desservir par drones.
Dans notre région, quels sont les points forts des entreprises régionales ?
H.B : Nous avons des acteurs reconnus, des leaders comme Novadem sur Aix, qui fournit notamment gendarmerie, la police, le raid, l’armée et qui part à l’export. Atechsys a fait une démonstration à Pourrières, elle développe des solutions, notamment logistiques, pour la Poste, dans le Var et en Isère.
De votre poste d’action et d’observation, comment analysez-vous ce marché ?
H.B : Le marché avance, peut-être moins vite que ce qu’on l’espérerait. Mais c’est un domaine qui demande, sécurité, protection des biens et des personnes. Il nous faut des solutions qui ne vont pas faire de dégâts sur les tiers au sol ou dans l’espace aérien.
Les organisations étatiques et administratives en Europe sont très prudentes. Elles ont raison. Il ne faut pas croire que les drones vont tout remplacer ! Il y a aussi un problème d’acceptabilité : comment faire accepter aux citoyens qu’avoir un drone au-dessus de sa tête est tolérable, s’il transporte un échantillon sanguin ?
Les professionnels du drone ont besoin, pour leurs essais, de vastes zones protégées, libres et autorisées comme à Pourrières.
H.B : Les drones montent en fiabilité, mais un drone, c’est du logiciel qui vole, et qui n’a effectivement personne à bord : il y a toujours des risques, notamment sur les solutions nouvelles. Il faut des zones qui vont nous permettre de qualifier et d’évaluer toutes les solutions. Il nous manque, en région sud, une grande zone pour voler sur plusieurs kilomètres, 10, 20, 30 km.
C’est le besoin en logistique ou en inspection d’ouvrages (EDF, canal, gazoduc). Nous cherchons une solution, au-dessus de la mer, avec la possibilité de décoller depuis le rivage et de partir en pleine mer sur 10 km, 20 km pour faire ces tests.
Le Centre régional de ressource drone à Pourrières
C’est un espace bucolique perdu dans la garrigue, très discrètement implanté sur un vaste plateau équipé. Le C2RD se positionne comme “un guichet unique multiservice dédié aux acteurs de la filière drone air-terre-mer, civile et militaire”. Il offre 85 ha avec une piste de 300 m en enrobée, une zone ségréguée réglementée, mais aussi des activités d’hébergement, de restauration, de loisirs…
Il accueillait le 24 janvier 2023 le Safe Drone Day en partenariat avec La Provence Verte, le Club Sud drone et les pôles SCS et Optitec. Malgré une météo glaciale, il a accueilli toute la filière pour une journée de travail et de démonstrations. Avec notamment Bernard Kleynhoff , président du Club Sud Drone, Hubert Bérenger en animateur et le directeur de Safe André Soulage.