Peut-on justement dans notre pays, à l’heure où les politiques publiques, nationales, européennes, régionales, se cherchent, identifier nos « ressources internes ou externes, matérielles ou immatérielles » ?
Emmanuel Delannoy : Le choc du Covid-19, l’irruption brutale du confinement et la mise à l’arrêt quasi instantanée de la machine économique ont bousculé à la fois les certitudes et la hiérarchie des priorités. Beaucoup de choses qui nous semblaient nécessaires se sont avérées superflues, alors que d’autres, auparavant négligées ou moins valorisées, se révélaient vitales. Pour en tirer les enseignements, il va être nécessaire de recenser ces ressources vitales, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, et des conditions qui garantissent leur disponibilité, leur substituabilité éventuelle ou leur effectivité.
Ce travail d’identification de nos ressources revient à se poser la question de nos dépendances et des équilibres ou déséquilibres qu’elles révèlent. Une dépendance n’est pas en soi un problème, mais ce sont les conditions dans lesquelles s’activent ces liens de dépendances qui peuvent l’être. Ce travail devra aussi investiguer la question de la substituabilité des ressources.
Seul un être humain, avec toutes ses forces et ses faiblesses, peut prendre soin et venir en aide à un autre humain en détresse…
Emmanuel Delannoy
Quant aux ressources immatérielles, outre l’aptitude individuelle et collective à construire et à utiliser ces nouvelles « boussoles stratégiques » nécessaires à la navigation dans la complexité, ne devrait-on pas se reposer la question de la valeur de l’humain, du contact direct, de la débrouillardise et ce qu’elle suppose d’autonomie et de confiance, sans oublier l’empathie ? Aussi utiles et efficaces que soient nos organisations, nos processus ou nos technologies, il vient toujours un moment où seul un être humain, avec toutes ses forces et ses faiblesses, pourra prendre soin et venir en aide à un autre humain en détresse.
Comment trouver dans l’histoire du vivant des principes qui pourraient éclairer nos démarches entrepreneuriales et politiques ?
Emmanuel Delannoy : Au cours des quatre milliards d’années d’évolution de la vie sur Terre, ce que l’on peut en effet appeler aujourd’hui des « principes », a progressivement émergé, à travers de longs processus d’essais erreurs, d’ajustements et de corrections. Les plus propices à la vie ayant depuis été retenus par la sélection naturelle. Ces principes, tels qu’ils résultent de cette longue et turbulente histoire, confèrent à tous les niveaux d’expression d’un vivant une extrême plasticité évolutive et une résilience hors du commun. Ils devraient donc aujourd’hui inspirer les entrepreneurs et les décideurs territoriaux, dans un contexte où nous sommes confrontés à une remise en question des fondamentaux issus de la première révolution industrielle.
Il existe, pour les organismes vivants, un mur de la simplicité alors qu’il n’existe aucune limite à la complexification des systèmes vivants…
Emmanuel Delannoy
Le paléontologue américain Stephen Jay Gould, à qui l’on doit aussi le concept d’exaptation présenté plus haut, avait coutume de dire que la vie n’est bordée que d’un côté. Il existe en effet, pour les organismes vivants, un « mur de la simplicité » (au-delà d’un certain niveau de simplicité, la vie n’est plus possible) alors qu’il n’existe aucune limite à la complexification des systèmes vivants. C’est ce qui a permis à l’évolution de faire émerger des organes aussi complexes que le cerveau, des superorganismes aussi complexes qu’une termitière ou des écosystèmes aussi foisonnants qu’une forêt tropicale humide ou un récif corallien.
Force est de constater que cette extrême complexité du vivant n’a jamais été un problème mais plutôt un atout, notamment pour faire face à ces épisodes catastrophiques qu’ont été les cinq grandes crises d’extinction majeure (la dernière et plus connue étant celle de la fin du Crétacé, ayant conduit à l’extinction des dinosaures).
Chercher à mieux comprendre les mécanismes qui structurent et animent les écosystèmes, et la biosphère dans son ensemble, peut donc être riche d’enseignements. Si, comme on l’a vu, la sauvegarde de la biodiversité est une condition sine qua non de la réparation de l’économie, cette dernière peut aussi nous en apprendre beaucoup sur la manière de nous y prendre !