Au cœur du quartier Belsunce à Marseille (1er), le béton du parking de la Providence s’apprête à devenir une place publique arborée de 2 500 m2. Situé derrière la bibliothèque de l’Alcazar, ce parking de 80 places a été construit en 1944 pour accompagner l’essor de l’automobile. La place de la voiture ayant diminuée en ville au profit des transports en commun et des mobilités douces depuis quelques années, cette requalification, chiffrée à trois millions d’euros, s’inscrit dans une politique plus durable. Or, le projet se heurte aux intérêts des commerçants, en majorité des grossistes, qui s’indignent du manque de concertation autour du projet et des faibles alternatives de stationnement proposées. Malgré des tensions persistantes, l’aménageur du projet(Soleam) a publié, le 8 février, son appel d’offres pour chercher son maître d’oeuvre.
Vu d’en haut, le manque de verdure est criant dans ce quartier. « Marseille a perdu la moitié de ses arbres en 70 ans », martèledès qu’elle en a l’occasion Mathilde Chaboche, l’adjointe à l’urbanisme. Mais ce projet n’a pas été impulsé sous la mandature du Printemps Marseillais. C’est en 2017, dans le cadre du projet partenarial d’aménagement (PPA), que le projet a été lancé par Sabine Bernasconi, ex-maire LR du 1er et 7e arrondissement, et par Gérard Chenoz, l’ex-président de la société d’aménagement de la Métropole Aix-Marseille (Soleam) après le vote d’une délibération en conseil métropolitain.
Pour démarrer le projet, la concertation publique était censée se dérouler en 2019. Elle a finalement eu lieu au mois de juin 2022. Pour mener ce temps d’échange avec les commerçants et les habitants du quartier, la Soleam indique avoir recruté l’Agence d’études urbaines et sociales (Adéus). « L’ensemble des parties prenantes ont été invitées à donner leur avis sur le devenir de la place, sa gestion, son animation et son fonctionnement », affirme l’aménageur par courrier. D’un autre avis,Thérèse Basse, la présidente de l’association des commerçants et artisans du quartier de Belsunce (Acam), donne sa version : « Une réunion a bien eu lieu. Les collectivités nous ont présenté le projet. Mais ce n’était pas une vraie concertation », défend-t-elle.
En juillet 2022, de larges pancartes ont été accrochées sur le grillage du parking pour afficher le calendrier des opérations. Le parking a été fermé en septembre, date qui correspond à la fin du contrat de délégation de service public (DSP) du groupe privé Effia. Une phase de fouilles archéologiques devrait ainsi débuter courant 2023. « Le marché de terrassement a été publié courant janvier pour une remise d’offres courant février », nous précise la Soleam.
Suppression du parking de la Providence : les grossistes vent debout
Si le projet semble suivre son cours du côté de l’aménageur, Thérèse Basse rappelle que les commerçants n’ont « aucune solution pérenne » pour stationner. Une centaine de grossistes ont manifesté une première fois en juillet 2022 pour alerter sur leur difficultés économiques suite à la fermeture du parking.
Sans réponse claire de la part des collectivités, les professionnels ont pénétréquatre mois plus tard le hall de l’hôtel du Département à St-Just. Cette fois, ce mouvement a entraîné une réaction de Martine Vassal, la présidente de la Métropole Aix-Marseille et du Département des Bouches-du-Rhône. L’élue de droite a interpellé le maire de Marseille, Benoît Payan (DVG) par courrier, lui demandant de se questionner sur la poursuite du projet.
« On a tué en quelques mois la vie économique de ce quartier »
Les raisons qui poussent les commerçants à manifester sont autant économiques que sécuritaires. Depuis la fermeture du parking de la Providence entre septembre et décembre, Thérèse Basse alerte sur « la perte d’entre 50 et 70% du chiffre d’affaires de certains grossistes ». Et de poursuivre :« Certains sont même partis avant de déposer le bilan. On a tué en quelques mois la vie économique de ce quartier », déplore la représentante. Ce discours est confirmé par une grossiste chinoise de Chic Paris, rue du Petit Saint-Jean : « Quand il n’y a plus de parking, les clients ne viennent plus… »
Deux alternatives de stationnements « à moins de 5 minutes à pieds » ont été proposées par la Soleam : le parking Bourse (1 767 places) et celui de Gambetta (600 places). Mais la grossiste relève « la contrainte pour les clients de se stationner trop loin alors que les commandes pèsent lourd. » Elle refuse de proposer à ses clients de stationner dans un de ces deux parkings dont « les prix sont trop élevés. » Celui de Bourse coûte en moyenne 3,30€ la première heure et celui de Gambetta coûte 2,40€/h. Or, les tarifs pratiqués par l’ancien exploitant Effia étaient plus compétitifs : 1,5€ de l’heure.
Le MIF 68 du centre Grand Littoral (15e) a été ouvert en 2018 pour remédier à ces problématiques de stationnement et faciliter la circulation des acheteurs. Le pôle textile, localisé dans le nord de Marseille, propose 90 emplacements pour les vendeurs de gros. Mais une partie des grossistes chinois prévoyaient déjà de rester ancrés à Belsunce. A l’époque, Martine Vassal revendiquait la création d’un« Chinatown marseillais» lors de l’inauguration : « Toutes les grandes métropoles du monde ont un quartier chinois, c’est la marque des grands. On réfléchit donc à remplacer les grossistes par de nouvelles boutiques pour le grand public et une activité touristique à développer. »
Cependant, le quartier accuse d’une insécurité grandissante depuis 2021. Un habitant âgé, né dans le quartier, confie son angoisse : « On a peur qu’en faisant une belle place les dealers viennent squatter ici. » Thérèse Basse acquiesce : « Il y a une recrue d’essence du trafic qui descend des quartiers Nord en centre-ville. Depuis quelques mois, et c’est la première fois, des grossistes chinois se sont fait cambriolés », explique la présidente de l’Acam. Elle témoignait déjà du moral des commerçants au plus bas en septembre 2021. Si plusieurs patrouilles circulent la journée, l’Acam plaide pour « installer un poste de police fixe ». Un engagement auquel la ville de Marseille ne semble pas prête à signer pour le moment. Contactée, la ville de Marseille n’a pas répondu à notre demande.
La Soleam a lancé son appel d’offres pour maîtrise d’œuvre
Les commerçants attendent ainsi de pied ferme une seconde concertation sur la requalification du parking de la Providence. Ils ont même réintégré le parking depuis décembre alors que Effia ne fait plus payer l’entrée. Mais « ce n’est pas tenable de faire un parking sauvage comme ça qui risque de dégénérer. En plus, la plupart du temps ce sont les habitants qui y garent leur voiture », admet Sophie Camard, la maire du premier secteur.
Ça suffit les balles de ping-pong. Pour nous, les deux collectivités sont responsables
Thérèse Basse
Sans chercher la confrontation, Thérèse Basse explique que les grossistes ne sont pas opposés au verdissement du quartier. Mais qu’il y a urgence à trouver une solution « viable » de stationnement. « On veut juste s’assoir à la table des négociations. La Métropole nous a dit que la Ville bloquait. La Ville nous a dit que la Métropole bloquait. Ça suffit les balles de ping-pong. Pour nous, les deux collectivités sont responsables. Les commerçants ne peuvent pas être pris en otage. Maintenant, on laisse faire la CCI qui nous accompagne. Mais on est encore dans l’inconnu… », se désole la présidente de l’Acam.
Aucune réunion n’a encore été fixée par les collectivités avec les commerçants depuis september. Mais Sophie Camard ne s’y oppose pas. L’élue du Printemps Marseillais, interrogée le 1er février, maintient toutefois sa volonté de réaliser ce projet et assure être enclin à le « retravailler avec plus de sérénité. »
Revoir le projet ne semble pourtant pas au programme de la Soleam. La société d’aménagement vient de publier, le 8 février sur son site, l’ouverture des candidatures jusqu’au 13 mars 2023 pour une consultation de maîtrise d’œuvre. Et l’aménageur public continue d’afficher son calendrier initial : « Les travaux devraient débuter courant 2024 pour une livraison prévisionnelle en 2025. »
[Documents sources] Parking de la Providence : propositions de l’Acam aux collectivités
Lien utile :
> [Aménagement] Belsunce veut devenir un quartier attractif et éco-tendance
> Yves Moraine (LR) : « Je veux que la Soleam devienne l’aménageur de référence »