Les bénévoles de « l’Après M » investissent le McDonald’s Saint-Barthélémy (14e) depuis mars 2020. Ils s’activent pour récolter et redistribuer des denrées alimentaires aux Marseillais dans le besoin. Le 15 mai, les bénévoles veulent créer une Société citoyenne immobilière (SCI) pour que 50 000 donateurs puissent acheter une part du Macdo à 25 euros. Reportage sur ce lieu social hors du commun.
Arrêt Ste-Marthe le Camp, 14e arrondissement de Marseille. Du rond-point sans artifice de la L2, nouvelle autoroute chiffrée à un milliard d’euros, le bitume humide laisse s’échapper les effluves de caoutchouc. Il vient de pleuvoir. A droite, un bloc de 30 étages de logements chatouille les nuages. A gauche, l’ancien McDonald’s du quartier Nord « Saint-Barth » revêtu d’un camouflage rose et bleu. Une pancarte détourne le slogan McDonald’s : « Comme vous êtes, vous venez ! ». Les murs du chemin qui mène à l’ancien fast-food sont couverts de graffitis « NOS vies, LEURS sous ». Ici, les bénévoles de « l’Après M » ont détourné les mots et l’apparence de l’ancien restaurant pour ne jamais oublier la quête de leurs idéaux. Un monde d’après fondé sur l’entraide.
Derrière l’entrée principale, sur le passage de l’ancien drive, trois bénévoles déposent des bidons plastiques de lait dans des cadis. Elles discutent avec Lakdar, de dos, en fauteuil roulant. Le bénévole, comme tout le monde ici, coordonne les Maraudes du coeur depuis 10 ans qui « ont doublé pendant Ramadan » constate-t-il. Accoudé à la barrière, Guillaume, un jeune illustrateur, est « un militant habitué ». Hésitant au début, il sourit sous son masque avant l’interpellation de Mohamed qui sort d’un camion noir : « Guillaume, tu prends les sacs de semoules st’euplait ? ». Les deux hommes déchargent des centaines de kilos de semoule. Ils les acheminent à l’intérieur de la grande salle principale, qui jadis, grouillait de monde.
« Dans les quartiers, on a déjà vécu cette violence. Alors on était prêts. »
Kamel Guemari
Comme une tornade, Kamel Guemari, l’un des leaders de la lutte, apparaît sous la banderole « Entreprise Milliardaire, salariés dans la Misère » qui fait de l’ombre à l’ancien bar de prise des commandes. Il enlace et salue les dizaines de bénévoles présents. Son pas élancé et sa longue barbe soignée contrastent avec son ton ferme : « Ça fait 23 ans que je travaille à McDo mais que je suis contre ! ». Figure de proue de la lutte de l’obtention des droits sociaux d’abord en 2012, il rêve maintenant de « reprendre les clefs » du fast-food au profit des habitants du quartier. Kamel ne s’imagine pas une seconde laisser l’étincelle s’éteindre. « Le quartier a besoin d’un endroit où les jeunes puissent se retrouver et apprendre gratuitement ». Depuis son ouverture en 1992, le McDo n’était pas seulement un restaurant. Il était bien plus que ça. C’était « un lieu de rencontres et d’emploi des jeunes » raconte-t-il. Alors quand, en 2019, le fast-food « a fait des pieds et des mains pour fermer » car « il n’était pas assez rentable », explique Guillaume, Kamel et ses salariés ont bloqué le lieu. En tout, 77 salariés McDonald’s limogés et des centaines de familles du quartier sans lieu de vie pour se retrouver.
A l’aube du premier confinement, quand Emmanuel Macron déclare « Nous sommes en guerre », Kamel était déjà sur le qui-vive. « Dans les quartiers, on a déjà vécu cette violence. Alors, on était prêts ». Une trentaine de bénévoles se sont spontanément organisés en mars 2020 pour orchestrer une banque alimentaire. Depuis, les colis arrivent par centaines grâce aux « dons » des particuliers et des entreprises. Tous les lundis, « 1000 familles » viennent chercher leurs paquets. « Ici, c’est la lutte des classes » clame l’ancien salarié.