« Une troisième ère de développement du réseau d’électricité ». Après le grand plan d’électrification de l’après-guerre, puis le plan Messmer consacrant la naissance du parc nucléaire dans les années 1970, c’est dans ces termes très solennels que Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE, a présenté, le 13 février dernier, son « plan stratégique » d’investissements à l’horizon 2040, autrement baptisé “Schéma décennal de développement du réseau” (SDDR).
Les chiffres annoncés sont effectivement colossaux. A l’exacte hauteur des enjeux. Pour atteindre les objectifs ambitieux de décarbonation de son économie et de réindustralisation que s’est fixée la France, porter la part d’électricité à plus de 50% du mix énergétique de 2050 (soit deux fois plus qu’aujourd’hui), le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France prévoit d’investir quelque 100 milliards d’euros sur les 15 années à venir. Une feuille de route industrielle qui doit lui permettre de réaliser les transformations profondes et nécessaires pour « moderniser » et « adapter » graduellement l’ensemble du réseau électrique français aux défis de la transition énergétique et de la réindustrialisation bas-carbone, tout en le rendant plus résilient face aux effets du réchauffement climatique.
Après deux années d’études techniques et l’analyse de plusieurs scénarios, le SDDR, qui a fait l’objet d’une concertation préalable avec les parties prenantes, ainsi qu’une consultation publique en fin d’année 2024 (plus de 300 contributions issues des territoires, des fournisseurs d’équipements et des partenaires étrangers), définit trois « piliers » stratégiques majeurs : raccorder, adapter et renforcer.
RTE : 53 milliards d’euros pour raccorder producteurs et consommateurs industriels
« La priorité numéro un, c’est le raccordement des industriels », souligne Xavier Piechaczyk. Un préalable indispensable pour permettre aux industries existantes d’abandonner l’usage des fossiles en faveur de l’électricité et à de nouveaux consommateurs (usines, data centers, électrolyseurs pour la filière hydrogène…) de s’implanter en France.
Les « consommateurs » d’électricité d’un côté, donc, et les « producteurs » de l’autre, via le développement de moyens de production décarbonés sur l’ensemble du territoire (nucléaire, éolien en mer et renouvelables terrestres), occupent ainsi une place majeure dans ce programme industriel qui représente plus de la moitié des investissements annoncés, soit 53 milliards d’euros pour des projets mis en service avant 2040.
Des investissements confirmés pour Fos, une carte à jouer pour Plan de Campagne
Le plan confirme, de fait, les investissements alloués au service de l’attractivité des ports de Fos-sur-Mer, Dunkerque et Le Havre, laboratoires de la décarbonation industrielle et pour lesquels « le niveau de maturité des projets est suffisant pour déclencher d’ores et déjà les investissements ».
À partir de 2029, d’autres zones d’ores et déjà identifiées (Plan de Campagne mais aussi Saint-Avold, Sud Alsace, Lyon Vallée de la chimie, Loire-Estuaire, Sud Ile-de-France et Valenciennes) pourront également bénéficier d’un régime d’investissement spécifique « si des projets industriels se concrétisent ».
« Nous avons par ailleurs d’ores et déjà contractualisé plus de 140 demandes nouvelles d’industriels, dont 40 data centers et 40 projets hydrogène et dérivés, pour 21 gigawatts, souligne Xavier Piechaczyk. C’est considérable, quasiment deux fois plus que les consommations des industriels présents aujourd’hui ! ».
Côté producteurs, le plan intègre le raccordement des six nouveaux EPR2 ainsi que les nouveaux parcs éoliens en mer, dont ceux au large de Fos, ces derniers mobilisant à eux seuls 37 milliards d’euros d’investissement alors que les réseaux de transport en mer sont encore à ce jour entièrement à créer. RTE a ainsi lancé un appel à manifestation d’intérêt auprès des équipementiers en vue d’identifier les conditions pour l’implantation d’une usine de production de câbles sous-marins en France, pour couvrir notamment les besoins nationaux, le pays n’en étant aujourd’hui pas doté.
16,5 Mds€ pour renforcer la « colonne vertébrale » du réseau français
Pour répondre à cette augmentation attendue à la fois de la production et de la consommation électrique bas carbone, le SDDR prévoit, dans son deuxième axe stratégique, de « renforcer la colonne vertébrale du réseau haute et très haute tension ». Une première depuis 30 ans, qui vise à en optimiser le fonctionnement afin d’éviter les congestions que pourraient générer ces nouveaux grands flux d’électricité dans le pays.
Evaluée à 16,5 milliards d’euros, cette stratégie de renforcement de RTE privilégiera la transformation des infrastructures existantes, comme c’est le cas par exemple pour le poste de Roquerousse, près de Salon-de-Provence, ou leur doublement, toujours dans leur tracé actuel. Les nouvelles lignes très haute tension en dehors des tracés existants seront donc l’exception, et ne concerneront que les zones qui n’en comptent pas aujourd’hui ou dans lesquelles le maillage actuel est insuffisant. On pense évidemment au projet majeur de ligne THT (400 000 volts) ralliant la zone de Fos-sur-Mer au poste de Jonquières Saint-Vincent (Gard), dont le tracé de moindre impact a été dévoilé en septembre 2024 et qui soulève déjà interrogations, voire oppositions.
85 000 pylônes et 23 500 km de lignes renouvelés
Enfin, RTE veut adapter son réseau vieillissant aux conséquences du réchauffement climatique. Et le gestionnaire voit grand, très grand : au total, ce sont 23 500 km de lignes et 85 000 pylônes, ainsi que le système de télécom et contrôle commande, qui vont être renouvelés sur l’ensemble du territoire et dans tous les milieux (montagne, campagne,littoral, zones urbaines…) pour faire face aux risques de fortes chaleurs et autres crues centennales contenus dans le scénario défini par l’Etat d’un réchauffement de +4°C à horizon 2100.
Un chantier titanesque, pour un montant de l’ordre de 24 milliards d’euros, qui doit permettre de hisser, d’ici 2040, 80% des infrastructures existantes au niveau de résilience attendu, pour parvenir finalement à 100% à l’horizon 2060. Avec, à la clé, une vraie opportunité d’emplois. Selon RTE, près de 8 000 à 12 000 postes supplémentaires pourraient être créés par an d’ici 2030 à l’échelle de la filière (gestionnaires de réseaux, fournisseurs, prestataires).
« Un véritable plan d’aménagement et d’équipement du territoire national » (Xavier Piechaczyk)
« Ce plan est d’abord un véritable plan d’aménagement et d’équipement du territoire national, qui concerne l’ensemble des régions. Mais il est aussi un acte industriel et souverain car la transformation du réseau doit être synonyme de croissance économique et d’emplois en France et en Europe », souligne Xavier Piechaczyk.
Les grandes orientations du SDDR vont à présent faire l’objet d’un débat public, organisé au cours de l’année sous l’égide de la Commission nationale du débat public, puis d’avis du ministre en charge de l’Energie, de la Commission de régulation de l’énergie et enfin de l’Autorité environnementale. A la suite de ces d’avis et de la participation du public, RTE publiera une version définitive de son plan d’investissements pour 2040, qui constituera sa stratégie de référence.
Document source : le schéma de développement du réseau 2025 – synthèse
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