Par Hervé Nedelec
« Groupons-nous, dès demain… » On connait la chanson. C’est pourtant un tout autre air que s’apprête à entendre, ce dimanche à 20h, la Ve République que le général De Gaulle et Michel Debré avaient conçue, il y plus d’un demi-siècle, pour protéger les citoyens du pouvoir absolu et de la dictature.
Emmanuel Macron entouré d’une poignée d’apprentis sorciers a pris le risque, au soir des Européennes, de jouer avec le feu. C’est une flamme, celle du Rassemblement National, qu’il a réussi à attiser en pariant que son opposition de gauche était en miettes et en spéculant sur une remise en marche de ses partisans. Il s’est livré à ce poker menteur en rêvant de rééditer son exploit de 2017. Il avait alors mis dans les cordes les champions des partis vieillissant de droite et de gauche et avait fait du RN son unique sparring partner, dont il n’avait fait qu’une bouchée dans le débat d’entre deux tours de la Présidentielle. Marine Le Pen avait alors subi un KO retentissant.
La tempête qui s’annonce pourrait s’achever sur un naufrage collectif
Pour avoir récidivé, mais n’avoir gagné qu’aux points devant la même présidente du RN en 2022, Emmanuel Macron devait se résoudre à diriger la France avec une majorité relative. Elle a contraint ses gouvernements successifs à avancer avec pour seul protège-dents le 49,3. Ces mésaventures pugilistiques auraient dû amener le locataire de l’Elysée à relever sa garde, mais son égocentrisme forcené a masqué à sa propre vue les feux clignotants qui les uns après les autres s’allumaient autour de lui. Des Gilets jaunes aux manifestations contre certaines réformes, en passant par les débats parlementaires, le président de la République a ignoré royalement une partie de l’opinion publique qui exprimait plus ou moins confusément le rejet de tout ou partie de sa politique. Il a repoussé cette censure populaire ignorant comme le disait en 1914 le philosophe Alain que « c’est le contrôle qui fait la pensée juste et équilibrée » ajoutant que « tout pouvoir sans contrôle rend fou. »
Embarquée dans cette folle aventure une partie de sa majorité doit désormais affronter les vents mauvais et la tempête qui s’annonce pourrait s’achever sur un naufrage collectif.
Cette situation « révolutionnaire », tant de fois appelée de ses vœux par un Jean-Luc Mélenchon, au nom de vieux principes trotskystes ou marxistes-léninistes, pourrait paradoxalement profiter aux tenants de la « révolution nationale ». Ses concepteurs avaient pris le pouvoir en 1940 pour en finir notamment avec l’Etat libéral qu’ils haïssaient tant.
C’est une France « décomplexée » qui se fait entendre
C’est une France « décomplexée » qui se fait entendre depuis le succès indiscutable du Rassemblement National aux Européennes. Quelques braillards trop empressés, xénophobes, antisémites, homophobes, opposés à la démocratie et à la liberté d’expression, ont certes failli brouiller à la fin de cette campagne de premier tour l’image de Jordan Bardella. Il s’était pourtant appliqué à masquer toutes les aspérités d’un programme qui se nourrit par bien des aspects des fondamentaux du Front National de Jean-Marie Le Pen : préférence nationale, répression de l’immigration, protectionnisme économique, état sécuritaire… Autant de menaces pour des républicains sincères qui n’ont pas empêché que s’installe comme une entêtante rengaine une parole partagée sans complexe : « on a tout essayé, pourquoi pas le RN ! ». La politique réduit à une lessive qui promettrait, comme s’en amusait en son temps Coluche, de « laver plus blanc que blanc ».
Il reste dans ce moment de folie républicaine peu d’espace pour parler encore des valeurs qui ont construit la nation depuis 1789. La gauche s’est imposée le devoir impérieux de faire Front Populaire. Alors qu’on annonce une participation en forte hausse, elle devra cependant s’interdire entre les deux tours, parce que la probabilité de nombreuses triangulaires est crédible, les positionnements ambigus ou les choix mal définis. Ce qu’il restera de républicains, de macronistes, ou de centristes en lices, ne pourront pas non plus, sous peine d’être traduits pour infamie devant le tribunal de l’Histoire, se réfugier dans la tartufferie d’un ni-ni.
Les heures qui viennent vaudront pour des années de luttes, de résistance, de convictions. Thomas Jefferson estimait que « la pierre angulaire de la démocratie (reposait) sur le fondement d’un électorat éduqué ». A l’heure d’un choix décisif bien des politiciens devraient s’interroger sur leur manière d’enseigner.
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