« L’épidémie n’est pas finie ! » arbore le Mucem sur sa robe de verre. Ce sont les militants de l’association Act Up – Paris qui scandaient ces mots dans les années 90 pour lutter contre le sida, une maladie causée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Affiches, slogans, banderoles, films, peintures, accessoires, frasques… Le Mucem présente une partie de la plus grande collection française d’objets de lutte sociale récupérée des fonds du musée national d’Art et Traditions populaires (MNATP) jusqu’au 2 mai 2022.
De l’Afrique aux États-Unis en passant par la France et Marseille, cette exposition coup de poing retrace l’histoire de 40 ans de lutte. Menée par un commissariat collectif et un comité de 50 étudiants, chercheurs, médecins et personnes infectées, l’exposition questionne sur les similitudes avec l’épidémie du Covid-19.
Une maladie victime de stéréotypes
A l’entrée, un boîtier décompte le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde depuis le 15 décembre, date d’ouverture de l’exposition. « En moyenne, ce chiffre augmente toutes les 19 secondes » nous apprend Caroline Chenu, chargée des collections du Mucem et co-commissaire de l’exposition. Aujourd’hui, le virus du VIH est un miroir : 36 millions de personnes en sont mortes et 38 millions vivent avec.
A gauche du compteur, trois écrans positionnés en quinconce diffusent les témoignages de femmes séropositives du réseau Santé Marseille Sud. Elles se confient à visages découverts sur la « silenciation » de la maladie qui nourrit la marginalisation des personnes infectées. « Au début, le sida était dite “la maladie des 4H” : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, haïtiens » précise Caroline Chenu qui traverse un rideau numérique projettant les Îles-du-Frioul où les malades de la peste et de la fièvre jaune, deux épidémies terminées, étaient envoyés à l’isolement.
L’exposition débute sur l’annonce choc de l’apparition du virus. La photographie de l’artiste Andres Serrano montre « ce mélange des fluides de sperme et de sang qui sont tous deux à l’origine de la vie et de la mort » observe la commissaire. En face, de nombreuses couvertures de presse des années 80 traduisent les stéréotypes sur la maladie véhiculés par les médias, encore trop peu connue dans l’espace public. Libération titrait : « Cancer gay, une contamination par le sang » en juin 1983. D’autres titres, affichaient en couverture le cliché de deux amants masqués pour se protéger du VIH, alors que le virus est uniquement transmissible par le sang et non par postillons comme la Covid-19.
La lutte sociale confère aux progrès des traitements
Pour porter la lutte, le tee-shirt est le parfait emblème. Les commissaires ont pioché dans les 400 tee-shirts de la collection du Mucem pour en suspendre une trentaine. Floqués, personnalisés voire même crées par certains artistes comme le palsticien américain Keith Haring ou la créatrice de mode Agnès B, les tee-shirts incarnent la solidarité et le poids du collectif pour rendre plus visible et compréhensiblela maladie.
Les slogans « Silence = Mort » « Paris is burning » ou encore « Act Up – Paris : lutte contre le sida et vous, que faites-vous ? » n’interpellent pas seulement les pouvoirs publics. Ils incitent aussi les citoyens à se mobiliser pour une cause plus grande qu’eux. Rapidement médiatisées, les manifestations d’Act Up – Paris laissent un essaim d’affiches, de photographies et d’objets devenus mondialement connus à l’instar du porte-voix. Le photographe Jean-Marc Armani l’illustre par sa photographie saisissante de milliers de militants allongés rue de Rennes, prise le 1er décembre 1994 (Journée mondiale de lutte contre le sida), qui symbolise les 10 000 morts par jour à l’apogée de l’épidémie cette année-là.
A force de lutte, les traitements médicamenteux se sont améliorés. « En 1980, un malade du sida devait ingérer des dizaines de médicaments. Ce qui l’empêchait de voyager, de se déplacer facilement… » explique Caroline Chenu. En témoigne le chien en silicone del’artiste Aurèle dans lequel il a emprisonné ses médicaments et ses préservatifs.L’exposition retrace la chronologie de l’évolution des traitements en 40 ans, allant de 20 comprimés et cachets à prendre tous les jours à une seringue à s’injecter un fois tous les deux mois.
L’allégement des traitements est allé de pair avec l’augmentation des dépenses publiques pour la prévention. « La publicité pour les préservatifs n’a été autorisée qu’en 1988. Le gouvernement a mis en place, et il faut le saluer, 1 million de préservatifs à 1 franc à l’été 1992. » relate Caroline Chenu.
Rendre hommage aux défunts
Si la prévention évite beaucoup de contaminations, les malades qui ne sont pas sous traitement ont une espérance de vie faible, notamment en Afrique où les moyens manquent. Selon ses prévisions, l’Onu annonce« la disparition du virus pour 2030 si que les pouvoirs publics dépensent 150 milliards d’euros » nous indique la commissaire. Néanmoins, les chiffres sont encore alarmants : 680 000 personnes sont décédées du sida en 2020 selonl’Onu sida. A titre de comparaison, 1,7 million de personnes sont décédées en 2020 des suites du Covid-19.
L’exposition fait le parallèle entre l’histoire des funérailles empêchées des défunts du sida et ceux du Covid-19. La majorité des malades décédés du sida n’avaient pas de soins funéraires, et mourraient isolés, parfois sur une île. La loi n’a autorisé les soins aux morts du sida qu’en 2017. Pour pallier le manque de considération des pouvoirs publics, les familles et amis des victimes ont crée des « Patchwork » : un grand tissu constitué de plusieurs morceaux de tissus très colorés cousus les uns aux autres. Les familles se réunissaient pour clamer les noms des défunts les uns après les autres.
En filigrane, l’exposition interpelle sur la rapidité du vaccin développé pour le covid-19 contrairement au sida qui attend toujours le sien. Et le combat demeure : celui contre la “sérophobie” et les stéréotypes. Aujourd’hui, 53% des personnes infectées dans le monde sont des femmes ou des filles. L’épidémie n’est pas finie.
Commissaires de l’exposition :
– Stéphane Abriol (anthropologue, CNRS-Cerlis, université Paris-Descartes)
– Christophe Broqua (anthropologue, CNRS-IMAF)
– Renaud Chantraine (anthropologue, EHESS)
– Caroline Chenu (chargée des collections, Mucem)
– Vincent Douris (responsable recherches opérationnelles, Sidaction)
– Françoise Loux (anthropologue, directrice de recherches au CNRS)
– Florent Molle (conservateur du patrimoine, Mucem et musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole)
– Sandrine Musso (anthropologue, AMU, CNE-EHESS)
Catalogue de l’exposition
Informations pratiques et liens utiles :
> Le Mucem est ouvert tous les jours (y compris le 1er janvier) sauf le mardi. Tarif et horaires.
> Retrouvez l’émission du 12 décembre produite par le Mucem et consacrée à l’exposition
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