Il faut se méfier de la canicule. Elle peut être mortelle. Et pas seulement pour les personnes fragiles. Souvenons-nous du sémillant professeur Jean-François Mattei, fauché en plein vol politique en 2003, alors que, ministre de la Santé, il commentait, très décontracté en polo depuis sa villégiature varoise, l’épisode caniculaire qui devait faire 15 000 morts. Le verdict populaire fut sans appel et le professeur en pédiatrie fut prié de rejoindre son bac à sable à la Timone. Dur, dur. 22 ans plus tard, en notre ville torride, nos édiles et syndicats ne semblent pas avoir retenu la leçon.
Où l’on entend le député Hendrik Davi (ex-LFI) s’entêter pour un rassemblement lors des prochaines élections municipales phocéennes qui irait du Printemps marseillais aux écologistes (chez lesquels il est hébergé) en passant par la France Insoumise. Pas rancunier le bonhomme, viré comme un pestiféré par Mélenchon.
Où l’on voit nos députés LFI défiler à Paris derrière des drapeaux du régime des mollahs contre « le grand Satan », les USA, en fermant les yeux sur la situation des femmes iraniennes ou sur la répression féroce du régime et ses pendaisons sans procès.
Où une trentaine d’employés affiliés à Force Ouvrière bloque les lignes du métro, pour des raisons obscures de négociations ratées. Les tramways et les bus de la RTM ont étouffé du coup… tout en vantant, à grand renfort d’autopromotion, les 75 ans qui lient la régie aux usagers marseillais.
Où le maire Benoît Payan se voit sommer par l’extrême gauche et ce qui reste des Verts (Sébastien Barles, vient d’être écarté par les instances nationales d’EELV) de rompre un jumelage avec Haïfa, ville réputée travailliste d’Israël. Pendant que Gaza meurt, la droite détourne le regard et la gauche s’emmêle les priorités.
Où Stéphane Ravier (Ex RN, ex Zemmouriste), Nora Preziosi (Ex LR), Sabrina Agresti-Roubache (Macroniste) ne s’interdisent rien pour leur avenir politique. Le premier survit avec les thèmes qu’il continue à nourrir de l’humus nauséabond lepéniste. La deuxième écartée de 13 Habitat joue les prolongations en attendant que justice passe. La troisième espère encore jouer de tout son poids plume sur le ring des grands. Grandeur et décadence.
Une fois encore nous abuserons d’Audiard. Ils osent tout et c’est même à ça qu’on les reconnait. La liste pourrait s’égrainer à l’infini tant nos professionnels de la protestation maîtrisent l’art singulier d’aller de l’avant en passant la marche arrière. En cette fin de semaine et d’année active, on ne peut donc que leur conseiller de passer à l’ombre et de ménager leurs méninges pour un automne que l’on prédit brûlant. Voici donc quelques recommandations sans ordonnance.
La fête championne hors catégorie
Le stade vélodrome n’a pas encore retrouvé les parfums de la Ligue des Champions mais il a, les merguez en prime, offert quelques moments exceptionnels aux teenagers, fans et désormais youtubeurs ou tiktokers avec des affiches internationales à faire pâlir nombre de tourneurs. L’Anglais Ed Sheeran et sa tignasse rousse du Yorkshire a fait ainsi chavirer le Vel’, avant le boss Bruce Springsteen venu témoigner de tout le bien qu’il pense de Donald Trump, et encore David Guetta entamant, sous le regard immobile de la Bonne Mère, un marathon mondial. Et puis surtout IAM prophète en son pays revendiquant comme Jul ou Soprano, la fierté d’être exagérément marseillais, caricaturalement chauvin, éternellement olympien. « Marseille bébé ! » et tant mieux si les décibels font taire un moment les marchands d’illusions et les propagandistes du désespoir.
La tête de l’art
Il a séjourné dans les quartiers nord où tout le monde s’en fout et beaucoup l’ignorent. Paul Cézanne a pourtant fixé là un de ses deux grands thèmes. On évoque souvent à propos de l’ami d’enfance d’Emile Zola, la montagne Sainte-Victoire. Mais le golfe de l’Estaque qui, adolescent, émerveillait l’artiste, a fait le tour du monde grâce à ses toiles.
En 1876, il réalise depuis ce petit village de pêcheurs agrippé à la Nerthe, ses premières marines. A la fin de cette décennie-là, il multipliera aquarelles et toiles qui donnent à voir une vue plongeante et sublime sur le golfe de Marseille. Avec son ami Pissarro il évoquera ce « soleil effrayant » qui transforme les « objets » en « silhouettes ». Cet été et jusqu’au mois de novembre Aix-en-Provence propose dans de multiples galeries, à l’atelier des Lauves, à la bastide rénovée du Jas de Bouffan, dans les musées dont Granet bien sûr… en évocations, en expositions de photos (Camille Moirenc) ou de peintures, en musique, en danse (avec le ballet Angelin Preljocaj), un nouvel hommage à Cézanne, cet Aixois qui aimait tant Marseille. A ne pas manquer, d’autant que les autres tentations sont alléchantes.
On pense à « Sculpter le vide » qui nous interpelle avec les œuvres de d’Alessandro Giacometti au musée Jules Cantini. L’hôtel particulier est un écrin parfait pour mettre en ombre et lumière le travail singulier de l’artiste de Montparnasse.
Et puis Aix encore, où l’hôtel de Caumont a fait taire les persifflages qui avaient salué sa renaissance, pour enrichir ses belles propositions et ses scénographies toujours soignées, d’un zoom avant sur Niki de St Phalle. Une artiste et une femme à la liberté subversive, née de profondes écorchures que son art dépasse, pour faire de la couleur une arme de création massive, et des formes, des coups de poing à la bien-pensance. Rafraichissant.
Chat va sans dire
Comment, en ces temps de révisionnisme aigu, d’insolentes falsifications, de criminelles injonctions à l’oubli, d’antisémitisme renaissant et non « résiduel » selon la formule d’un idiot utile, ne pas faire halte cet été au Camp des Milles. C’est l’auteur multirécompensé, Joann Sfar, qui nous invite à visiter ou revisiter cet espace réhabilité par Alain Chouraqui, directeur de recherche émérite au CNRS, pour rappeler que là, à quelques centaines de mètres du paisible cours Mirabeau, s’est joué un des plus tragiques épisodes de la Seconde Guerre mondiale.
L’artiste a posé avec respect partie de son œuvre – dont des planches de ses BD – à quelques pas des murs et plafonds sur lesquels des prisonniers célèbres – dont Max Ernst – ont laissé, pendant leur captivité, leurs traces vivaces. Sfar, qui continue à se battre contre l’intolérance dans nos frontières et ailleurs. Il s’entête à vouloir la paix entre juifs et Palestiniens, et sait que le rire peut renverser des montagnes, Sinaï compris. Il a ainsi démontré, chef d’œuvre de la BD à l’appui, combien il était difficile de faire lire le Talmud au « Chat du rabbin ». En famille ou en solitaire, il est impérieux de faire un crochet jusqu’aux Milles, une zone de chalandises où la mémoire ne sera jamais à vendre.
Assier et Coulomb « des amis de luxe »
Depuis l’ombre de son pin parasol à Sète le grand Georges ne nous en voudra pas d’avoir emprunter quelques mots à ses « copains d’abord ». D’autant que nous voulons parler ici des nôtres, nos chers confrères.
Au premier rang desquels Serge Assier qui consacre sa dernière exposition arlésienne à la patrie de Brassens : « Sète, ville de lumière & de poésie ». Le photographe boucle ainsi, à 79 ans, 40 ans de royaux services à son art, la photo, en Arles aussi et son nécessaire festival. Il restera longtemps celui qui en un funeste midi-deux a fixé sur sa pellicule le juge Michel fauché sur sa moto boulevard Michelet par deux assassins venus du quartier d’Endoume. Mais il est tellement plus avec cette œuvre inimitable dont il a fait donation en 2022 à la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie. On y retrouve ses « plaques », comme on dit dans le métier, qui racontent souvent les gens et les paysages d’ici, des moments inédits autant qu’évidents, où pointent toujours la générosité du regard de cet artiste, reporter autant que rapporteur de vie. Et puis ces incroyables rencontres qui, de René Char à Michel Butor, en passant par Fernando Arrabal et tant d’autres, font de cet ancien enfant perdu un éternel passeur d’images, de sens, de poésie. Serge Assier arrête là car, nous confie-t-il, il est financièrement exsangue. Mais il nous laisse riche de tant de bonheurs.
Et puisque nous vous recommandons de jouir goulument de « l’invincible été », nous suggérons que vous le fassiez également dans un hamac ou sur un rocking-chair avec un bon livre. Celui de notre confrère Patrick Colomb fera l’affaire. « Boulevard des rats » jure l’auteur, est le fruit de son imagination en goguette. Voire, tant sa plage des Levantins nous fait penser à celle des Catalans, comme sa corniche Ronald Reagan a un furieux air d’une autoroute littorale baptisée Fidgerald Kennedy. Sur son boulevard coule un fleuve, noir évidemment, où se bousculent d’abondance les mots, les personnages, les situations.
A Boccarone, cette ville fardée comme une cagole, il se passe des choses pas catholiques du tout, enlèvement, meurtres, magouilles. Etienne Cataldese mi-flic, mi-barbouze, mi-paumé, est descendu de sa benne à ordures pour mettre son nez dans les poubelles de l’histoire locale. Ça sent fort à travers les lignes denses de Coulomb qui aime à en crever cette chienne de ville. Et de défourailler jusqu’au désespoir. (Patrick Coulomb, Boulevard des Rats, L’écailler)
Allez bon été à tous !
