Point de dignité sans eau. La formule est lapidaire, mais ô combien vraie. Pour s’en convaincre, un seul chiffre suffit à donner le tournis : 4,5 milliards. C’est le nombre de personnes sur Terre dont on estime qu’elles n’ont pas un accès direct à des toilettes. C’est le chiffre révélé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lors de la dernière Journée mondiale des toilettes, soit environ deux tiers de l’humanité.
Cela donne une idée de l’ampleur du défi de l’accès à l’eau – et donc à la dignité – pour tous. Or en général, dans les régions affectées, à cette difficulté d’accès à l’eau se superpose un déficit d’accès à l’énergie. Or sans énergie, impossible de pomper l’eau, impossible de la traiter. On comprend dès lors que les territoires n’ayant accès ni à l’eau ni à l’électricité connaissent des difficultés en termes d’éducation, de santé, et d’alimentation.
La « Five Fingers Alliance » une approche décloisonnée défendue par le Conseil mondial de l’eau
Jusqu’alors, ces différents champs d’intervention ont eu tendance à être traités séparément, tant par les gouvernements que par les ONG et les organisations internationales. Or une analyse poussée de la situation conduit à s’apercevoir que ces problèmes se superposent plus qu’ils ne s’opposent. Eau, électricité, nourriture, santé, éducation, voici donc l’alliance des cinq droits humains fondamentaux, la « Five Fingers Alliance » une approche décloisonnée défendue par le Conseil mondial de l’eau.
Cette approche part notamment d’un constat : avec la croissance démographique et une population mondiale dont on estime qu’en 2030 elle sera à deux tiers urbaine, l’eau existe en quantité suffisante mais pas à proximité des personnes qui en ont besoin. Concentrées dans des mégapoles de plus en plus tentaculaires, celles-ci font face à des problèmes en cascade : pauvreté, accumulation de gigantesques bidonvilles, pollutions de toutes sortes, dont la prolifération des plastiques dans les eaux douces comme salées, dans les fleuves comme dans les mers.
Voilà pourquoi en 2020 il n’est plus possible de segmenter les problèmes. A l’opposé, l’Alliance des cinq droits fondamentaux propose d’associer voire parfois de confronter chacun de ces éléments, qui doivent être complémentaires et non antagonistes.
Construire des politiques de développement inclusives
Quelle est la portée pratique d’une telle alliance ? Dans les faits, elle invite à construire des politiques de développement qui tiennent compte de ces cinq aspects, sans en laisser un ou plusieurs au bord de la route. Ainsi, quel serait le sens de construire une école dans un bidonville, si ses habitants n’ont pas de quoi se nourrir, se laver ou encore se soigner ?
De la même manière, comment construirait-on un hôpital dans une région rurale reculée d’Afrique sans accès à l’eau et à l’électricité ? Nous le voyons, chacun des cinq droits fondamentaux commande les autres et vice-versa. Bien souvent, pour parer au plus pressé, les Etats organisent des transferts d’une région vers une autre afin de répondre aux défis démographiques qui les affectent. Une eau qui sert avant tout à l’agriculture et à l’industrie, avant les besoins des habitants.
Or pour organiser un accès équitable à l’eau à l’échelle planétaire, il conviendra de faire travailler ensemble les spécialistes des cinq droits fondamentaux. En particulier, le lien entre eau et énergie devra être établi avec plus d’autorité, et les politiques de développement élaborées en conséquence.
Une sécurité de l’eau à inscrire dans les esprits
Organiser un accès à l’eau pour tous est l’un des grands défis de notre temps, avec une population mondiale susceptible d’atteindre les 10 milliards d’ici à 2100. Voilà pourquoi la sécurité de l’eau doit s’inscrire profondément et durablement tant dans les préoccupations des opinions publiques que dans les agendas des grands centres de décision mondiaux – au même titre que la sécurité climatique ou nucléaire par exemple.
Sécurité de l’eau, le terme n’est pas galvaudé qu’on l’on sait les menaces géopolitiques que font peser sur des millions d’hommes les conflits liés à l’eau. Que se passerait-il si demain 105 millions d’Ethiopiens entraient en guerre avec 100 millions d’Egyptiens ? Mesure-t-on le drame qui engloutirait 200 millions d’hommes se battant pour avoir accès aux eaux du Nil, véritable colonne vertébrale de cette partie aride du monde ?
A lire demain, le second volet de notre chronique Au fil de l’eau (*) avec l’éditorial de
Loïc Fauchon, le président du Conseil mondial de l’eau.
Les maladies infectueuses d’origine hydrique : 3,2 millions de morts
L’organisation mondiale de la santé l’OMS fournit de nombreux chiffres sur la relation entre la santé et qualité de l’eau. « Il est prouvé que les investissements en faveur de l’eau de boisson salubre et de l’amélioration de l’assainissement améliorent la santé et la productivité économique. Beaucoup reste à faire pour fournir ces services fondamentaux à une large part de la population » note l’organisation internationale. Quelques chiffres témoignent de l’ambleur de l’effort à réaliser au niveau mondial pour améliorer la situation.
> Plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à une source d’eau sûre et 2,6 milliards de personnes ne disposent pas de moyens d’assainissement satisfaisants, ce qui entraine une contamination microbienne généralisée de l’eau de boisson.
> Les maladies infectueuses d’origine hydrique font jusqu’à 3,2 millions de morts par an, ce qui représente environ 6% des décès dans le monde.
> Pour boire et satisfaire ses besoins d’hygiène, chaque personne a besoin chaque jour de 20 à 50 litres d’eau ne contenant aucun produit chimique ni contaminant microbien.
Le programme conjoint de surveillance OMS-Unicef indique que « l’impact du manque d’accès à l’eau potable en toute sécurité sur le taux de mortalité infantile est dévastateur avec plus de 297 000 enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année de maladies diarrhéiques en raison de mauvaises conditions sanitaires, une mauvaise hygiène ou de l’eau non potable. (…) 50% de la malnutrition infantile est associée à l’eau non potable, l’assainissement inadéquat et une mauvaise hygiène. »
> Le programme des Nations-Unies pour l’Eau indique que « le manque de système d’égouts efficaces peut contaminer les éco-systèmes et contribuer aux pandémies de maladies ».
Liens utiles :
> [Au fil de l’eau] Marseille-Dakar : rendez-vous pour le 9e Forum mondial de l’eau en 2021
> Le site du Conseil mondial de l’eau.
(*) Au fil de l’eau est une chronique mensuelle diffusée sur Gomet’ et réalisée en partenariat avec le Conseil mondial de l’eau basé à Marseille.