Le fabricant de smartphones ultra-résistants Crosscall veut relocaliser sa production à Aix-en-Provence. Grâce au plan de relance, il a déjà ouvert un laboratoire de R&D et projette maintenant la construction d’une nouvelle usine. Mais plus largement, c’est tout un écosystème autour de l’électronique qu’il souhaite implanter.
Dans le monde post-covid, la souveraineté industrielle est devenue un enjeu majeur pour l’Etat français. Avec le plan de relance, il soutient les entreprises dans la relocalisation de leur production. Fin octobre, l’entreprise aixoise Crosscall est retenue par un appel à projets (voir encadré ci-dessous) pour son programme X-Lab2. Elle remporte ainsi une subvention pour la création d’un laboratoire d’activités de recherche et développement jusqu’ici réalisées en Asie. La première étape d’un projet industriel de plus grande ampleur sur Aix-en-Provence autour de la fabrication de ses smartphones et tablettes.
Une enveloppe de 850 millions d’euros pour la« (Re)localisation » dans le Plan de relance
Le 31 août 2020, le gouvernement a lancé l’appel à projets « (Re)localisation » pour soutenir les investissements dans cinq secteurs stratégiques : la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, les intrants essentiels à l’industrie (chimie, matières premières, métaux, etc.) et les télécommunications-5G. Initialement ouvert jusqu’au 17 novembre 2020, et doté d’une enveloppe de 600 millions d’euros dans le cadre de France Relance, l’appel à projets a ensuite été prolongé jusqu’au 7 septembre 2021 et ses fonds abondés pour atteindre près de 850 millions d’euros au niveau français (77 millions en région Sud avec 38 lauréats).
Crosscall fait partie de la dernière vague des 58 lauréats dévoilée le 26 octobre dernier. Au total, depuis le démarrage de ce dispositif, 407 projets ont été retenus dont 265 portés par des PME. Ils représentent 2,7 milliards d’euros d’investissements industriels et sont soutenus à hauteur de 729 millions d’euros par l’Etat.
Première étape : un laboratoire de R&D pour maîtriser la conception
Créée en 2009, par Cyril Vidal, la société aixoise Crosscall s’est construit une solide réputation grâce à ses appareils de communications résistants aux chocs, aux conditions extrêmes mais surtout au temps. En un peu plus de dix ans, ses smartphones et tablettes ont su se faire une place sur le marché avec 3,5 millions d’unités vendues. Désormais, la PME est en passe de devenir un industriel important dans la région avec 200 salariés et un chiffre d’affaires qui va atteindre les 140 millions d’euros cette année. « Notre promesse de marque, c’est la durabilité », explique à Gomet’, Bertrand Czaicki, directeur produit, management et design de l’entreprise. Aussi, Crosscall souhaite désormais mettre en cohérence son image et ses méthodes de travail. Son projet de relocalisation de la fabrication de smartphones va dans ce sens. « Pour produire en France, il faut d’abord maîtriser la conception », prévient Bertrand Czaicki. Aussi, Crosscall a ouvert en fin d’année dernière un nouveau laboratoire de recherche et développement sur son site d’Aix-les-Milles. Et petit à petit, l’unité monte en puissance : « On accueille de nouvelles machines chaque mois », explique le dirigeant. C’est ce premier projet qui a décroché les subsides de l’Etat. Au total, le plan de relance apporte 800 000 euros pour une installation qui va coûter 4,6 millions d’euros à Crosscall. Ce nouveau site doit aboutir à lui seul à la création de 14 nouveaux emplois dans le groupe. Avant de mettre un produit sur le marché, Crosscall lui fait passer une batterie de tests draconien avec des machines de simulation du vieillissement, de pression, de choc… Au total, ce sont plus de 300 tests qui sont réalisés sur les smartphones et tablettes de la marque.
« On a besoin d’un laboratoire au plus près de nos utilisateurs qui participent à la conception des produits », justifie Bertrand Czaicki. Il évoque notamment la gendarmerie et la police nationale devenues deux de ses principaux clients depuis le méga-contrat décroché en début d’année. « Pour concevoir Neo, le smartphone dédié aux forces de sécurité, on a rencontré plus d’une centaine de policiers et gendarmes. On est allé avec eux sur le terrain pour bien comprendre leurs besoins. L’usage, c’est le point de départ de nos produits. Aussi, ce laboratoire de conception dans la région trouve tout son sens dans ce processus », souligne le cadre de Crosscall. Ce gros contrat avec le ministère de l’intérieur implique également de nouveaux enjeux de sûreté nationale sur les données et la conception des produits de Crosscall. Un argument supplémentaire pour se doter d’un outil industriel propre en France.
Un début de production avec ses nouveaux produits reconditionnés
Pour l’instant, Crosscall travaille avec le géant chinois de l’électronique Hi-sense (plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires) pour la fabrication de ses smartphones et tablettes. « Nous avons toujours pu compter sur eux pour co-concevoir des produits de très haute qualité », insiste Bertrand Czaicki. Pour autant, face à une croissance importante de son activité notamment en France, l’entreprise doit penser à maîtriser davantage sa production. Pour se lancer sur cette voie, Crosscall va commencer par la création d’une usine de reconditionnement de ses anciens téléphones. « Nous disposons aujourd’hui de suffisamment de produits en utilisation pour penser à leur récupération. Cela suit notre philosophie de développement durable. Même si ils sont anciens, ils disposent encore d’éléments en bon état et nous allons les récupérer pour les réparer et les remettre sur le marché. Nous avons sondé nos clients et plus de 20% d’entre eux se disent intéressés par une telle offre », indique le directeur produit. Première étage de la fusée, cette usine de conditionnement doit démarrer au cours du premier semestre de l’année prochaine. « La gamme reconditionnée sera l’une de nos priorités en 2022 », ajoute-t-il. A l’instar de ses smartphones neufs, ces produits subiront une gamme de tests intensifs et bénéficieront du label « Crosscall approve ». Cette première unité de production doit permettre à Crosscall de préparer le terrain de sa future usine plus ambitieuse. « Pour la future unité de production, on recherche un terrain de plus de 3 hectares, annonce Bertrand Czaicki. On pourrait même aller jusqu’à 10 hectares car il faut anticiper l’installation de potentiels sous-traitants. »
Rassembler un écosystème de sous-traitants pour relocaliser la fabrication
Pour fabriquer des smartphones et des tablettes, Crosscall va devoir trouver de nouveaux partenaires industriels et souhaite les avoir au plus près de son site de production. « On veut créer une véritable electronic valley sur Aix-en-Provence », avance le dirigeant. L’entreprise maitrise aujourd’hui l’assemblage et l’intégration des composants mais va devoir s’entourer de compétences supplémentaires qu’elle ne pourra pas internaliser. Par exemple, Crosscall cherche un fournisseur de composants électroniques. Non loin de son siège aixois, il existe déjà un géant du secteur avec STMicroelectronics à Rousset. Le groupe doit également trouver des industriels spécialisés dans les procédés comme les injecteurs plastiques : « Il en existe de très bons dans l’Ain, au nord de Lyon, dans la plastic valley mais on aimerait éviter d’avoir à faire rouler des camions entre les deux régions », explique Bertrand Czaicki. Crosscall devra également s’entourer d’entreprises du logiciel, des PME comme des grands groupes. Sans préciser le montant du projet, le cadre-dirigeant se contente d’indiquer que l’investissement sera « bien plus important que le projet X-Lab 2 ». Son calendrier prévoit de démarrer avec un première version de l’usine d’ici la fin de l’année 2022 avec une montée en puissance à l’horizon 2025. Pour le financer, la société va déposer des dossiers de subventions dans le cadre du nouveau plan de l’Etat France 2030. En termes de créations d’emplois, Crosscall mise sur trente nouveaux postes avec l’activité de reconditionnement et une centaine d’ici quatre ans.
Les ambitions de Crosscall sur le marché des professionnels
Ses ambitions industrielles reposent sur ses derniers succès commerciaux et une promesse de croissance notamment grâce à ses succès auprès des professionnels. Outre la gendarmerie et la police, Crosscall a également remporté en 2019 un gros appel d’offres pour la fourniture de 20 000 smartphones aux agents de la SNCF. L’été dernier, le réseau national d’aides à domicile de services à la personnes ADMR a également commandé à l’entreprise plus de 50 000 terminaux. Désormais, le marché professionnel est majoritaire dans l’activité de Crosscall qui ne réalise plus que 40% de son chiffre auprès du grand public. Ce positionnement lie aussi le groupe à la France qui représente toujours 90% de son activité. Mais Crosscall regarde attentivement les pays voisins notamment pour les forces de sécurité. « Le marché avec la gendarmerie nous crédibilise aux yeux des forces de sécurité étrangères. Le ministère de l’intérieur a des relations proches avec les autorités belges ou espagnoles que l’on espère bien approcher », indique Bertrand Czaicki.
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