La menace a été brandie par le Premier ministre Gabriel Attal, en visite de campagne à Marseille vendredi 21 juin dans le cadre des élections législatives qui auront lieu le 30 juin et 7 juillet prochains. « L’issue du scrutin aurait un impact très concret sur les projets engagés au niveau local. Avec des extrêmes au pouvoir, tous ces grands projets, on ne pourra plus les financer » affirmait alors d’un ton peiné le chef du gouvernement à propos de projets initiés au plan local par Emmanuel Macron, comme « la ligne Nouvelle (Provence-Côte d’azur, ndlr), les investissements hospitaliers ».
A ses côtés, le président de la région Sud Renaud Muselier ajoutait à cette liste la cité judiciaire (chiffrée à 400 millions d’euros), le RER Métropolitain ou encore les Jeux olympiques d’hiver en 2030 (estimé entre 1,5 et 2 milliards) et la ligne à haute-tension entre Fos-sur-mer et le Gard (350 millions d’investissements). Sans oublier le plan Marseille en grand, impulsé par le président de la République en 2021 qui totalise autour de 2,5 milliards de fonds de l’Etat.
En effet, la dissolution de l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin dernier, et l’ombre d’un nouveau gouvernement qui plane fait souffler un vent d’incertitude sur l’avancée de l’ensemble des projets. Au delà de la menace, quels pourraient être très concrètement les conséquences d’un nouveau gouvernement sur l’ensemble de ces projets ?
Biocluster, hôpital militaire… Quels sont ces « investissements hospitaliers » auxquels Gabriel Attal fait allusion ?
Gabriel Attal évoque, parmi les projets territoriaux menacés des « investissements hospitaliers », sans préciser auxquels il fait allusion… Si l’on peut écarter les projets de modernisation de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), qui sont déjà bien avancés et pour lesquels l’Etat apporte 478 millions d’euros, ce n’est pas le cas du futur hôpital militaire de Sainte-Marthe, à Marseille (14e).
Annoncé par Emmanuel Macron lors de sa venue à Marseille en juin 2023, ce projet a vocation à remplacer l’actuel hôpital Lavéran (13e). Sa construction, à horizon 2030, devait être intégrée à la loi de programmation militaire et mobiliser environ 300 millions d’euros. Le 14 juin 2024, une étape vers sa concrétisation a été franchie avec la publication d’un avis pour assistance à maîtrise d’ouvrage au bulletin officiel des marchés publics. La date limite de réception des offres est fixée au 29 juillet… soit bien après le second tour des élections. Malgré tout, la marge de manœuvre pour annuler la procédure de marché semble limitée, d’autant que la construction d’un nouvel hôpital militaire pour remplacer celui, vieillissant, de Lavéran, est davantage une nécessité qu’un acte politique.
En revanche, un projet qui pourrait être menacé est le biocluster dédié à l’immunologie, attribué à Marseille en mai 2023 dans le cadre de France 2030, et qui doit s’implanter en partie sur l’hôpital Sainte-Marguerite. Un projet pour lequel la réflexion est bien avancée, bien que la gouvernance – qui réunit Aix-Marseille Université, l’AP-HM et la Métropole Aix-Marseille – soit encore en train de se mettre en place. « C’est typiquement sur ce genre de projet marqueur d’une volonté politique qu’on peut être inquiet. Tout pourrait être annulé du jour au lendemain » s’inquiète ainsi une source proche du dossier.
Marseille en grand : le travail se poursuit malgré l’incertitude
Le futur hôpital de Sainte-Marthe s’imbrique dans une deuxième salve de mesures annoncées dans le cadre du plan Marseille en grand, impulsé dès septembre 2021 par Emmanuel Macron. Quid de l’ensemble de ce plan ? Les milliards promis sur les transports, les écoles et le logement pourraient-ils s’envoler du jour au lendemain ? « Tant que rien n’est dépensé, rien n’est impossible. Un nouveau gouvernement pourrait très bien décider de mettre ces milliards ailleurs » souligne le maire des Pennes-Mirabeau Michel Amiel, également conseiller métropolitain d’Aix-Marseille Provence délégué aux mobilités.
L’édile suit particulièrement le dossier du futur pôle d’échanges multimodal dans sa ville, inscrit parmi les quinze projets de transports financés dans le cadre du plan Marseille en grand, qui dépasse les frontières de la cité phocéenne. Malgré tout, Michel Amiel se veut confiant : « Ce projet est situé sur la voie ferrée entre Aix et Marseille et permettra de desservir de nombreuses communes du territoire. Ce n’est pas un projet politique, mais un projet de bien commun. Je ne vois pas pourquoi un nouveau gouvernement voudrait revenir dessus …»
Concernant les autres projets transports de Marseille en grand, la moitié est déjà bien engagée, comme la construction des extensions Nord et Sud du tramway, dont les rails sont – pour partie – déjà posés. Mais sur les 15 projets proposés par la Métropole, seuls sept feraient l’objet d’une convention signée par l’Etat, faute d’accords sur les priorités des huit autres. Ce qui met en risque les 250 millions de rallonge promis en juin 2023 par Emmanuel Macron.
Inquiétudes sur le logement et les écoles
Autre sujet de préoccupation : le plan dédié au logement. Et ce, malgré les 650 millions d’euros déjà engagés par l’Etat, en mars 2022. Et ce, malgré les 650 millions d’euros déjà engagés par l’Etat, en mars 2022. Contacté, l’adjoint au logement de la Ville Patrick Amico (Printemps Marseillais) ne cache pas son inquiétude : « Personne ne peut garantir que les financements seront maintenus. Une convention, même signée, ne signifie pas que les fonds sont automatiquement versés. […] Tant que les projets ne sont pas physiquement engagés, l’argent n’est pas versé. » En clair, l’Etat pourrait très bien revenir sur ses promesses tant que les premières grues ne turbinent pas … La problématique touche spécifiquement les projets entrant dans le cadre de l’Anru (Agence nationale de la rénovation urbaine). Sur la rénovation du centre-ville, pilotée par la Société publique d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), le risque paraît moindre, compte tenu du début de concrétisations : « Il y a déjà des appels à manifestation d’intérêt lancés. La SPLA-IN a pu anticiper un certain nombre de choses », poursuit Patrick Amico.
Son homologue en charge du bâti scolaire, Pierre-Marie Ganozzi (Printemps Marseillais), se montre lui aussi inquiet de l’issue des élections concernant la partie dédiée à la rénovation des écoles marseillaises dans le plan Marseille en grand. « Je suis personnellement dans la perspective d’une victoire de la gauche. Si malgré tout, à l’issue du scrutin, il n’y a pas de majorité, cela ne devrait pas avoir de changement réel. Nous continuerons de travailler en bonne intelligence avec les services de l’Etat. En revanche, si l’extrême-droite passe, c’est un saut dans l’inconnu. On ne peut pas dire que ces élus fassent preuve d’un amour visible pour Marseille … », analyse l’adjoint à la Ville de Marseille. Il tempère néanmoins : « Il y a quand même beaucoup de projets engagés. La vague 1 sera complètement livrée en septembre, la vague 2 doit démarrer d’ici peu. S’il y a un risque, c’est surtout sur la troisième vague de rénovation. La Ville engage une partie de ses fonds, à travers un prêt. Quoi qu’il arrive, nous ferons le maximum pour aller au bout de la rénovation », affirme Pierre-Marie Ganozzi.
De fait, sur les 400 millions d’euros promis par l’Etat pour la rénovation de 188 écoles, seule une cinquantaine de millions ont pour l’heure été « décaissés », c’est-à-dire réellement versés par l’Etat à la Ville. L’enjeu du financement est de taille, d’autant qu’un rapport sénatorial paru mardi 26 juin, met en doute la capacité de financement de la Ville pour ce plan écoles.
Rénovation urbaine : « Le travail continue comme jamais »
Patrick Amico, adjoint au logement de la Ville de Marseille
Malgré l’incertitude, les comités de pilotage pour l’avancement de Marseille en grand vont bon train. « Le travail continue comme jamais », assure ainsi Patrick Amico. « L’objectif est de boucler tous les dossiers le plus vite possible. Toutes les opérations doivent commencer à sortir de terre avant le 31 décembre 2026. » Idem sur le volet transport : « Les choses avancent plutôt bien. La situation politique n’obère pas la continuité des études ni les acquisitions foncières », confirme également Michel Amiel au sujet du pôle d’échanges multimodal des Pennes-Mirabeau.
La décarbonation industrielle à Fos remise en question ?
Le plan Marseille en grand n’est pas le seul en ballotage parmi les grands projets territoriaux. Le président de la région Sud (Renaissance) Renaud Muselier s’inquiète pour sa part des projets de décarbonation autour du bassin de Fos. « Que va-t-il se passer s’ils s’attaquent au contournement Martigues-Fos, à l’installation d’éoliennes en mer, à Carbon … Il est question de 10 000 emplois ! L’arbitrage financier de l’Etat [qui décide de mettre de l’argent dans ces projets] peut être barré d’un trait de patte du jour au lendemain » affirme ainsi le délégué régional Renaissance.
« Une chose est sûre, c’est que l’extrême-droite n’est pas engagée dans une démarche de décarbonation. Elle promeut davantage l’industrie d’hier plutôt que celle de demain. Quant à l’extrême gauche, je ne vois pas quelle vision elle porte sur le territoire », tique pour sa part Jean-Marc Zulesi, député Renaissance sortant de la 10e circonscription, où se concentrent une partie des projets industriels. « Jusqu’à présent, nous avons accompli un travail exceptionnel pour que des projets comme Carbon ou H2V. On est bien partis pour qu’ils viennent s’installer chez nous. Ce serait très préoccupant de voir ces projets remis en cause par l’arrivée de l’extrême-droite » s’inquiète celui qui est candidat à sa propre succession sur le même territoire. Alors qu’un appel à projet est en cours pour le déploiement d’une giga-ferme éolienne en Méditerranée, la perspective d’un nouveau gouvernement, potentiellement d’extrême-droite, pourrait changer la donne, le Rassemblement national ayant réaffirmé sa volonté d’un moratoire sur le développement de l’énergie éolienne.
Du côté de la gauche, l’adjoint à l’Economie de laVille de Marseille, Laurent Lhardit, candidat PS aux législatives sous la bannière du Nouveau Front populaire dans la 2e circonscription se veut rassurant. « Sur les grands projets industriels, qui sont essentiellement privés, et encadrés par l’Etat, il n’y aucune raison de les remettre en cause d’autant qu’ils répondent au changement climatique. » Laurent Lhardit rappelle qu’il y a « au total 15000 emplois en jeu et qu’il faut bien sûr continuer à soutenir les projets. Idem sur le volet industries créatives et cinéma que nous avons souhaité avant même qu’il soit intégré au plan Marseille en grand. »
Transports : LNPCA, RER métropolitain… les transports peuvent-ils dérailler ?
Lors de la venue de Gabriel Attal à Marseille vendredi 21 juin, la question de la Ligne nouvelle Provence-Alpes-Côte d’azur (LNPCA) était également évoquée parmi les projets pouvant être remis en cause. Mais l’échéance pour cela semble être très courte : en effet, la SNCF doit démarrer cette année les premiers travaux de la ligne. Cependant, la totalité des travaux ne s’achèvera pas avant 2035… Le projet pourrait-il vraiment s’arrêter en cours de route ? Le président de la Région escomptait la promulgation d’une loi d’exception visant à accélérer le déploiement de la ligne pour qu’elle soit fin prête pour la tenue des Jeux dans les Alpes du Sud. Mais la perspective d’un changement politique pourrait remettre en cause la tenue même de ces JO 2030, alors que la décision finale du comité international olympique pour l’attribution des jeux doit intervenir aux alentours du 17 juillet… Dix jours après le scrutin législatif. Et la garantie de l’Etat pour l’événement n’a toujours pas été donnée s’alarment de leurs côtés les élus de gauche d’opposition au Conseil régional Auvergne Rhône Alpes co-porteur avec la Région Sud de la candidature française. « Sans cette garantie financière, l’organisation par les Alpes françaises des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 est compromise » dénonçaient-ils dans un communiqué le 21 juin.
A noter, cependant, que l’opposition Rassemblement national dans l’hémicycle de la Région Sud n’est pas foncièrement opposée à la tenue des jeux dans la région, tout en émettant des réserves sur le coût de leur organisation. Mais si une coalition de gauche à l’Assemblée nationale prenait le pouvoir la position pourrait être beaucoup plus critique.
Quant au projet de RER métropolitain – renommé Serm (Service express régionaux métropolitains) -, là encore, il commence tout juste à prendre forme dans les Bouches-du-Rhône. Après l’engagement de l’Etat à hauteur de 160 millions d’euros dans le cadre du Contrat de plan Etat-Région, les collectivités doivent désormais faire remonter leurs projets. Mais ce n’est pas gagné : l’opposition RN s’est ainsi opposée au projet de Serm proposé par la Communauté d’agglomération du grand Avignon… La Métropole Aix-Marseille Provence, elle, devait soumettre au vote sa propre candidature au réseau des Serm lors du conseil métropolitain prévu jeudi 27 juin.
LFI : haro sur le plan Marseille en grand : « une supercherie »
Contacté pour répondre à l’ensemble de ces préoccupations, le président du groupe Rassemblement National à la région Provence-Alpes-Côte d’azur et député sortant de la 12e circonscription Franck Allisio – par ailleurs candidat aux législatives – n’a pas donné suite à nos sollicitations. Nous avons également tenté de connaître les positions des députés LFI des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard et Sébastien Delogu sur ces sujets. A noter que ce dernier, a au cours de son mandat été à l’initiative d’une résolution pour créer une commission d’enquête parlementaire concernant le plan Marseille en grand, déployé par le gouvernement et le chef de l’Etat. Cette proposition était particulièrement critique. Elle demandait entre autres de « mettre en lumière les défaillances de gouvernance », ou encore de « les graves manquements en matière de suivi et de devoir d’information envers les citoyennes et les citoyens.»
Son directeur de campagne et ex-directeur de cabinet, Hedi Bounouar, confirme ces critiques considérant globalement que le plan Marseille en grand est « une supercherie » à l’instar des précédentes annonces de l’Etat pour Marseille invoquant l’époque de l’ancien président Nicolas Sarkozy ou du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Selon lui aucun des volets du Plan n’est convaincant, pour des raisons variées. En ligne de mire le pouvoir macronien et sa verticalité, mais aussi les propres incapacités du territoire pour délivrer les projets notamment dans le logement. Il s’interroge en particulier sur la capacité de Samia Ghali, la maire adjointe de la Ville de Marseille, à coordonner les opérations dans les délais. Au total, la critique vise « la désorganisation et l’inefficacité du dispositif de gouvernance territoriale » pointant notamment les couches du millefeuille administratifs qui a été alourdi par la création de la Métropole.
De ce point de vue, Hedi Bounouar souligne que le plan Marseille en grand avait été conditionné par la fin des « chicayas politiques » entre les acteurs locaux, mais que depuis rien n’a évolué…
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