Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, était une nouvelle fois à Aix-en-Provence en ce début de semaine (c’est une ancienne diplômée de Sciences Po Aix et une fidèle chaque début juillet des Rencontres économiques organisées dans la ville) à l’occasion de la remise des prix des diplômés de la faculté de droit.
Celle qui a la main sur la politique monétaire européenne depuis 2019, après une carrière déjà prestigieuse (direction du cabinet Baker McKenzie, ministre de l’Economie en France, présidente du FMI) a pris le temps avant la cérémonie qui se déroulait dans l’amphi Portalis, de répondre à quelques questions des journalistes lors d’une conférence de presse où était convié Gomet’. Une occasion d’aborder l’actualité internationale particulièrement agitée depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
Christine Lagarde : « l’Europe se forme dans la crise et dans la douleur »
En ce jour anniversaire du 1er confinement en France, le 16 mars 2020, lors de la crise du Covid, Christine Lagarde se remémore le choc de la crise qui pourrait être rapprochée du choc international actuel comme l’a fait le vice-président de la BCE Luis de Guindos. « C’est toujours difficile de comparer des situations aussi différentes (…) je pense que l’on a beaucoup appris de la pandémie. Je pense qu’à l’époque, on a du réagir dans l’urgence et dans la violence d’une fermeture de pratiquement 40% de l’économie mondiale. (…) Nous sommes aujourd’hui dans un grande incertitude aussi mais nous avons développé une capacité de réponse, une agilité à la fois intellectuelle et décisionnelle qui a été formée par cette période du Covid et les crises successives qui ont suivi » (démarrage de l’inflation, l’augmentation des prix de l’énergie orchestrée par les autorités russes, puis la guerre) observe Christine Lagarde.
Concernant le nouveau choc lié à la politique américaine de Donald Trump, Christine Lagarde est sans hésitation : « Je suis convaincue que nous sommes dans un nouveau moment existentiel pour l’Europe. Je pense comme l’on dit d’autres avant moi, l’Europe se forme dans la crise et dans la douleur. Le sursaut collectif doit nous amener à être capable d’assumer notre sécurité, notre souveraineté et de devoir agir de manière différente, plus collective, plus européenne à de nombreux niveaux. Très modestement comme Banque centrale on fera ce que l’on doit. On doit tous appliquer cette devise : fais ce que doit.»
Christine Lagarde poursuit : « ce que nous devons faire, c’est assurer la stabilité des prix pour que les acteurs économiques qui seront très sollicités dans les mois et années à venir, en particulier les capitaux privés vers le soutien à une politique de défense, sachent que l’environnement sera à une stabilité des prix. Nous n’aurons pas des spasmes d’inflation brutaux sans que la Banque centrale ne réagisse.»
Marché unique européen des capitaux : « un impératif absolu »
Dans cette perspective, Christine Lagarde renouvelle son souhait d’un marché unique des capitaux qu’elle appelle de ses voeux « depuis quatre ans, de discours en discours. » À ce titre, elle pense que « nous sommes en train de rencontrer un momentum, où toutes les autorités politiques nationales des 27 Etats membres ainsi que les autorités de la Commission européenne et du Parlement comprennent que ce marché est un impératif absolu. On ne peut pas se permettre de laisser une épargne abondante s’investir aux Etats-Unis en bons du Trésor. »
Quelle étape pour accélérer le processus ? Christine Lagarde ne cache ses espoirs à court terme notamment à l’occasion du Conseil européen de ce jeudi et vendredi espérant que les dirigeants des 27 pays donnent « un signal fort sur le marché des capitaux et l’euro digital (un euro numérique serait une forme numérique d’espèces, émise par la banque centrale et accessible à tous dans la zone euro, ndlr). Ce seront des éléments de souveraineté, dans le domaine financier qui sont des impératifs.»
Mais Christine Lagarde demeure pragmatique dans ce contexte politique remanié. « Faire des discours c’est bien, réaffirmer à coups de communiqués c’est mieux, mais ensuite il faut dérouler et faire le travail, aller chercher partout les points de résistance, les obstacles, les aplanir, trouver des chemins de compensation pour pouvoir avoir un vrai un marché unique des capitaux.»
« Clarté et agilité » au service de la politique monétaire pour les Européens
Qu’est ce que vous avez appris ici à Aix qui vous aide dans votre travail à la BCE ?
« Je pense qu’à la fois l’enseignement structurant en droit plus la formation pluridisciplinaire et didactique de Sciences po ont été pour moi des éléments très formateurs. Et la capacité que donne le droit à s’adapter à l’évolution du temps est une démarche intellectuelle qui a été pour moi extrêmement utile. J’ai annoncé cela la semaine dernière dans une conférence de presse sur notre politique monétaire.
Nous sommes dans une époque, en matière de politique monétaire où il faut que nous privilégions absolument l’agilité et la clarté. Ce mariage n’est pas toujours évident surtout quand nous nous adressons aux marchés, parce qu’eux souhaitent le plus de prévisibilité. L’agilité est une démarche qui nous habite car aujourd’hui, on fait face à une incertitude aggravée par les annonces quotidiennes, parfois bi-quotidiennes dans le domaine du commerce, de la fiscalité, des relations internationales. Il y a une accélération de ce processus. Agilité et clarté, ce sont les deux paramètres dans lesquels nous essayons d’inscrire notre action de banque centrale au service de la politique monétaire pour les Européens. »