La scène fait penser aux « Tontons flingueurs » du regretté Michel Audiard. Dans le rôle de Raoul Volponi (Bernard Blier qui se fait dans le film sévèrement corriger par Lino Ventura), Sylvain Souvestre, le maire LR des 11/12. Il avait invité en ce début de semaine la presse devant le château de la Buzine. Il souhaitait dire tout le mal qu’il pensait de la mairie centrale, coupable à ses yeux d’avoir sacrifié cet espace culturel dédié à Marcel Pagnol avec des choix partisans inacceptables et une gestion chaotique.
Le ton était donné à la manière d’une des répliques de ce film culte : « Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite,je disperse, je ventile ! ». Hélas pour Sylvain Souvestre, une tout autre information s’imposait pour les journalistes présents en cette matinée torride. Sept élus de la majorité de Souvestre (deux reviendront rapidement sur leur décision) venaient de faire sécession pour s’allier dans un groupe avec le Rassemblement National.
L’édile a beau être un sportif émérite, ce contre-pied dispersait en une seconde, façon puzzle, ses certitudes, d’autant que les dissidents n’avaient pas eu l’élégance de le prévenir. Il trouvait la manœuvre d’autant plus saumâtre que dans une récente interview, il avait laissé entendre que les municipales de 2026 étaient désormais son match et que l’on pouvait compter sur lui, à droite, si Renaud Muselier et Martine Vassal n’étaient pas candidats. Mais il y a des jours comme ça où on ferait mieux de rester couché pour relire « La gloire de mon père ». Au-delà de cette péripétie tragi-comique apparaît la situation « abracadabrantesque » pour reprendre l’expression chère à feu Jacques Chirac dans laquelle se retrouvent à Marseille les partis dits de gouvernement.
Ce sont les extrêmes qui jouent les mouches du coche
A droite comme à gauche un même constat, ce sont les extrêmes qui jouent les mouches du coche. La droite républicaine a, on le sait, éclaté sous la double pression d’Eric Ciotti, désormais supplétif soumis du RN, et les macronistes qui derrière leur président voyaient Marseille en grand. La posture qui, parfois pour d’obscures raisons, consistait à s’aligner derrière le locataire de l’Elysée a pris du plomb dans l’aile, avec l’arrêt brutal en plein vol de quelques figures du camp qui a émergé en 2017. Exit donc les Sabrina Agresti-Roubache, Lionel Royer-Perreaut et autres Claire Pitollat. Faute de troupes et plombés par l’impopularité du président de la République, ils ont rejoint le mince chapitre que l’Histoire leur consacrera.
Plus complexe mais tout aussi évidente l’attraction que tente de promouvoir le Rassemblement National, annonçant urbi et orbi, derrière son leader, Franck Allisio, l’éminente création d’un Rassemblement marseillais. Le député des Bouches-du-Rhône, qui mène désormais campagne avec cet objectif, sait que le terreau lui est extrêmement favorable. Pas un millimètre ne sépare les thèmes que son mouvement porte depuis trois décennies – l’immigration, l’insécurité, les valeurs traditionnelles – d’une grande partie de ceux que la droite marseillaise revendique. Ils ont été gérés sans complexe par la filloniste Valérie Boyer sénatrice des Bouches-du-Rhône, prenant parti pour Didier Raoult, rendant visite au dictateur Syrien, Bachar-el-Assad pour évoquer le sort des chrétiens d’orient, interpellant un préfet sur la présence en formation à l’Afpa de la Treille d’une dizaine d’immigrés rescapés de la jungle de Calais.
Monique Griseti, conseillère municipale des 11/12 qui a balayé « l’amie des Macron » Sabrina Agresti-Roubache, n’en demandait pas tant. La candidate RN ne fit pas campagne aux dernières législatives et n’eut pas à user de son talent oratoire, que beaucoup n’ont jamais perçu, pour recueillir dès le premier tour plus de 45% des suffrages et reléguer l’ancienne secrétaire d’Etat à la troisième place.
Mais comme on aime à la dire au RN on ne se contente pas des déclarations d’amour, on veut des preuves. La droite républicaine vient d’en apporter une de plus en votant ce vendredi contre la subvention attribuée par la majorité du Printemps marseillais à SOS Méditerranée, cette association qui vient au secours des clandestins en perdition sur la grande bleue. Mais on imagine qu’Allisio et ses troupes veulent beaucoup plus, puisqu’ils peuvent aujourd’hui aller jusqu’à s’offrir le luxe de repousser un de leurs anciens, le sénateur Stéphane Ravier qui appelle de ses vœux des retrouvailles. La droite durant les années Gaudin avait réussi à repousser le FN. Cèdera-t-elle aux sirènes du « rassemblement » ?
LFI à la conquête des « tours plutôt que des bourgs »
Pour rester dans le domaine du cinéma, la gauche marseillaise dont la renaissance est passée par un printemps prometteur, doit désormais affronter les orages d’un été indien à l’horizon encombré de lourds nuages. On n’est pas loin de « Autant en emporte le vent ». La tentation est grande chez les écologistes d’aller tester de près les Insoumis. Ces derniers ont choisi comme le répète à l’envi François Ruffin « les tours plutôt que les bourgs » pour réinventer, en version non laïque, ce prolétariat qui a longtemps nourri la nostalgie d’un Robert Guédiguian.
De ce côté-là, si l’on excepte Manuel Bompard plus présent sur les plateaux de télévision que dans les quartiers dont il est l’élu, le premier rôle est assumé par le député Delogu qui a définitivement ses entrées dans les colonnes du Canard Enchaîné. « L’élève Delogu » comme le surnomment ses contempteurs en référence au cancre du fim de Philippe de Chauveron (Elève Ducobu, 2011) n’a peur d’aucune outrance et c’est même à ça qu’on le reconnait.
Ses adversaires ne se sont pas privés de le railler lorsqu’il confondit dans un tweet un peu rapide les religions, hindouiste et juive, parlant de « vache en or » au lieu de « veau d’or ». On n’est pas loin du procès en illettrisme et le maire Benoît Payan s’est empressé de venir à son secours, dénonçant « la violence, le mépris de classe, les invectives, la brutalisation (qui) n’ont pas leur place en politique quel que soit le camp d’où ils viennent. » « Sébastien Delogu, ajoutait le premier magistrat marseillais, est un élu de la Nation et ceux qui préfèrent la moquerie au débat d’idées font honte à la République. »
Une solidarité insuffisante pour calmer l’ardeur du député Insoumis qui voit en Payan un manœuvrier de l’ombre et compte bien comme le conseille son maître à penser, Jean-Luc Mélenchon, « conflictualiser » tout ce qui peut l’être à Marseille. A moins de renoncer à ses principes socio-démocrates, le leader du Printemps marseillais va affronter une zone de turbulences dans les mois qui viennent, d’autant que la situation politique nationale laisse entrevoir quelques violents rififis.
Gerard Darmanin, ex-ministre de l’intérieur, disait récemment à propos des négociations en cours avec son « ami » le Premier ministre, Michel Barnier : « Moi je viens du Nord. Je suis quelqu’un de franc. On se dit les choses avant… » A Marseille on use aussi volontiers du mot « franchement », mais il n’est pas sûr qu’il ait le même sens que chez les Chtis.